Cherchez l’erreur ! La question du pouvoir d’achat hante les Français. Le logement pèse de plus en plus lourd dans leur budget. Or ce sujet, mille fois évoqué, sort à chaque fois des priorités aussi vite qu’il est arrivé. A-t-il des chances de s’imposer cette fois-ci au regard de la gravité de la crise ?
En fait, c’est à un orage parfait auquel on assiste. Une crise de la demande déjà. Près de 40% des acquéreurs potentiels d’un logement sont exclus du marché en raison de l’augmentation des taux d’intérêt et du durcissement des critères d’octroi de crédits. En 25 ans, le pouvoir d’achat immobilier pour les habitants d’Ile de France a été divisé par deux. Et réduit de 25% pour l’ensemble du territoire français. En 2021, en remboursant chaque mois 1.000 euros pour un crédit à 1 % sur vingt ans, un ménage pouvait emprunter 217.000 euros. Avec un taux supérieur à 3 %, cette même mensualité ne permet plus que de rembourser un prêt de 180.000 euros, soit une perte de 18 % de capacité d’emprunt.
A cette crise de la demande s’ajoute une crise de l’offre. La France manque de logements. La raréfaction des terrains, le renchérissement du prix des matériaux de construction, l’impact des normes environnementales… ne permettent plus d’équilibrer les projets. D’année en année, le nombre de mises en chantier a plongé vers un niveau d’étiage de 350.000. Le parc de logements non utilisé n’est pas ou mal mobilisé.
Sans doute faut-il, comme certains l’affirment, mettre ces constats sur le compte de notre incapacité collective à penser autrement le système économique, financier, et institutionnel du logement. Collectivement, nous nous sommes réfugiés derrière deux cache-misères : d’une part des aides publiques massives, avec le financement d’un important parc locatif social (5, 15 millions de logements sociaux) ; d’autre part un crédit immobilier resté longtemps accessible et peu cher. Ce déni n’est plus tenable tant l’environnement a changé. Les taux d’intérêt ont remonté, l’Etat manque d’argent. Les politiques publiques généreuses ont montré leurs limites. Le logement mobilisait près de 38 milliards d’argent public en 2020, soit 1,6 % du PIB. Cela n’empêche pas les Français de devoir consacrer une part plus importante de leurs ressources à se loger que leurs voisins européens. Le logement social peine à accueillir ses publics naturels : jeunes, salariés modestes, ménages précaires. L’âge moyen de ses occupants dépassant désormais 50 ans.
Bien des solutions sont déjà sur la table : encadrement des prix des terrains, création du statut de bailleur privé, élargissement du prêt à taux zéro, densification des constructions dans les zones tendues, simplification de la rénovation énergétique, généralisation des prêts remboursables à la revente future du bien.
Certains remèdes prêtent d’ailleurs à caution. Le gel des loyers ? Comment peut-il être supporté par les petits bailleurs privés, qui comptent sur leur loyer comme complément de retraite ou de revenus ? La distribution de chèques pour stimuler la demande ? Mais à partir du moment où l’offre reste limitée, un tel système ne peut avoir d’autre résultat que d’augmenter les prix. Moderniser les modes de financement ? Il est vrai que la dernière innovation en matière de financement du logement remonte à 1960 avec le prêt à taux fixe.
Toutes ces solutions seront bonnes à prendre. Mais ne faut-il pas penser que leur efficacité dépendra de la volonté de sortir enfin d’un système d’ancien régime organisé autour, d’un coté, du logement social, et de l’autre, d’un écosystème privé jaloux de son indépendance quand tout va bien et appelant à l’aide l’argent public quand le temps se gâte ? Le secteur du logement a besoin d’être décloisonné. Les acteurs du logement social devraient pouvoir intervenir davantage dans le secteur libre et réciproquement en veillant au respect des règles de concurrence et de service d’intérêt général. La relance de la construction devrait être permise en redistribuant la prise de risque et l’espérance de gain au sein de cette chaîne d’acteurs, des promoteurs qui ont besoin de sécuriser leurs opérations, aux preneurs en dernier ressort, foncières publiques ou privées. Ce à quoi il conviendrait d’ajouter la décentralisation et la territorialisation de la gestion opérationnelle du logement en créant des outils financiers aux niveaux régional ou métropolitain, associant acteurs publics et acteurs privés.
En prend-on le chemin ? Pour l’heure, chacun reste plutôt dans sa zone de confort, alimentant ce sentiment d’impuissance face à des enjeux structurels pourtant bien identifiés. La France vit depuis les années soixante dix une révolution démographique (allongement de la durée de la vie) et sociologique (décohabitation) sans précédent, tandis que son modèle de production de logements est resté figé. L’allongement de la durée de vie fait qu’au lieu d’hériter à 35/40 ans, nous héritons maintenant à près de 60 ans, au moment où le besoin de logements est moins prégnant. En même temps, c’est aujourd’hui le senior vivant de sa retraite qui est confronté aux travaux de rénovation énergétique. Et c’est le trentenaire qui peine à se loger « convenablement » dans les zones tendues.
Nous nous sommes depuis trop longtemps habitués, dans une sorte de déni collectif, à ne pas voir que le logement accélère l’accroissement des inégalités sociales, territoriales et générationnelles. Notre système de redistribution permet, et l’on peut s’en réjouir, de contenir les inégalités de revenus. En revanche, les inégalités liées au patrimoine ont fortement augmenté. Sans héritage, il est devenu quasiment impossible d’accéder à la propriété dans certaines zones. La France a besoin de logements abordables, sans statut social. Ce n’est toujours pas le cas. Cette crise, à force de s’aggraver, est devenue une formidable machine à alimenter la colère des classes moyennes. Jusqu’à quand ?