Traditionnellement, la troisième semaine de septembre voit affluer vers les Nations Unies à New York des dizaines de chefs d’Etat qui viennent échanger sur les progrès accomplis ou à accomplir pour renforcer la coopération internationale et progresser dans le règlement des crises.
Cette année, de façon très significative, quatre des cinq chefs d’Etat et de gouvernements des membres permanents du Conseil de Sécurité ont préféré s’abstenir de faire le déplacement : Xi Jinping, Vladimir Poutine, Rishi Sunak et Emmanuel Macron. En revanche, Zelensky s’est exprimé devant l’Assemblée générale, tandis que la France demandait une réunion d’urgence du Conseil de Sécurité au sujet de la reprise de la guerre au Haut-Karabakh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
Les Nations Unies demeurent le miroir de l’état du monde et ce qu’elles reflètent aujourd’hui est inquiétant : la décennie pleine d’espoir qui a débuté en 1991 avec la fin de l’Empire soviétique et l’ouverture de la Chine, et qui s’est achevée en 2001 avec les attaques terroristes contre les Tours Jumelles de New York, a progressivement cédé la place à ce que nous constatons aujourd’hui : une nouvelle guerre froide s’installe, cette fois-ci entre les Etats-Unis et la Chine, tandis que la guerre a fait son retour sur le sol européen avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
De façon très significative, quelques jours après le début de l’agression russe, l’Assemblée générale de l’ONU a voté le 2 mars 2022 une résolution exigeant le retrait de la Russie et appelant à une « paix globale, juste et durable en Ukraine », sur la base de la Charte des Nations Unies. Certes, 141 des 193 pays membres votèrent en faveur de ce texte. Mais comment ne pas relever que, parmi les 45 pays qui s’abstinrent ou ne participèrent pas au vote, figurent : la Chine, l’Inde, le Vietnam, l’Algérie, le Cameroun, le Gabon, le Togo, la Guinée, le Sénégal, l’Ethiopie, l’Afrique du Sud…
Ce vote marque la naissance de ce que l’on appelle aujourd’hui le « Sud Global ». Il illustre la renaissance de ce qu’on appelait naguère le Mouvement Non-Aligné. Ces pays disent oui, bien sûr, à la modernisation de leurs économies. Ils continuent de dire oui, avec certaines réserves, à la globalisation. Mais ils disent non à l’occidentalisation de l’ordre international et de leurs sociétés.
Pour la plupart des pays du « Sud Global », la Chine est désormais le principal partenaire économique et un pourvoyeur majeur de financements. Pas question, pour eux, de se laisser entraîner dans la croisade anti-chinoise des Etats-Unis. Quant à la Russie, bien sûr, elle est l’agresseur en Ukraine. Mais nombreux sont les dirigeants du « Sud Global » qui nous font comprendre que cette guerre ne les concerne pas. Ils veulent – littéralement – demeurer « non-alignés ». Bien comprendre les raisons et évaluer les conséquences de l’affirmation de ce « Sud Global » est un défi majeur pour les autorités françaises et européennes. Car face à ce contexte géopolitique en voie de fragmentation, le monde doit absolument parvenir à gérer efficacement, c’est-à-dire globalement, les crises de notre siècle, à commencer par le réchauffement climatique.
Or ni les Etats-Unis (absorbés par leur prochaine élection présidentielle) ni la Chine (confrontée à des problèmes économiques majeurs) ne sont en mesure aujourd’hui de montrer un chemin positif susceptible de rallier une majorité de pays. Mais l’Union européenne, qui doit gérer ses propres difficultés, en a-t-elle la capacité ?