Sans paranoïa excessive, nous assistons à un bouleversement majeur en zone sahélienne, qu’il soit politique (8 coups d’État en 3 ans), diplomatique (expulsion de diplomates, inversions d’alliance, rappels d’ambassadeur, cessation des relations avec la CEDEAO, rupture avec les organisations internationales), démographique (avec 84 millions d’habitants aujourd’hui et de l’ordre de 196 millions en 2050), sécuritaire (avec non seulement le terrorisme mais aussi l’affrontement entre populations du Nord et du Sud du Sahel qui se profile) ou encore climatique (en un siècle, la superficie du Sahara a crû d’une fois et demie celle de la France et le phénomène s’accentue et s’accélère), le tout sur fond de pauvreté endémique. Tous ces phénomènes interagissent les uns sur les autres, en accentuant les tendances.
En l’absence d’une action énergique et coordonnée et face au constat de l’impuissance des États sahéliens, il est probable que le scénario suivant se concrétise : une zone grise de 3 millions de km2, soit la superficie de la Turquie, abandonnée à un chaos violent ‘’institutionnalisé’’, dans laquelle des warlords, les groupes armés, les États, les djihadistes et les trafiquants en tous genres (drogue, migrants, or, etc.), se partageront ou se disputeront les espaces, les ressources et les routes dans un affrontement de basse intensité.
D’un point de vue militaire et d’un point de vue français, nous aurions 4 bonnes raisons de ne pas laisser la situation empirer et de nous atteler sans tarder à trouver une solution :
- veiller à ce qu’un nouveau califat en zone sahélienne – qui n’en porterait pas le nom – ne bénéficie pas de la même liberté d’action que Daech à Raqqah pour planifier des attentats contre l’occident – dont nous serions inexorablement une cible prioritaire ;
- conserver une capacité de compréhension, de renseignement et d’anticipation sur les flux migratoires et les trafics en tout genre qui vont s’accentuer dans l’espace sahélien en raison de la faiblesse des États riverains et de l’irruption de puissances étrangères prédatrices ;
- ne pas accepter de laisser la porte grande ouverte à nos principaux compétiteurs stratégiques ; ce dont ils profiteront comme c’est le cas des Russes en RCA, en Libye, au Soudan, au Mali et bientôt au Niger et au Burkina ;
- mais en réalité et d’un point de vue général, l’enjeu dépasse de loin les questions de sécurité, économiques, de développement ou encore de flux migratoires. Le risque le plus important, c’est la possibilité que l’Afrique et ses 55 Etats (sur 193) soit le levier utilisé par les régimes autoritaires pour imposer leur modèle de société au détriment du modèle occidental. Or, on assiste bien à un nouveau ‘’scramble for Africa’’ entre puissances autocrates.
Jusqu’à maintenant, les solutions que nous avons apportées, nous Français mais plus globalement nous tous occidentaux, ont échoué. On peut aisément imputer ces échecs à 5 causes principales.
La première, c’est le syndrome du ‘’prêt-à-porter’’. C’est de plaquer sur les crises, quelles qu’elles soient et qui qu’elles concernent, des solutions toutes faites, le plus souvent des transpositions de modèles et de raisonnements occidentaux. Or, chaque crise a un code génétique différent, chacune puise ses racines dans un biotope, une culture et dans une histoire qui lui est propre. Il faut donc bannir le prêt-à-porter et aller vers du ‘’sur-mesure’’. Ceci suppose que nous prenions le temps de comprendre la crise et de l’apprendre dans sa complexité historique, politique et sociétale.
La deuxième erreur est cette fascination militaro-sécuritaire qui conduit à n’observer une crise et à mesurer sa tendance d’évolution, que l’œil rivé sur le microscope de l’action militaire. Or, elle ne permet jamais, seule, de la résoudre. Les embrasements de violence ne sont jamais la cause des crises, mais leurs conséquences…. Il faut donc s’intéresser aux causes et pas seulement aux conséquences.
La troisième est de ne pas connaitre dans la grammaire des crises, une règle pourtant première : c’est la règle de l’inconcordance des temps. Il faut comprendre et intégrer que le temps de l’action militaire diffère du temps médiatique, comme il diffère du temps politique, du temps diplomatique, de celui du développement, du temps du dialogue ou celui de la reconstruction. Et à l’inverse que le temps qui passe devient à partir d’un certain moment un obstacle à la solution. Quand nous nous engageons dans la résolution d’une crise, nous devons élaborer une stratégie constante et résiliente tout en nous assurant que nous-mêmes aurons les forces morales politiques, financières et nationales pour tenir la distance.
La quatrième raison est de considérer les crises que l’on voit émerger un peu partout dans le monde et singulièrement celles liées à la question sahélienne comme des phénomènes cloisonnés par ‘’nature’’ et cloisonnés ‘’géographiquement’’ par les frontières alors que le terrorisme, les trafics en tout genre, le banditisme vivent en symbiose. Nous ne devons pas considérer ces phénomènes comme une somme de crises mais bien comme un système de crises. Et donc, il faut apporter une réponse ‘’système’’, globale et englobante….
Enfin, le cinquième et dernier de ces ‘’péchés capitaux’’ de la gestion de crise est celui d’agir le plus souvent sous le coup de l’émotion, sous la pression des médias et de l’opinion publique et dans la précipitation, dans cette forme de dérationalisation des décisions politiques. Finalement, de préférer apporter à une crise une réponse médiatique plus qu’un effet stratégique… Comme si ‘’dire’’ équivalait à faire.
Il nous faut donc impérativement changer notre logiciel de résolution des crises et trouver une nouvelle approche. Elle doit privilégier l’inclusivité de tous les acteurs concernés, s’inscrire dans une logique de réponse à une demande et nos pas d’offre et enfin intégrer tous les volets à l’origine de la crise : culture, identité, emploi, environnement, etc…. La clé est bien la capacité à coordonner l’action de tous ceux qui s’attellent à la résolution de la crise.