Le Conflit au Moyen Orient reste sous contrôle, en dépit de débordements possibles
Avec les développements inquiétants des derniers jours, tant en mer rouge qu’en Irak et en Syrie – qui impliquent directement les Américains et les Iraniens – la question qui préoccupe la diplomatie internationale est de savoir si la confrontation qui se déroule entre Israël et le Hezbollah à la frontière sud du Liban va s’étendre ou non. De nombreux analystes prédisent des jours difficiles et la vague d’inquiétude est en train de gagner du terrain.
Toutefois, pour ceux qui suivent attentivement le déroulement des opérations, il est clair que malgré quelques débordements, le conflit reste sous contrôle. En effet, les Israéliens ont violé les règles d’engagement en vigueur depuis 2006 en frappant le cœur de la banlieue sud de Beyrouth ainsi que des zones en dehors du fleuve Litani ; et le Hezbollah a riposté en dépassant à son tour les limites habituelles, frappant en Israël d’abord la base de contrôle aérien de Meron puis le commandement nord à Safed, à une quinzaine de kilomètres de la frontière avec le Liban.
Depuis, la confrontation parait être revenue à ses limites précédentes… jusqu’au prochain débordement. Mais il semble qu’il y ait une volonté générale de ne pas laisser le front avec le Liban s’élargir. D’abord au sein-même du commandement israélien. En effet les responsables à Tel Aviv sont divisés sur la question. Il y a ceux qui veulent à tout prix en découdre avec le Hezbollah sans plus tenir compte des risques et des pertes que cela pourrait engendrer pour les Israéliens ; et ceux qui sont conscients qu’un conflit général avec le Hezbollah pourrait coûter cher à l’armée israélienne. Ce second camp – qui a l’appui de Washington – est en train de grandir et les critiques envers la première option sont désormais formulées clairement.
Ensuite, il faut regarder le tableau plus large, à l’échelle de la région et du monde. En réalité le conflit qui a commencé à Gaza a pris une telle ampleur qu’il est en passe de redéfinir les rôles et les poids des différents acteurs dans l’ensemble du Moyen Orient. Après plus de cent jours de combats à Gaza et dans la région, il ne s’agit plus d’une guerre à laquelle on pourrait mettre fin par un accord de cessez-le-feu.
De l’avis des Israéliens eux-mêmes, ils mènent à Gaza une guerre existentielle en réponse au traumatisme du 7 octobre, et elle ne peut donc s’arrêter que par une victoire qui effacerait les images de ce « jour terrible », Depuis l’éclatement du conflit, les Israéliens paraissent en effet moins « invincibles » et ayant besoin d’un appui significatif des Etats-Unis pour faire face à leurs adversaires. Tous les clichés sur les guerres israélo-arabes, qui jusqu’à ce dernier conflit étaient rapides, sont tombés et les Israéliens veulent les rétablir à n’importe quel prix, même si le conflit doit durer des mois. C’est en tout cas ce que disent les responsables à Tel Aviv qui annoncent que 2024 sera une année de guerre.
Du côté américain, le délai accordé aux Israéliens qui devait expirer en janvier aurait été prolongé jusqu’au printemps, mais sans garantie d’être respecté. L’administration Biden est en réalité convaincue que le terrain a montré que les Israéliens ne peuvent pas parvenir à leur objectif proclamé d’éradication totale du Hezbollah, surtout si le front du Liban s’ouvre en grand. Il faudrait donc faire en sorte qu’ils ne perdent pas politiquement et que les différents protagonistes puissent participer à une conférence élargie similaire à celle de Madrid en 1991 pour redéfinir les rôles et les poids de chacun dans la région. Rappelons que dans le cadre de cette conférence, les Israéliens et les Palestiniens étaient assis à la même table de négociation, et le processus avait abouti aux accords d’Oslo en 1993-1994.
Aujourd’hui, au plus fort de la bataille qui se déroule depuis plus de cent jours à Gaza, aucun des protagonistes ne parait avoir une vision claire pour le « jour d’après », et c’est pourquoi la seule issue raisonnable serait d’organiser une conférence internationale qui réunirait cette fois les Israéliens et les Palestiniens, mais aussi les Américains, les Egyptiens, les Jordaniens, les Iraniens, les Européens et les pays du Golfe.
Ce qui prolonge la guerre actuelle, c’est justement la place que chacun veut avoir dans une telle conférence. Les Israéliens voudraient éliminer le Hamas ; mais ce mouvement s’est taillé une place en tant que l’un des représentants des Palestiniens. De leur côté, les Iraniens veulent augmenter leur rôle en s’imposant – par l’action de leurs proxies dans la région – comme un interlocuteur incontournable face aux Américains. Or, si les combats s’arrêtent à l’heure actuelle, l’Iran craint de ne pas avoir la place espérée en tant que leader de l’ »axe de la résistance ».
Pour toutes ces raisons, les combats semblent appelés à se poursuivre dans la région, et ils constituent d’une certaine façon des messages violents que s’envoient les différents protagonistes. Mais dans ce contexte, cela implique qu’il n’y ait pas de grand vainqueur et de grand vaincu, car trop d’intérêts sont en jeu pour prendre le risque de laisser les choses échapper à tout contrôle. Il faut donc espérer que des débordements n’entrainent pas un dérapage que jusqu’à présent les protagonistes ont réussi à éviter.