Une société israélienne divisée et une concentration des moyens militaires en Cisjordanie
Le sixième gouvernement Netanyahou, formé à l’issue des élections législatives du 1er novembre 2022 est une coalition composée de six partis de droite et d’extrême droite. Ce gouvernement a fracturé la société israélienne, notamment lors du projet de la réforme judiciaire qui va donner lieu à l’un des plus importants mouvements de contestation qu’ait connu le pays depuis sa création en 1948. Les opposants à la réforme arguaient que les changements proposés allaient faire basculer la démocratie israélienne vers un régime autocratique illibéral. De l’autre, les soutiens à la réforme mettaient en avant que cette dernière permettrait de rétablir la « souveraineté du peuple » et de ses élus. Prise entre deux feux, Tsahal va être confrontée à une sédition de réservistes qui vont annoncer leur refus de servir. D’ailleurs, Yoav Galant, ministre de la Défense qualifiera cette fracture qui pénètre la société israélienne et l’armée comme étant un danger immédiat et tangible pour la sécurité de l’Etat d’Israël.
D’un point de vue sécuritaire, Israël avait concentré ses moyens militaires en Cisjordanie avec notamment le transfert de trois bataillons de la région Sud afin de renforcer la sécurité des colonies de Cisjordanie sans prêter attention à la menace qui pesait sur les populations du Sud d’Israël. Le journal Haaretz indique que les services de renseignement israéliens ont reçu des « signaux faibles » en provenance du Sud du pays mais qui n’ont pas eu pour effet un relèvement du niveau d’alerte. Le Shin Bet craignant une possible incursion visant à enlever un ou des Israéliens, a dépêché « une petite équipe opérationnelle » et dès le lendemain, celle-ci se retrouvait à affronter des combattants du Hamas dans un kibboutz près de la frontière avec Gaza.
Un 11 septembre israélien
Le bilan de l’attaque terroriste du Hamas contre Israël ne cesse de s’alourdir avec plus de 1400 morts, plus de 3 800 blessés et environ 200 otages israéliens actuellement retenus dans la bande de Gaza. Cette attaque terroriste fut d’une barbarie sans nom : des hommes, des femmes, des enfants dont des bébés qui vont être assassinés de sang-froid, violés, décapités, brulés. Le Hamas a appliqué aux kibboutz du sud d’Israël les méthodes sauvages de Daech, c’est-à-dire tuer sans limite, mais aussi prendre tout ce qui était à portée, à savoir du matériel militaire, de l’argent, des otages.
Ainsi, le Hamas a fait, proportionnellement à la démographie du pays, « pire » que les attaques contre le World Trade Center de New York.
Un échec politique de Benyamin Netanyahou et une défaillance du renseignement israélien
Dès le lendemain des attaques, il a été rapidement question de surestimation technologique d’Israël pour contenir les menaces pouvant venir de Gaza. De nombreux experts contestent les choix de Tsahal concernant l’utilisation de matériel militaire de pointe automatisé, comme les systèmes de surveillance, d’alerte, de riposte, au détriment des habituelles patrouilles de régiments quadrillant les zones sensibles.
Mais au-delà de cette question, on peut légitimement s’interroger sur une potentielle défaillance du renseignement israélien. Depuis lundi dernier, des indiscrétions en provenance de hauts responsables israéliens et des analyses de la propagande du Hamas aboutissent au même constat : les préparatifs de cette opération de grande ampleur se sont déroulés sous le nez des renseignements israéliens. Et aucune mesure n’a été prise. Une autre enquête d’un spécialiste de la politique israélienne, Barak Ravid, s’appuie sur les récits de trois responsables : « Ceux-ci confirment que, la veille de l’offensive, les renseignements israéliens ont constaté une augmentation de l’activité du Hamas à Gaza et suggéré même une attaque en préparation. Plusieurs consultations, qui ont eu lieu en présence du chef d’état-major et du directeur du Shin Bet, ont conduit à envoyer deux équipes réduites de forces spéciales au Sud du pays. Une réponse a posteriori totalement inadaptée, d’après les sources de Barak Ravid, qui évoquent clairement une erreur d’appréciation ».
Les officiers généraux ont immédiatement assumé leur échec complet, tout en en adaptant et improvisant sans attendre des directives et des ordres. Cependant, la responsabilité la plus lourde incombe à une mauvaise analyse stratégique de la situation par Benyamin Netanyahou. Selon Samy Cohen, Politiste, spécialiste des questions de politique étrangère et de défense, Benyamin Netanyahou « avait tout intérêt à avoir à son flanc Sud un Hamas relativement fort, pour pouvoir dire qu’Israël ne pouvait pas négocier avec une société palestinienne divisée. Un Hamas omniprésent était vu comme une assurance protégeant de toute pression internationale en faveur de la reprise des pourparlers israélo-palestiniens. Cette stratégie s’est doublée d’une croyance naïve selon laquelle il fallait aider le Hamas à se maintenir en lui faisant des concessions qui lui permettraient d’améliorer le sort de sa population, assurant ainsi des périodes plus ou moins longues d’accalmie à la frontière ».
Fin de règne de Benyamin Netanyahou
Les répercussions politiques de cette attaque terroriste vont être majeures. Benyamin Netanyahou ne survivra pas politiquement à l’un des plus grands désastres de l’Histoire d’Israël. Certes, les Israéliens font bloc derrière leur drapeau, mais plus tard viendra l’heure des commissions d’enquête parlementaires, chargées de faire la lumière sur les causes de l’échec du 7 octobre. Mais, dans les rues, la colère du peuple israélien contre son Premier Ministre est palpable.
Vendredi dernier, le journal le Maariv a publié un sondage faisant état d’une véritable chute libre de la cote de popularité du Premier Ministre et de celle de son parti. Cette dégringolade s’accompagne d’une montée en flèche de Benny Gantz, ancien chef d’état-major, ancien ministre de la Défense, et chef du parti centriste Hosen l’Yisrael, qui se voit désormais crédité de 41 sièges en cas d’élections. À la question « De Netanyahou ou de Gantz, lequel est le plus à même de devenir Pemier Ministre ? », Gantz l’emporte à 48 %, dominant de 19 points le Premier Ministre.
Face à la gravité de la situation, Benny Gantz et Benyamin Netanyahou ont annoncé mercredi 11 octobre la formation d’un gouvernement d’urgence. Un cabinet de guerre a été créé, comprenant le Premier ministre, le ministre de la Défense, Yoav Gallant, et Benny Gantz. Le centriste Yaïr Lapid, actuel chef de l’opposition, a, de son côté, refusé de se prêter
au jeu de la coalition. Il réclame l’éjection de certains ministres du gouvernement, à commencer par celle de Bezalel Smotrich, ministre des Finances et celle d’Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale.
Après la guerre, la paix ?
Aujourd’hui la sécurité de l’Etat d’Israël passe par l’élimination du Hamas. Face à l’horreur, Israël a le droit de se défendre et doit le faire en préservant les populations civiles. D’ailleurs, avant de procéder à une éventuelle offensive terrestre et en amont de l’ensemble des frappes aériennes de Tsahal, Israël demande l’évacuation des populations civiles (appels téléphoniques, largage de tracts) mais les terroristes du Hamas empêchent sa population de fuir le Nord de Gaza pour se réfugier au Sud, diffusent des fakes news et utilisent la population gazaouie en tant que bouclier humain en dissimulant armements et combattants dans les écoles, les hôpitaux et autres bâtiments publics. Oui, cette guerre va engendrer des victimes civiles à Gaza – ce que l’on ne peut que déplorer -, mais cela est de la seule responsabilité du Hamas qui prend en otage les gazaouis et la cause palestinienne. Jamais l’armée israélienne ne ciblera de manière délibérée des civils à l’inverse des terroristes du Hamas.
En parallèle de la riposte militaire israélienne, il serait bon de s’interroger sur les sanctions /actions que la communauté internationale doit prendre contre les soutiens / alliés du Hamas qui ont contribué de manière directe ou indirecte à l’organisation de ces attaques :
– Le Hezbollah d’un point de vue militaire (armement et formation des combattants du Hamas) ;
– L’Iran (armement et formation des combattants du Hamas, fourniture de renseignements, soutien financier) ;
– Le Qatar (hébergement des chefs du Hamas à Doha et financement du Hamas) ;
– La Corée du Nord (fourniture d’armements).
Selon Eva Illouz, Sociologue, « à la fin de ce conflit, il est possible que Israël se divise encore plus profondément qu’avant la guerre. La droite accuse déjà les protestataires d’avoir été des traîtres et d’avoir permis ce désastre alors que le camp démocratique a tous les droits de penser que ce sont les réformes judiciaires et la négligence du gouvernement qui sont responsables de la situation ».
Néanmoins, il faudra envisager la paix. Israéliens et Palestiniens devront apprendre à cohabiter l’un à côté de l’autre mais cela ne sera possible qu’à deux conditions :
– Destruction du Hamas, jamais les Israéliens ne pourront accepter une paix avec la présence de cette organisation terroriste à sa frontière ;
– Désolidarisation de la part des Palestiniens avec les méthodes barbares du Hamas.
A partir de ce moment, il faudra trouver un interlocuteur palestinien pouvant incarner le dialogue. Forcément, il aura du « sang sur les mains » mais il ne sera pas labellisé Hamas ou Jihad Islamique et n’aura pas sombré dans les turpitudes de l’Autorité Palestinienne concernant la gestion de la Cisjordanie. Ainsi, selon un sondage réalisé par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, la figure qui fait le plus consensus afin de remplacer Mahmoud Abbas est Marwan Barghouti. Ofer Bronchtein, Président du Forum international pour la paix et ancien conseiller d’Yitzhak Rabin, abonde dans ce sens : « On peut imaginer la libération de Marwan Barghouti, ancien chef de file d’une faction armée du Fatah, dans le cadre de possibles échanges destinés à ramener des otages israéliens. Ce dernier fait l’unanimité. Il connaît bien la société israélienne. Il pourrait rassembler les factions palestiniennes et les mener vers des négociations difficiles mais prometteuses avec Israël ».
Enfin, une reprise des négociations de paix pourra être l’occasion de relancer les accords d’Abraham qui se trouvent au point mort. L’Arabie Saoudite et le Maroc peuvent jouer un rôle nouveau sur ce sujet en appui des intermédiaires historiques que sont l’Egypte et la Jordanie.