G 20 – projet de couloir logistique reliant l’Inde, le Moyen Orient et l’Europe
N’ayant pu se prévaloir de rassembler les économies émergentes du G20 autour d’une position forte contre la Russie ou sur le climat, les Occidentaux ont brandi une autre victoire : le président Biden a dévoilé samedi dernier un important projet de couloir logistique visant à relier l’Inde, le Moyen-Orient et l’Europe par des chemins de fer, des lignes maritimes, des pipelines et des câbles à haut débit. Alors qu’un protocole d’accord a été signé entre les États-Unis, l’Inde, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, l’Union Européenne, la France, l’Allemagne et l’Italie, le locataire de la Maison Blanche a déclaré qu’Israël et la Jordanie feraient aussi partie de cette initiative, qu’il a vantée comme historique. Il a ajouté que le corridor offrirait des opportunités infinies aux pays concernés, rendant le commerce et l’exportation d’énergie propre plus faciles et connectant les communautés, contribuant ainsi à un Moyen-Orient plus stable et prospère.
Quelques incertitudes planent encore, comme le budget ou les routes exactes du projet, qui devraient être discutées au cours des deux prochains mois. En tout cas, celles-ci devraient suivre une trajectoire simple de plus de 4 800 km, qui partirait des côtes indiennes par la mer pour arriver aux Émirats, traversant ensuite l’Arabie Saoudite, la Jordanie et Israël en transport ferroviaire, avant d’atteindre l’Europe en bateau. Baptisé IMEC (India Middle East Europe Economic Corridor), le plan vise officiellement à faciliter le commerce de marchandises et d’énergies renouvelables via des câbles, y compris de l’hydrogène à exporter par des canalisations le long des voies ferrées qui seront construites entre ces différentes régions.
Un projet avantageux pour Washington, qui peut ainsi laisser se créer une alliance entre pays alliés sans trop s’impliquer. Selon certains observateurs, les États-Unis et l’Europe comprennent que leur modèle de relation avec l’Asie du Sud et le Moyen-Orient est obsolète, car ils ne peuvent plus dicter à ces pays ce qu’ils doivent faire. Ils adoptent donc une approche plus inclusive, faisant en sorte que les pays de la région deviennent des partenaires égaux entre eux. Le tout avec un but implicite : concurrencer la Belt and Road Initiative (BRI) de la Chine et ses ambitions tentaculaires de relancer les anciennes routes de la soie. Il n’y a sans doute aucun hasard dans le fait que l’IMEC ait été dévoilé à un mois de la prochaine conférence de la BRI à Pékin. Dans ces deux entreprises concurrentes, l’objectif est de faciliter le contrôle des flux commerciaux tout en gagnant en influence, alors que Washington est accusé de s’être désengagé du Moyen-Orient ces dernières années.
L’IMEC présente aussi une aubaine pour les pays du Golfe avec leur position au centre du corridor, les muant en plaques tournantes des échanges entre l’Asie et l’Europe. Ces États pourraient en effet être davantage en mesure de devenir des pôles de transport et de commerce reliant les trois continents. Et comme ils font déjà partie de la BRI, il y aura sans doute une concurrence entre les deux projets, qui dépendront des pétromonarchies pour leur bon fonctionnement, leur donnant ainsi de nouveaux leviers auprès des différentes parties prenantes.
La semaine précédente, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, se rendait à Abou Dhabi pour y rencontrer Mohamed ben Zayed afin de discuter de l’IMEC. Un déplacement qui s’inscrivait avant tout dans le cadre de visites de hauts responsables américains et européens destinées à convaincre les EAU de mettre un frein à leur coopération avec la Russie. L’IMEC donne ainsi l’occasion à la fédération émiratie de rassurer les Occidentaux. Lors du G20, Joe Biden a remercié les Émirats pour leur impulsion dans la création du projet. Remercier publiquement les EAU est un geste de bonne volonté, mais aussi un signal que la plupart des intérêts émiratis et américains se chevauchent et que la force des relations indo-émiraties a finalement rendu cette initiative possible, ce qui rime avec la grande stratégie américaine pour cette région.
Dans cette perspective régionale, la participation prévue d’Israël à l’IMEC est significative, alors que Washington pousse pour un établissement rapide des relations entre l’État hébreu et le royaume saoudien. Le plan permet ainsi à Riyad de se rapprocher de Tel Aviv tout en évitant d’officialiser une normalisation qui présente encore de nombreux obstacles. Les échanges entre les deux pays devraient en effet transiter par la Jordanie. Face à son voisin émirati qui a signé les accords d’Abraham en 2020 déjà, l’Arabie Saoudite cherche néanmoins à se positionner en force. Le prince héritier Mohamed ben Salman ambitionne, malgré la concurrence régionale, de faire de son pays un hub dans tous les secteurs : commerce, transport, technologie, énergie fossile et décarbonée, sport, culture… Alors que les Émirats jouissent déjà de flux commerciaux et financiers importants à l’international, l’activisme de MBS pour mieux connecter son royaume au reste du monde va certainement davantage porter ses fruits dans le cadre d’un projet comme l’IMEC, qui apparaît comme nouveau, tout comme les initiatives du dirigeant saoudien.
On peut dire que les États du Golfe comme l’Inde sont les plus grands gagnants de l’IMEC, car ils deviennent la cheville ouvrière d’un corridor économique et commercial soutenu par l’Occident, tout en étant simultanément capables de préserver leur autonomie stratégique.
Sur le plan économique, le projet pourrait donner une impulsion au plan du gouvernement Modi visant à stimuler les exportations du sous-continent, ces dernières ayant décliné de 22% en juin par rapport à l’année précédente. L’Inde espère profiter de l’IMEC pour pallier ce déclin et bénéficier d’un accès plus facile à l’Europe et au Moyen-Orient. La politique de l’Inde visant à stimuler ses exportations, en particulier de marchandises manufacturées, sera au cœur des discussions lors de la conférence sur la BRI à Pékin.
Un projet aussi vaste et ambitieux ne va pas sans challenges. La coopération entre des pays aussi différents et souvent en concurrence risque d’être complexe. Toutefois, s’ils réussissent à mettre de côté leurs différends, le corridor pourrait changer la face du commerce mondial et des relations interétatiques. La balle est maintenant dans le camp des leaders des pays impliqués pour décider comment concrétiser cette vision.