Trois points – liés entre eux – devraient être suivis particulièrement cette année au Moyen Orient :
- Les perspectives de sortie de crise à Gaza ;
- La politique de l’Iran ;
- L’attitude des pays du Golfe.
1 / Gaza
Jusqu’à quand va durer ce conflit ?
Quelles conséquences aura-t-il sur les équilibres au Moyen Orient ?
Peut-on espérer que soit enfin traitée la question palestinienne ?
Il est regrettable que la voix de la France et de l’Europe soient aujourd’hui peu audibles, malgré les déclarations du président de la République et de M. Borrell, perçues comme de simples pétitions de principe. En revanche, les Américains paraissent les seuls à la manœuvre pour tenter de trouver une issue au conflit. Outre la dissuasion envers le Hezbollah et l’Iran que représente l’armada américaine en Méditerranée, on ne peut que saluer les efforts d’Antony Blinken pour éviter un embrasement régional, évoquer concrètement la gestion future de Gaza, renforcer l’Autorité palestinienne et réaffirmer avec force la nécessité d’une solution durable sur la base de deux Etats.
Cette tâche est cependant rendue ardue par le maximalisme de Netanyahou (discours sans concession, bombardements à Gaza, au Liban et en Syrie, refus de tout Etat palestinien) alors même qu’il est peu probable qu’il parvienne à réaliser ses objectifs proclamés. Elle l’est aussi du fait des répliques de « l’axe de la résistance » dirigé par Téhéran : attaques des Houthis en mer rouge et des milices pro-iraniennes contre les bases américaines en Irak .
Et pourtant on sait que ni Washington ni Téhéran ne souhaitent un embrasement régional, qui serait terrible pour le Moyen Orient et pour le monde. Mais on ne peut exclure un dérapage, suite à un engrenage de débordements.
Dans ce contexte les pressions américaines sur Netanyahou sont de plus en plus pressantes et on évoque désormais une nouvelle trêve, plus longue que la précédente. Celle-ci pourrait permettre le départ de certaines personnalités du gouvernement israélien, qui entrainerait des élections anticipées et le départ probable de Netanyahou. Etant donnée l’exaspération du président Biden à l’égard du premier Ministre israélien, on ne peut exclure que les Américains poussent en ce sens, car la contestation grandissante au sein du parti Démocrate pose un problème au président Biden dans la perspective des prochaines élections présidentielles de novembre.
On évoque aussi dans cette hypothèse la possibilité d’une libération de Marwan Barghouti, qui aurait la légitimité pour prendre la tête d’une nouvelle Autorité palestinienne. Il s’agit là d’un scénario optimiste dont on ne sait pas si il pourra se réaliser, mais c’est une lueur d’espoir pour sortir de la crise actuelle.
2 / La politique de l’Iran
On sait que l’objectif premier du régime est de préserver son pouvoir, mais aussi son influence dans la région à travers l’action de ses milices affidées en Irak, Syrie, Liban et Yémen.
Mais c’est une ligne de crête difficile à tenir car d’un côté Téhéran pilote « l’axe de la résistance » contre Israël et les Etats-Unis, et de l’autre il veut éviter un embrasement régional qui risquerait de lui faire perdre son joker dans la zone : le Hezbollah, qui certes serait en mesure de faire subir des dégâts considérables en Israël, mais serait probablement blessé à mort dans une confrontation généralisée. C’est la raison pour laquelle Téhéran utilise plutôt les Houthis et les milices irakiennes pour marquer sa capacité de nuisance, afin de se rendre incontournable dans tout arrangement régional. La question demeure cependant – étant donné ce qu’est le régime iranien – quel modus vivendi peut-on trouver avec lui sur le nucléaire, sur son influence dans les pays où il est actuellement dominant et sur la question d’une levée conditionnelle des sanctions ?
Il parait clair que Téhéran a fait une erreur en bombardant des cibles au Pakistan et au Kurdistan irakien, antagonisant ses voisins sans bénéfice évident. Par ailleurs son influence réelle sur les Houthis – qu’il finance et arme – n’est pas claire, étant donnée l’idéologie radicale propre de ce mouvement. Or une sortie de crise honorable au Yémen conditionne tout rapprochement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.
En réalité, l’Iran souhaite avant tout – du fait de la situation catastrophique de son économie – obtenir une levée des sanctions pour dégeler ses avoirs détenus à l’étranger et reprendre ses exportations pétrolières en Europe. Mais si Trump est réélu, quelle sera sa politique envers Téhéran ? C’est une incertitude majeure pour les autorités iraniennes, qui sont par ailleurs préoccupées par leurs prochaines échéances électorales (qui conduiront à la désignation du futur Guide Suprême).
3 / Les pays du Golfe
Quelle est leur attitude face aux développements en cours ?
Il est certain que ces pays, après avoir espéré que la « pression maximale » de Trump sur Téhéran contraindrait le régime à compromettre, ont compris que malgré le réengagement américain au Moyen Orient dans l’affaire de Gaza, il était plus réaliste de tabler sur un apaisement des tensions régionales en reprenant le dialogue avec l’Iran, afin de se concentrer sur la mise en œuvre de leurs « Vision 2030 » , qui est leur véritable priorité. C’est la raison pour laquelle ils diversifient leurs partenaires (rétablissement des relations diplomatiques avec l’Iran et la Syrie, rapprochement avec la Chine, adhésion à l’Organisation de Shangaï et aux BRICS) pour éviter d’être embrigadés dans la compétition sino-américaine et pour défendre leurs intérêts bien compris. C’est un « multi-alignement » qui se traduit notamment par une coopération pétrolière étroite avec la Russie dans le cadre de l’OPEP + et par la perspective d’une normalisation avec Israël que Riyad entend cependant monnayer chèrement – en particulier par un geste significatif des Israéliens en faveur des Palestiniens et par des garanties américaines de sécurité au royaume. La perspective d’une normalisation avec Israël est d’ailleurs devenue l’argument principal de l’administration Biden pour tenter de convaincre Israël de faire preuve de plus de souplesse pour sortir de la crise de Gaza.
En réalité les pays du Golfe estiment désormais que leurs succès économiques seront leurs meilleurs atouts face à l’Iran ; d’où leurs investissements en Irak, leur participation conditionnelle à la reconstruction de la Syrie et leur assistance aux Palestiniens. De fait, le CCEAG apparait de plus en plus comme le nouveau centre de gravité du monde arabe et un pôle de stabilité et de développement dans le monde. Les réformes en cours dans tous ces pays et leurs grands projets de développement attisent en effet l’appétit des entreprises du monde entier. Toutefois on ne peut nier que leur dépendance au pétrole et à la main-d’œuvre expatriée demeurent des faiblesses structurelles qui ne disparaitront pas du jour au lendemain.
Deux points particuliers seront intéressants à suivre :
- Une certaine distanciation est en cours à l’égard de Washington, même si les pays du Golfe restent tributaires pour leur sécurité de la protection américaine et si les consultants et entreprises américaines sont toujours très présents et actifs dans la région. Ces Etats tiennent à leur partenariat stratégique avec la première puissance mondiale, mais ils souhaitent aussi s’émanciper de sa tutelle pour être considérés comme des acteurs autonomes dans le monde multipolaire en émergence. De ce fait les Européens ont des difficultés à faire face à ce réengagement américain, mais aussi à la perspective d’une réélection de Trump qui pourrait modifier à nouveau la donne au Moyen Orient.
- La compétition croissante entre pays du Golfe. L’Arabie Saoudite est la puissance dominante dans la Péninsule Arabique et ses ambitions – politiques, économiques, financières, logistiques, touristiques et culturelles – renforcent ce statut. Les Emirats Arabes Unis en prennent ombrage car ils craignent de perdre leur rôle de pays pionnier dans la région sur tous ces domaines. Le Qatar, dont le dynamisme ne faiblit pas, garde des relations fraiches avec ses voisins émirien et bahreïnien. Quant à Koweït et Oman, ils restent prudents et aimeraient jouer un rôle de médiateur dans la région. Il existe certes des projets communs (monétaires, fiscaux, ferroviaires et de réseau électrique) au CCEAG [NDLR : Conseil de Coopération des Etats Arabes du Golfe], mais la question demeure si ces pays seront capables de créer une entité suffisamment solidaire pour peser collectivement dans la définition des nouveaux équilibres régionaux et mondiaux. On ne peut que le souhaiter, ainsi qu’un renforcement de la coopération avec l’Europe, malgré l’attraction croissante de la Chine et de l’Asie en général comme partenaire privilégié du Golfe dans cette région stratégique.