Rapatriement de la fabrication des médicaments, relocalisation, innovation technologique, intelligence artificielle, avion ultra sobre. Emmanuel Macron a multiplié ces jours-ci les signaux du volontarisme en matière de réarmement industriel de la France, gage de sa souveraineté économique. L’effort est réel. Depuis 2017, on dénombre 300 créations nettes d’usines et 158 relocalisations avec à la clé 1,7 million d’emplois recensés. Pour la quatrième année consécutive, l’hexagone décroche la palme en Europe en matière d’attraction des investissements étrangers selon le classement EY. A ce rythme, le choc de désindustrialisation observé avec la crise de 2008 pourrait bien être effacé à la fin du quinquennat. Les 2 millions d’emplois perdus oubliés, la part de l’industrie dans la valeur ajoutée rehaussée après avoir été divisée par deux (à 11,5 %).
L’industrie est clairement l’un des remèdes aux maux qui hantent la France depuis trente ans : elle est la meilleure arme contre le chômage de masse, elle irrigue les territoires, elle remet dans le mouvement les villes moyennes. Elle est le pilier du commerce extérieur. Elle est un facteur décisif de soutien aux classes moyennes pour éviter qu’elles basculent dans le vote populiste, à l’image de l’Amérique qui a élu Donald Trump.
On peut donc comprendre que beaucoup d’argent public soit fléché vers cette « reconquista » : 54 milliards d’euros au titre du plan France 2030 pour rattraper le retard industriel et investir dans des technologies innovantes ou bas carbone. Pêle-mêle, 2,9 milliards dans le projet de production de semi-conducteurs de Crolles, 1,3 milliard pour l’usine de batteries ACC de Douvrin, et autant pour l’investissement du taïwanais Prologium.
Tout un symbole : Alcatel-Lucent Enterprise a rapatrié à Laval l’assemblage de centraux téléphoniques délocalisés chez un sous-traitant roumain au début des années deux mille, lorsque Serge Tchuruk avait promu le concept de stratégie « fabless » : ne garder que la conception des produits, et sous-traiter la fabrication dans les pays à bas coûts.
C’est sans doute à un véritable basculement de modèle auquel on assiste : d’un côté, une multiplication des signaux pour confirmer que le robinet du « quoi qu’il en coûte » est revissé, histoire de ne pas agiter le chiffon rouge sur la dette aux yeux des agences de notation. De l’autre côté, sont engagés de gros moyens dans la réindustrialisation, pour affronter la concurrence des autres Etats, à commencer par les Etats-Unis, qui eux aussi veulent attirer les entreprises à coup d’aides et d’exonérations.
Autant dire que personne n’a le choix, à moins de laisser les multinationales en position de force faire leur marché, imposer leurs conditions et fondre sur les tombereaux de dollars de subventions outre Atlantique, où les prix de l’énergie sont trois à cinq fois plus faibles, où le marché intérieur est plus cohérent, et où l’administration publique affiche une réactivité à faire pâlir les Etats sur-administrés de la vieille Europe.
Tous ces efforts sont salutaires, nécessaires. Mais sont-ils suffisants ? La France a raison d’inscrire dans le long terme son réarmement industriel. Encore faut-il qu’elle parvienne à marcher sur deux jambes : l’industrie et les compétences.
La vraie réussite de la politique industrielle est d’attirer les centres de décision, les laboratoires de recherche, l’innovation, le capital. La vague de réindustrialisation en cours révèle cruellement les dégâts accumulés depuis vingt ans : la qualité des produits pris dans le piège du « moyen de gamme », le manque d’emplois qualifiés, la chute de l’esprit scientifique. La rupture de la courbe d’expérience d’EDF en matière nucléaire démontre que le mal est profond. En matière d’innovation, il ne suffit pas de vouloir rattraper son retard, il faut aussi le pouvoir. Si le pays ne dispose pas des capacités technologiques suffisantes pour soutenir le rythme de l’innovation, il court le risque d’arroser le sable.
L’effort placé sur le retour de l’industrie ne pourra déboucher que s’il est assis sur un effort tout aussi conséquent sur l’amont, à savoir la remise à niveau de l’école. A l’heure du numérique, du quantique, du cyber et de l’intelligence artificielle, l’apprentissage des mathématiques est un impératif.
Hourrah ! Airbus remporte une « giga commande » de 500 A320 de la compagnie indienne Indigo. Mais les fournisseurs de deuxième et troisième rangs de l’avionneur européen auront-ils la matière grise suffisante pour assurer cette spectaculaire montée en puissance ?
La formation est la condition pour créer des bons emplois associés à de bons salaires. Il est urgent de réinterroger notre système éducatif et universitaire et se demander comment il pourrait être mieux connecté avec la recherche des industriels en matière de technologie et d’innovation.
Enfin, la capacité d’attirer et de séduire ne peut être la seule réponse au souhait de voir revenir l’industrie. Les investissements entrent, mais les gains repartent vers les sièges à l’étranger. En cas de choc conjoncturel, les arbitrages de fermeture sont bien souvent défavorables. Et le rapatriement de la production en France est une chose, le risque que les cerveaux ne soient plus français en est une autre. Pour garder la main sur le « cerveau » de leurs usines, les industriels doivent conserver la maîtrise des données numériques. Nous aurions bien tort de ne pas nous satisfaire que les machines soient redevenues françaises. Mais que leurs cerveaux soient ceux des géants de la tech américains qui contrôlent et gèrent les données générées par ces machines, voilà qui risque de gâcher la fête.