Premières conséquences diplomatiques de la guerre à Gaza

10.11.2023 - Regard d'expert

L’attaque surprise du Hamas le 7 octobre a perturbé certaines des dynamiques qui ont façonné la politique au Moyen-Orient ces dernières années :

1 / le conflit israëlo- palestinien

La première dynamique, et la plus évidente, est la perception erronée selon laquelle la question palestinienne n’a plus d’importance pour les Arabes et que la stabilité dans la région est possible même si les Palestiniens souffrent toujours d’une occupation brutale. La réaction dans les rues arabes montre que l’injustice à laquelle sont confrontés la Palestine et les Palestiniens reste un problème majeur susceptible d’alimenter la colère populaire dans toute la région. Cela explique la forte réaction contre Israël de la part des gouvernements arabes, même les plus complaisants. Le conflit à Gaza a ramené la Palestine au centre du débat public et ravivé les appels en faveur d’une solution politique au problème palestinien, connue sous le nom de solution à deux États.

La crise a également alimenté un sentiment anti-occidental croissant lié au soutien apparemment sans réserve d’Israël au bombardement de Gaza. Ces accusations de « deux poids, deux mesures » sapent également les efforts diplomatiques occidentaux visant à obtenir le soutien du Sud à l’Ukraine et la nécessité de maintenir un ordre international fondé sur des règles.

2 / la normalisation avec Israël

Le 7 octobre a également gelé les progrès des accords d’Abraham, qui visent à établir une nouvelle architecture sécuritaire et économique incluant principalement les États du Golfe et Israël, et intégrant progressivement ce dernier dans la région. Cependant, ce processus de normalisation porte atteinte au principe du territoire pour la paix consacré dans les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité et réitéré dans l’Initiative de paix arabe de 2002.

L’annonce récente de la route commerciale Inde-Moyen-Orient-Europe lors du dernier G20 ne fait que souligner le fait que le principal sponsor de ces accords (les États-Unis) se concentre sur la région du Golfe, laissant Israël, le Levant et les Palestiniens sur le qui-vive. les marges changent. Ce dernier s’est donc retrouvé sans soutien régional, laissant l’Iran combler le vide, se considérant comme le seul véritable soutien à la cause palestinienne.

Le pilier le plus important de ce nouvel ordre régional devait être la normalisation des relations entre l’Arabie Saoudite et Israël, dont les négociations ont été suspendues après le 7 octobre. La reprise éventuelle des pourparlers israëlo-saoudiens dépendra – outre des accords sécuritaires demandés par le royaume aux Etats-Unis – de la cessation des hostilités à Gaza, des efforts pour renforcer l’Autorité Palestinienne (y compris à Gaza) et de la forme à venir du gouvernement israélien (probablement sans Netanyahou).

3 / l’influence iranienne

Une troisième hypothèse que le 7 octobre a pu renverser était que les efforts déployés par l’Iran au fil des décennies pour consolider son influence régionale commençaient à porter leurs fruits. Plus tôt cette année, l’Arabie saoudite et l’Iran ont rétabli leurs relations diplomatiques, reflétant la reconnaissance implicite par Riyad d’un réseau d’acteurs non étatiques dans des pays clés du Moyen-Orient, dont la Syrie, l’Irak, le Liban et le Yémen. Les dirigeants saoudiens sont désormais disposés à traiter de manière pragmatique avec Téhéran, accusé d’être un « serpent » pour son influence régionale.

Parallèlement, les négociations entre les États-Unis et l’Iran ont progressé, avec un accord prévoyant la libération de cinq Américains ayant la double nationalité en échange de 6 milliards de dollars d’avoirs iraniens gelés en Corée du Sud.

En même temps, l’Iran avait utilisé ses milices dans la région pour encercler Israël avec des lignes de dissuasion successives à partir du Liban, de Gaza, de la Syrie, et plus loin de l’Irak et du Yémen.

Aujourd’hui tout cela est menacé, même si la guerre à Gaza a réussi – conformément aux objectifs iraniens – à remettre la question palestinienne au centre de l’actualité et à suspendre le dialogue israëlo-saoudien. Téhéran, face à la détermination israëlo-américaine, a préféré ne pas engager à ce stade le Hezbollah dans le conflit à Gaza, afin d’éviter un embrasement général qui l’aurait entrainé dans la guerre et risqué de lui faire perdre son influence acquise au Moyen Orient.

Le succès opérationnel du Hamas a conduit la zone au bord d’un conflit régional, et potentiellement mondial. Le nombre croissant de victimes parmi les Palestiniens et les importantes destructions à Gaza exercent cependant une pression forte sur la stratégie iranienne de « l’unité des fronts ». Téhéran ne souhaite pas être impliqué directement dans le conflit, mais après avoir unifié ses alliés au Liban, à Gaza, en Syrie et en Cisjordanie dans leur lutte contre Israël, il ne peut pas non plus se permettre de ne rien faire si le Hamas est liquidé. D’autre part les Iraniens savent que toute intervention massive du Hezbollah pourrait être catastrophique si elle menaçait directement les atouts régionaux qu’ils ont mis plus de trois décennies à construire.

Pour résoudre ce problème, le Hezbollah a adopté une forme d’escalade avec Israël le long de la frontière sud du Liban. Jusqu’à présent, l’escalade est restée contenue, le discours très attendu du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, allant dans cette direction. Cependant, des groupes pro-iraniens d’Irak, du Yémen et de Syrie ont commencé à mener des attaques directes contre Israël, plaçant la région sur une pente glissante qui pourrait déclencher un conflit plus large.

C’est la raison pour laquelle la diplomatie américaine cherche apparemment à tempérer les ardeurs maximalistes de Netanyahou et de ses alliés, afin d’éviter un embrasement de la région qui aurait un impact très négatif sur l’économie mondiale et la stabilité internationale.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.