L’Argentine, épuisée par la corruption, la pauvreté et l’irresponsabilité fiscale a élu un cheval noir populiste
Le candidat d’extrême droite, Javier Milei, âgé de 53 ans, a remporté le second tour des élections présidentielles en Argentine le 19 novembre dernier. Le candidat libertaire a vaincu le représentant péroniste Sergio Massa (Unión por la Patria) et est ainsi devenu le président élu ayant obtenu le plus grand nombre de votes de l’histoire du pays.
Économiste de formation, Milei se présente comme une personnalité extérieure à la politique traditionnelle, affirmant vouloir lutter contre ce qu’il appelle la “caste politique” de l’Argentine. Avant de s’engager en politique, il a travaillé dans le secteur privé, notamment dans une banque et dans une entreprise gérant des retraites et des pensions. Il a également occupé le poste d’économiste en chef à la Fondation Acordar, affiliée au péronisme, et ancien candidat à la présidence Daniel Scioli. En tant que professeur d’université, Milei est devenu familier du public argentin en tant qu’invité dans des émissions de radio et de télévision. En 2021, avec un discours enflammé « contre tout et contre tous », il a remporté sa première élection en tant que député fédéral pour son parti La Libertad Avanza, fondé la même année. Il est souvent comparé à l’ancien président américain Donald Trump et à l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro. La vie personnelle de Milei est devenue un sujet de discussion pendant la campagne avec la publication d’une biographie non autorisée par un journaliste, qui expose la relation de l’économiste avec l’ésotérisme après la mort de son chien Conan en 2017.
La victoire de ce personnage excentrique, surnommé « El Loco », peut sembler surprenante, mais elle découle du désespoir des argentins. L’endettement extérieur, le manque de réserves, l’inflation élevée et l’augmentation de la pauvreté reflètent des problèmes dans la gestion macroéconomique qui persistent depuis longtemps. La pauvreté touche plus de 40% de la population, l’inflation annuelle atteint environ 138%, et le taux d’intérêt dépasse les 130% par an. Le PIB a chuté d’environ 5% au cours des 12 derniers mois, principalement en raison du manque d’investissements, tant gouvernementaux que privés. Au deuxième trimestre de cette année, la dette extérieure de l’Argentine s’élevait à 276,201 milliards de dollars. Quant à la dette du pays envers le FMI, elle atteint environ 44 milliards de dollars.
Dans le classement de la perception de la corruption établi par l’ONG Transparency International, l’Argentine occupe la 94e position. Par ailleurs, l’ancienne présidente de l’Argentine et leader du mouvement péroniste Cristina Fernández de Kirchner, qui a gouverné le pays entre 2007 et 2015, a été impliquée dans plusieurs scandales, y compris une condamnation pour corruption en décembre 2022.
De fait, ce scénario dégradé est un terrain fertile pour la montée populiste. Milei propose des solutions faciles, voire magiques, pour résoudre des problèmes complexes. Lors de sa campagne, il a promis de dollariser l’économie et d’éliminer la Banque centrale, deux engagements économiquement et politiquement irréalisables. Il s’est engagé à retirer ‘”immédiatement” toutes les restrictions de change qui limitent les achats de dollars par les Argentins. Il envisage également de privatiser des entreprises publiques, y compris le groupe pétrolier YPF. En ce qui concerne les affaires étrangères, Milei a affirmé pendant la campagne présidentielle qu’il n’aurait pas de rapports avec des “pays communistes” et a même menacé de rompre les relations avec le Brésil et la Chine, les deux principaux partenaires commerciaux de l’Argentine. Par ailleurs, il a déclaré vouloir sortir du Mercosur ou du moins en changer profondément les normes.
Toutes ces propositions ne seront certainement pas mises en place. Néanmoins, nous pouvons espérer un mandat libéral, à l’image de celui du péroniste de droite Carlos Menem. Selon Milei, le meilleur président de l’histoire de l’Argentine, mettant particulièrement en avant son programme de réformes et de privatisations. Menem a privatisé de nombreuses entreprises d’État, mais pour ce faire, il a bénéficié de deux mesures clés : la Loi sur la Réforme de l’État et la Loi d’Urgence Économique. Les deux lois, adoptées avec les deux tiers des voix de la Chambre et du Sénat, ont donné à Menem des pouvoirs étendus pour mettre en œuvre les réformes souhaitées par Milei. Cependant, le manque de soutien au Congrès menace la viabilité de son futur gouvernement, dont l’investiture doit avoir lieu le 10 décembre. Les soutiens de Macri et de Bullrich ne seront pas suffisants, car Milei n’aura même pas un tiers des votes à la Chambre et au Sénat.
Milei tente de constituer son gouvernement pour obtenir un soutien suffisant à ses propositions, allant jusqu’à solliciter le péronisme. Hier, il a confirmé l’incorporation à son équipe du député Florencio Randazzo, ancien ministre du gouvernement de Cristina Kirchner (2007-2015), qui était déjà éloigné du kirchnérisme. Selon des sources du gouvernement actuel, d’autres péronistes pourraient emboîter le pas à Randazzo.
Cependant, il n’est pas encore clair si le partenariat électoral réussi avec l’ancien président Macri et l’ancienne candidate Bullrich, tous deux membres de Proposition Républicaine (Pro), se transformera en une coalition gouvernementale avec le parti de Milei. Le soutien de l’ancien chef de l’État au candidat d’extrême-droite au second tour a en pratique rompu l’alliance de centre-droit Juntos por el Cambio. Il reste à voir si le Pro, cofondateur de Juntos por el Cambio, adhérera massivement à Milei. Néanmoins, une chose est sûre : le Pro soutiendra une réduction des dépenses, et il est probable qu’un ajustement fiscal sera mis en œuvre.
Dans ce contexte incertain, associé à l’élection récente d’un président imprévisible, la grande interrogation réside dans la capacité des investisseurs à avoir la confiance nécessaire pour investir en Argentine. En effet, les investissements jouent un rôle essentiel dans la croissance du PIB et la constitution des réserves, un enjeu majeur dans le cadre de la crise économique argentine.
Dans ce contexte empreint d’incertitude, marqué par l’élection récente d’un président au caractère imprévisible, la question centrale réside dans la mesure où les investisseurs auront la confiance nécessaire pour engager des capitaux en Argentine. Il est indéniable que les investissements revêtent un rôle fondamental dans la stimulation de la croissance du PIB et dans l’édification des réserves, constituant des impératifs majeurs au cœur de la crise économique que traverse actuellement l’Argentine. L’avenir du pays, sous la gouvernance de Milei, demeure ainsi suspendu à la capacité du nouveau gouvernement à relever ces défis macroéconomiques et à établir un environnement propice à la confiance des investisseurs. Sera-t-il à la hauteur ?