L’ignoble attentat commis par le Hamas contre la population israélienne a vu son onde de choc retentir jusqu’à Rabat. Au lendemain d’un séisme qui a meurtri sa population et à l’heure où le Royaume se mobilise à la fois pour la reconstruction, mais également pour accueillir le gotha de la finance mondiale pour les Annual meetings du FMI et de la Banque mondiale, la position du Maroc – signataire des accords d’Abraham – sur ce conflit est scrutée par les chancelleries et les médias internationaux.
A la différence des autres pays du Maghreb, le Royaume du Maroc a officiellement condamné les attaques du Hamas à l’encontre d’Israël et son inquiétude d’une aggravation des tensions dans la région, appelant les parties à éviter toutes formes d’escalade pouvant saborder les chances de paix dans la région. Il s’agit là d’une condamnation claire à l’encontre d’un groupe terroriste ayant conduit une action épouvantable qui a touché les populations civiles israéliennes. Rappelons d’ailleurs que le Maroc dispose d’une forte diaspora en Israël représentant près de 10% de la population israélienne ayant, soit la nationalité marocaine, soit des origines et attaches familiales fortes, et dont les liens avec leur pays natal mais surtout avec la Monarchie chérifienne n’ont jamais étés distendus. La position équilibrée du Maroc vient donc rassurer sa propre diaspora et s’inscrit surtout dans la doctrine marocaine au Moyen-Orient, initiée déjà par feu le Roi Hassan II et poursuivie avec détermination par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Cette doctrine se caractérise par des valeurs de paix et de dialogue inter-religieux et est incarnée par une diplomatie militante qui ne ménage aucun effort pour mener des médiations et apaiser les tensions régionales. A ce titre, le Maroc a de suite appelé à une réunion d’urgence du conseil de la Ligue arabe, qui s’est tenue mercredi 11 octobre sous la présidence du Ministre marocain des Affaires étrangères. L’ambition assumée est de mettre un terme à la dangereuse escalade qui menace la région, renforçant ainsi le rôle singulier du Maroc dans le concert des Nations arabes.
Cette position – pourtant juste et équilibrée – isole le Royaume au sein d’un Maghreb divisé. La Tunisie a qualifié les actes du Hamas de « combat sur la voie de la libération et du recouvrement de la Palestine de tous ses droits légitimes », et a appelé le peuple tunisien « à prêter main-forte aux Palestiniens ». Le Président Kais Said, qui a toujours considéré la cause palestinienne comme la première cause de son pays, continue de surfer sur la fibre palestinienne pour réaffirmer son leadership dans une Tunisie traversée par une profonde crise socio-économique. Idem en Algérie, où le régime militaire et le Président Tebboune ont qualifié les terroristes du Hamas de « martyrs tombés face à l’entêtement de l’occupation sioniste dans sa politique d’oppression et de persécution ». Alger et Tunis perçoivent ainsi le Maroc comme un pays qui s’est compromis moralement en rejoignant les accords d’Abraham. En refusant de suivre le sens de l’Histoire, et rejoindre une dynamique qui ne peut que contribuer à une solution globale et juste pour les deux Etats, Alger et Tunis font obstruction à la construction de la paix dans la région mais ralentissent également le développement du grand Maghreb pourtant si nécessaire au développement des trois pays.
Si la position du Maroc l’isole de ses voisins, les signaux internes à sa population restent les plus inquiétants, car la rue marocaine bouillonne. Et comme souvent dans notre région, c’est au sein des stades de football que les premières étincelles se déclenchent. A Casablanca dimanche dernier, les supporters du Raja Club Athletic – connus pour être fortement conscientisés et souvent contestataires – ont chanté pour la Palestine durant les 90 minutes du match les opposant au club de Tetouan. Sur les réseaux sociaux, où la jeunesse marocaine s’exprime librement depuis le printemps Arabe, les internautes marocains relaient vidéos et photos de la bande de Gaza, s’appuyant sur plusieurs hashtags en soutien à la Palestine. C’est l’occasion pour une partie de l’opinion publique marocaine d’exprimer publiquement un rejet souvent latent, des accords d’Abraham impulsés en 2020 par l’administration Trump. L’expression publique du Parti Justice et Développement (PJD, le parti islamiste marocain) est particulièrement importante. Le PJD a apporté son soutien aux « résistants du Hamas » et à leur « réaction naturelle et légitime aux violations quotidiennes commise par l’ennemi sioniste ». C’est pourtant le même PJD, par la voix de son secrétaire général Saadeddine El Othmani alors Chef du gouvernement, qui a signé les accords d’Abraham. De retour dans l’opposition après une débâcle aux élections législatives, le PJD semble vouloir se refaire une virginité politique en renouant avec son discours radical et populiste qui l’a mené au pouvoir il y a dix ans.
Le Maroc a une longue tradition de terre d’accueil et la population marocaine a toujours ouvert ses bras à ses compatriotes de confession juive. Depuis la « normalisation », Marrakech vit au rythme des visites, des célébrations et des mariages de la communauté juive, grâce à la Royal Air Maroc qui opère des liaisons directes avec Israël et aux hôtels du Royaume qui ont conçus une offre spécifique aux touristes israéliens désireux de se ressourcer dans leur pays d’origine. Nul doute que le Maroc saura se prémunir de toutes formes de populisme et préserver les acquis de tolérance et de générosité qui le caractérise.