Joe Biden marche sur un fil entre un soutien indéfectible affiché à l’Etat hébreu et sa volonté de calmer la situation au Moyen-Orient avant d’entrer de plain-pied dans la campagne pour la présidentielle de novembre. Le président joue en effet sur différents tableaux à la fois. Face à la menace d’un retour de Donald Trump à la Maison-Blanche – sur lequel semble parier le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou – Joe Biden a les mains relativement liées pour influencer son allié en pleine guerre à Gaza. D’un côté, le chef de la Maison-Blanche tente de faire pression sur Tel-Aviv en offrant quelques concessions aux Palestiniens. De l’autre, il utilise les leviers à sa disposition pour influer sur le cours de la guerre, souhaitant notamment la voir baisser en intensité et amener Israël à protéger les civils palestiniens.
Les leviers d’influence
Les Etats-Unis ont ainsi annoncé dimanche qu’ils opposeraient leur veto à un projet de résolution de l’Algérie au Conseil de sécurité de l’ONU pour un cessez-le-feu à Gaza, qui devrait être soumis au vote cette semaine. Surtout, ils se préparent à envoyer une nouvelle cargaison de bombes et d’autres armes à l’Etat hébreu, alors même qu’ils s’opposent au projet israélien d’invasion de Rafah sans plan pour protéger les 1,5 million de Gazaouis qui s’y sont réfugiés pour fuir les combats. La livraison compte un millier de bombes MK-82 de 500 livres (227 kg), des détonateurs de bombes FMU-139, ainsi que des kits de KMU-572 (JDAM), capables de convertir des munitions non guidées en bombes à guidage de précision, selon des responsables américains cités par le Wall Street Journal. Au total, le lot d’armes atteint plusieurs dizaines de millions de dollars, que doit financer l’aide militaire américaine à Israël. Ce dernier a déjà reçu environ 21 000 munitions à guidage de précision de Washington depuis le début de la guerre en octobre dernier, rapporte encore le quotidien new-yorkais. Cette nouvelle livraison d’armes de précision traduirait-elle la volonté des Etats-Unis de vouloir limiter le nombre de civils tués à Gaza ? (alors que la campagne destructrice d’Israël a fait près de 29 000 morts en moins de cinq mois, selon le ministère de la Santé administré par le Hamas).
Joe Biden entend utiliser ces leviers à sa disposition pour réaliser rapidement ses ambitions élevées pour le Moyen-Orient, auxquelles il espère lier la fin de la guerre à Gaza. Son objectif est de connecter la libération des otages israéliens à un accord de paix régional qui inclurait une solution à deux Etats, la normalisation des relations entre Israël et l’Arabie Saoudite et l’arrêt des hostilités entre le Liban et l’Etat hébreu, avec un accord frontalier à la clé. Samedi, au cours de la Conférence de sécurité à Munich, le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken a ainsi déclaré au président israélien Isaac Herzog que Washington attendait d’Israël qu’il adopte des mesures significatives pour protéger les civils à Gaza. Au cours de cet événement, le chef de la diplomatie américaine a également évoqué « une opportunité extraordinaire » au Proche-Orient, liée au fait que « virtuellement tous les pays arabes » souhaitent à terme normaliser leurs relations avec Israël, montrant que les Etats-Unis poussent l’Etat hébreu à accepter leur plan, alors que ce dernier devra faire des concessions significatives pour parvenir à un accord.
« Quels que soient les projets ambitieux de l’administration Biden pour la paix israélo-palestinienne, mettez-les à exécution ! » a enjoint sur le réseau X Aaron David Miller, chercheur au Carnegie Endowment for International Peace. « Difficile d’aggraver la situation » a-t-il ajouté.
Bien que peu pressé de lancer son offensive sur Rafah, Benjamin Netanyahu se montre pourtant toujours déterminé à mener son opération sur la ville frontalière du sud, faisant fi des recommandations de son allié. Certains observateurs font même apparaître les annonces américaines comme cosmétiques : « Les responsables américains se plaignent en public et en privé que les Israéliens n’écoutent simplement pas les conseils des Américains » écrit lhanassis Cambanis, directeur de la Century Foundation, sur le site du think tank. « Cette affirmation sonne plus creux de jour en jour. Ce n’est pas que le gouvernement américain ne peut pas influencer l’action israélienne. Il choisit simplement de ne pas le faire ».
Des gestes envers les Palestiniens
Si l’administration Biden ne semble pas disposée à aller beaucoup plus loin, n’ayant ni menacé de suspendre l’aide militaire de 14 milliards de dollars à Israël – qui doit encore être approuvée par le Congrès – ni pris de mesures concrètes pour la reconnaissance officielle d’un Etat palestinien, le président américain a néanmoins multiplié les gestes favorables aux Palestiniens : le 1er février, il a signé un décret interdisant à quatre colons israéliens qui ont commis des actes de violence en Cisjordanie de séjourner aux Etats-Unis, tout en les sanctionnant financièrement – la mesure la plus forte qu’ait jamais prise une administration américaine pour lutter contre ce phénomène. Mercredi, il a annoncé suspendre les expulsions de Palestiniens présents aux Etats-Unis pendant 18 mois au regard de la situation humanitaire dans les territoires occupés et à Gaza. Rappelant sa position favorable à la création d’un Etat palestinien et d’une Autorité palestinienne (AP) « revitalisée » pour gouverner les territoires occupés ainsi que l’enclave de Gaza après la guerre, il tente aussi de contourner une loi qui l’empêche d’envoyer directement des fonds à l’institution dirigée par Mahmoud Abbas, sans passer par l’aval du Congrès. Il s’agirait notamment de faire dégeler les recettes fiscales de l’AP retenues par Israël. L’Autorité palestinienne risque en effet de manquer de fonds pour payer les fonctionnaires et assurer les services publics d’ici à fin février.
Une manière aussi pour le candidat à sa réélection de renouer avec une partie de son électorat, déçu par sa politique face à la guerre à Gaza. Dans une réunion à huis clos avec des dirigeants arabo-américains dans le Michigan la semaine dernière, le conseiller adjoint américain à la Sécurité nationale, Jonathan Finer, a ainsi concédé des erreurs concernant la réponse de l’administration à la guerre à Gaza, signe de la pression croissante des démocrates sur le président Biden. Ce bon connaisseur du Moyen-Orient a reconnu « des faux pas », affirmant qu’il n’avait « aucune confiance » dans la volonté du gouvernement israélien de prendre des « mesures significatives » vers un Etat palestinien, dont les Etats-Unis ont appelé à la création. La communauté arabo-musulmane des Etats-Unis réclame néanmoins des gestes concrets : lors d’une réunion avec de hauts responsables de la Maison-Blanche jeudi, les dirigeants de cette communauté ont ainsi demandé à l’administration Biden d’autoriser 50 000 Palestiniens, de Gaza ayant des parents aux Etats-Unis, à rejoindre le territoire, grâce à une disposition d’immigration appelée libération conditionnelle humanitaire.
La gestion de la crise de Gaza est donc difficile pour l’administration Biden, ce qui explique sans doute la réticence à ce stade du président à exercer des pressions plus fortes sur le gouvernement de M. Netanyahou, dont il connaît l’intransigeance.