Pourparlers indirects en Oman et directs à New York, coopération accrue avec l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA) : l’Iran multiplie les signes d’ouverture envers les Etats-Unis, tout en étant ferme sur sa volonté de garder une industrie nucléaire qu’il dit être à vocation civile. De son côté, faute de soutien politique pour revenir à l’accord de Vienne de 2015 sur le nucléaire iranien (JCPOA), l’administration Biden se montre favorable à une « entente » a minima pour limiter le programme nucléaire iranien et, espère-t-elle, créer ainsi les conditions d’une désescalade régionale (déjà amorcée par l’Arabie Saoudite et l’Iran sous l’égide de la Chine).
Un haut responsable diplomatique iranien s’est apparemment entretenu le 12 juin à Abou Dhabi avec des représentants français, britannique et allemand sur des dossiers stratégiques, dont le programme nucléaire iranien. La veille, le Guide Suprême de la République Islamique, Ali Khamenei, s’est dit prêt à conclure un accord avec les pays occidentaux sur le programme nucléaire iranien, tout en posant ses conditions : « Il n’y a rien de mal dans un accord potentiel avec l’Occident, mais l’infrastructure de notre industrie nucléaire ne doit pas être touchée », a-t-il affirmé , en niant que son pays cherchait à acquérir la bombe atomique.
L’Iran et les Etats-Unis ont, semble-t-il, tenu des pourparlers indirects en Oman en mai, dont le but était de parvenir à une « entente » sur l’arrêt du développement du programme nucléaire iranien, qui pourrait poser les bases pour des négociations sur un futur accord. Des discussions indirectes se poursuivraient par l’intermédiaire d’Oman sur la levée de certaines sanctions américaines visant l’Iran. Des réunions directes auraient aussi eu lieu aux Etats-Unis entre l’ambassadeur iranien à l’ONU, Amir Saeed Iravani, et l’envoyé spécial américain sur l’Iran, Robert Malley.
Comme on le sait, les pourparlers indirects entre les Etats-Unis et l’Iran sur un retour au JCPOA ont échoué en septembre 2022, chaque camp accusant l’autre d’avoir des demandes maximalistes. L’accord, duquel les Etats-Unis se sont retirés unilatéralement en 2018 sous l’ancien président Donald Trump, visait à empêcher l’Iran de développer une arme nucléaire en échange de la fin des sanctions occidentales.
Depuis le retrait américain, la République Islamique a continué à déployer un programme nucléaire, dont elle nie toute portée militaire. En février l’AIEA a pourtant annoncé avoir détecté dans l’usine de Fordo des particules d’uranium enrichi à 83,7 %, soit juste en deçà des 90 % nécessaires pour produire une bombe atomique.
En outre, la coopération militaire accrue de l’Iran avec la Russie en pleine guerre d’Ukraine, où des drones militaires iraniens sont utilisés, embarrasse Washington dans l’optique de pourparlers avec la République Islamique.
Washington a fait référence à plusieurs reprises à une potentielle action militaire, reprenant des éléments du discours de son allié israélien, qui mène une guerre de l’ombre depuis des années contre la République Islamique. En face, l’Iran a construit une usine nucléaire souterraine si profonde qu’elle serait hors de portée des missiles américains fabriqués à cet effet, a révélé fin mai l’agence Associated Press. La Maison-Blanche a finalement toujours dit préférer la solution diplomatique, malgré une opposition bipartisane contre un retour à l’accord de 2015.
Les Européens, intermédiaires dans les discussions, ont récemment poussé les Etats-Unis à se remettre à la table des négociations. En avril, Washington a ainsi discuté avec l’Union européenne et Israël d’un possible accord intérimaire permettant une levée de sanctions plus modeste en échange d’un allègement d’une partie du programme nucléaire iranien. Médiateur traditionnel dans la région, le sultan d’Oman Haitham ben Tareq Al Said a effectué une visite de deux jours en Iran le 28 mai. Téhéran et Washington ont néanmoins démenti le 8 juin une information de MEE selon laquelle les deux parties s’approcheraient d’un tel accord provisoire.
Samedi 10 juin, lors d’un échange téléphonique avec son homologue iranien Ebrahim Raïssi, le président Macron a souligné l’importance que Téhéran prenne des mesures de désescalade et respecte les engagements pris auprès de l’AIEA. Quelques jours plus tôt, le chef de l’agence atomique, Rafael Grossi, avait jugé « trop lente » la coopération de Téhéran sur la réinstallation de caméras de surveillance sur plusieurs sites nucléaires, une décision prise le 4 mars dernier avec celle d’augmenter le rythme des inspections.
Le 30 mai, l’agence de presse officielle iranienne IRNA rapportait cependant que Téhéran et l’AIEA avaient par ailleurs clos deux litiges relatifs à la présence de traces d’uranium enrichi sur trois sites non déclarés. La fermeture de l’enquête était une condition iranienne pour un retour au JCPOA l’été dernier.
En parallèle, l’Irak a accepté de payer environ 2,76 milliards de dollars de dettes de gaz et d’électricité à l’Iran après avoir reçu des Etats-Unis une dérogation aux sanctions, a déclaré le 10 juin le ministre irakien des Affaires étrangères. Cette dérogation confirme que les Etats-Unis sont prêts à répondre aux récentes concessions iraniennes et que les deux pays explorent différentes options pour surmonter l’impasse des négociations nucléaires.
Une dynamique est donc certainement en train de se mettre en place pour parvenir à un nouvel accord avec Téhéran, mais il faut rester sceptique quant aux informations qui suggèrent que le JCPOA est en train d’être relancé. Les parties cherchent avant tout à apaiser les tensions. Certains médias laissent entendre qu’en contrepartie d’un arrêt du développement de son programme nucléaire et d’un échange de prisonniers, l’Iran pourrait obtenir le dégel d’une partie de ses avoirs, ainsi que la possibilité d’exporter jusqu’à un million de barils de pétrole par jour.
Cette dernière concession pourrait profiter au président Biden avant les élections de 2024, évitant une crise régionale avec l’Iran, mais aussi en freinant la montée des prix du brut que la récente décision saoudienne de diminuer sa production a suscitée. Pour le président-candidat, il s’agit de contourner l’opposition bipartisane à tout accord avec la République Islamique, notamment face aux craintes qu’une levée des sanctions contre l’Iran bénéficie indirectement à Moscou. Une « entente » plus limitée, qui ne nécessite pas un vote au Congrès, pourrait ainsi faire l’affaire, surtout si elle est accompagnée d’une libération de ressortissants américains détenus en Iran. Le 12 juin, Téhéran a fait savoir qu’un échange de prisonniers avec les Etats-Unis pourrait bientôt avoir lieu.
Sur le plan régional, Washington s’est récemment montré très actif auprès de son allié israélien et de son partenaire saoudien, laissant penser qu’il les a informés de l’avancée du dossier. En 2015, reproche lui avait en effet été fait de ne pas avoir associé les pays du Golfe aux négociations préalables à la signature de l’accord de Vienne. Au côté de l’Etat hébreu, ces derniers avaient ensuite décrié l’accord, anticipant une extension de l’influence de l’Iran dans la région. Aujourd’hui encore, Israël pourrait essayer de perturber les négociations par une pression diplomatique, le partage des renseignements, des déclarations publiques ou des actions clandestines.
Pour sa part, en se montrant plus ouvert aux négociations, Téhéran ne s’engagera pourtant pas dans un accord avec les Etats-Unis sans garantie qu’ils ne s’en retirent pas une nouvelle fois.
La question clé dans le discours de Khamenei sur « l’industrie nucléaire qui ne doit pas être touchée » est ce à quoi il fait référence : les centrifugeuses avancées, les réserves d’uranium enrichi etc. Une chose est sûre, le Guide Suprême a clairement dit qu’il n’accepterait aucun accord qui saperait les capacités nucléaires de l’Iran.
En somme, l’apaisement récent des tensions dans la région crée les conditions de la recherche d’un accord limité évitant le risque d’une action militaire et freinant le programme nucléaire iranien. Il reste à savoir si sur le plan politique, à Washington et peut-être aussi à Téhéran, les modalités d’un tel accord seront acceptées. Les pays du Golfe auront par ailleurs leur mot à dire, comme ils l’ont exprimé récemment, car cette « entente » aurait des implications majeures sur leur sécurité (l’avenir du programme nucléaire iranien) et leurs revenus (une baisse des cours du brut en cas de reprise des exportations iraniennes). La fenêtre d’opportunité avant les élections présidentielles américaines existe bien, mais la négociation ne sera pas facile.