L’annonce de la nouvelle candidature du Président américain Joe Biden, aussi hasardeuse que celle-ci puisse paraître au vu de son grand âge, est pourtant très sérieuse. Avec sa formule énigmatique d’un « nouveau Consensus de Washington » – une nouvelle voie à suivre pour la politique intérieure et étrangère des États-Unis, axée sur sa stratégie industrielle –, Joe Biden entend bien faire sensation, en recyclant des recettes d’ores et déjà éprouvées dans le courant des années 1990 par les dirigeants de l’époque. Il s’agit en fait de conduire une politique économique qui conjugue budgets domestiques équilibrés, et frontières ouvertes aux flux de capitaux et de marchandises. Bien que considérés comme doctrine économique originale, ces préceptes n’en restent pas moins dogmatiques.
Critiqué par ses opposants pour son âge (déjà surnommé « sleepy Joe » par Donald Trump), Joe Biden a fait preuve d’initiative et n’a nullement hésité à lancer d’ambitieux programmes de soutiens aux industries stratégiques nationales, avec par exemple un Chips Act de 40 milliards d’euros de subsides étatiques. Celui-ci vise à subventionner prioritairement des opérateurs industriels du secteur des semi-conducteurs et des technologies vertes, à condition qu’ils soient Américains et limitent le commerce avec les Chinois. Tout cela avec la ferme intention d’assurer le financement de ces aisances financières par de nouvelles dettes. En outre, Jake Sullivan affirme que les Etats-Unis vont « travailler avec [leurs] partenaires pour s’assurer qu’ils renforcent eux aussi leurs capacités, leur résilience et leur inclusivité ».
La manœuvre de Joe Biden est osée : il ne craint ni de froisser ses partenaires, ni de violer les règles internationales du commerce. Sa doctrine, des plus agressives, freinera l’essor chinois et profitera à l’industrie allemande. Croire que ce dispositif et ces pratiques conviendront à des leaders allemands tombe en effet sous le sens, notamment en raison du fait que ces derniers ne peuvent pas s’empêcher d’aller voir le grand frère américain. Au cœur de cette nouvelle doctrine politique et économique, il est donc certain que Allemands et Américains vont jouer ensemble. Pour l’heure, certains grands patrons qui donnent le ton en Allemagne, comme le chimiste Lanxess, attendent de voir comment ces mesures s’intègreront dans le cadre de l’Inflation Reduction Act sur lequel travaillent les Américains.
Pour opérer ces manœuvres géoéconomiques, plutôt que de s’appuyer sur un économiste, Joe Biden s’est tourné vers Jake Sullivan, son conseiller à la sécurité nationale, particulièrement compétent et influent. Il est le nouvel homme fort de ce dispositif. Son approche pour imposer les règles américaines est claire. En petit comité, il affirme que l’approche douce visant simplement à « faire bouger les lignes par une action déterminée » ne suffit plus à faire réagir les Européens, qu’il juge naïfs vis-à-vis de leur dépendance à la Chine. Invitant ses interlocuteurs allemands à moins de naïveté, notamment le chancelier Scholz et le ministre de l’Economie Habeck, Sullivan tente de les convaincre en insistant sur le fait que les économies européennes offrent de moins en moins de produits technologiques innovants et que cette tendance va en s’amplifiant – chose qui inquiète déjà les stratèges allemands –, pour justifier le fait que la solution d’avenir réside dans le déploiement de stratégies politiques et économiques décidées au plus haut niveau des Etats européens pour renforcer leurs capacités industrielles et technologiques.
C’est ce que prouvera prochainement le « Salon Automatica 2023 » à Munich. Dans cette logique, peut-être verra-t-on une nouvelle impulsion du Made In Germany, soutenu par le patronat (à l’instar de ce qui s’est produit au début des années 1970 avec les chanceliers Willy Brandt puis Helmut Schmidt).