Le sultanat d’Oman demeure actif dans les contacts irano-américains

29.03.2024 - Regard d'expert

Des négociations indirectes se sont tenues entre Washington et Téhéran au début de l’année pour contenir les attaques des Houthis en mer Rouge, mais aussi pour aborder le dossier nucléaire.

Tous les moyens sont bons. Alors que la guerre à Gaza continue de faire planer la menace d’un embrasement régional, les Etats-Unis ont tenu dans le secret en janvier dernier des négociations indirectes avec l’Iran lors d’une réunion à Oman, selon des sources politiques citées par le Financial Times. La délégation américaine emmenée par Brett McGurk, conseiller de la Maison-Blanche pour le Moyen-Orient, avait pour objectif de convaincre les Iraniens d’user de leur influence pour mettre un terme aux attaques houthies contre les navires commerciaux occidentaux en mer Rouge. Les dernières négociations du genre, par l’intermédiaire du Qatar, se sont conclues en septembre dernier par un échange de prisonniers et le lancement du processus de dégel de 6 milliards de dollars de fonds iraniens. Cette dynamique de désescalade a été cependant freinée par l’attaque sanglante du mouvement Hamas en Israël le 7 octobre 2023.

 

Contexte de tensions régionales

Depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, la mer Rouge est le théâtre d’une série d’attaques de navires perpétrées par les rebelles houthis qui contrôlent le nord du Yémen. Le groupe appuyé par l’Iran justifie ses frappes sur des bâtiments supposément « liés à Israël » par un soutien aux Palestiniens. Malgré l’établissement en décembre de la coalition maritime « Operation Prosperity Guardian » conduite par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, et les multiples ripostes menées contre leurs installations militaires, les Houthis ont lancé une centaine d’attaques depuis octobre et sont parvenus à endommager 15 navires commerciaux. Le 11 mars dernier, le groupe a revendiqué l’attaque du navire marchand « Pinocchio » battant pavillon libérien, dont la route passait par le détroit de Bab el-Mandeb, qui brasse environ 12% du trafic maritime mondial. Si la République islamique a laissé entendre qu’elle voulait éviter un conflit direct avec les Etats-Unis ou Israël, ainsi qu’une guerre régionale à grande échelle, la menace sur le commerce international ne semble pas avoir considérablement diminué.

Conscients que les réponses militaires ne suffiront pas à rétablir le calme en mer Rouge, les responsables américains ont également usé de la voie diplomatique. Depuis le début de la guerre à Gaza, des intermédiaires saoudiens ou qataris ont été chargés de faire passer des messages entre Washington et Téhéran dans le but de stopper l’escalade. Les tirs quotidiens échangés à la frontière libanaise entre l’armée israélienne et le Hezbollah, ainsi que les frappes de missiles et de drones par les milices irakiennes contre les forces américaines en Irak et en Syrie participaient en effet à exercer une pression régionale sur plusieurs fronts.

Accusé d’armer et d’entraîner les Houthis, l’Iran est pointé du doigt par les Etats-Unis pour avoir communiqué des renseignements critiques ayant permis les attaques en mer Rouge. Les discussions indirectes via des responsables omanais sont donc venues renforcer l’arsenal diplomatique visant à contenir les risques d’embrasement avec « l’axe de la résistance » mené par la République islamique, ainsi que les conflits directs entre les deux ennemis. Un autre cycle de négociations devait se tenir en février, mais a dû être annulé côté américain en raison des pourparlers pour un cessez-le-feu à Gaza, selon le Financial Times.

 

Les retombées

Si à l’issue des négociations, les attaques houthies sur des navires n’ont pas cessé en mer Rouge, l’Iran continuant d’affirmer l’indépendance d’action des rebelles, aucune frappe contre des bases américaines en Syrie et en Irak n’a été perpétrée depuis le 28 janvier, après une attaque de drone qui a tué trois soldats américains dans le désert jordanien, à la frontière syrienne. En réponse, une frappe américaine le 7 février à Bagdad a tué deux commandants de la milice pro-Iran des « Kataëb Hezbollah », mais n’a pas été suivie de représailles. Autant d’éléments qui témoignent d’une volonté iranienne de maîtriser les milices irakiennes pour éviter un embrasement régional. De l’autre côté, alors que l’objectif affiché de l’Iran reste de voir les forces américaines quitter l’Irak et la Syrie, les Etats-Unis et l’Irak ont annoncé le 25 février le début de pourparlers destinés à convenir d’une feuille de route pour mettre fin à la mission de la coalition internationale de lutte contre l’organisation Etat islamique (El), menée par Washington.

Soucieux de s’affirmer en puissance régionale incontournable, l’Iran cherche à forcer les Etats-Unis à s’asseoir à la table de négociations pour faire valoir ses intérêts dans les différents dossiers régionaux. Tandis que les sujets brûlants du moment concernent surtout la guerre à Gaza et ses répercussions au Moyen-Orient, la question nucléaire a aussi été abordée dans les pourparlers indirects à Oman. L’envoyé de la République islamique n’était en effet autre que Ali Bagheri Kani, le négociateur en chef sur les questions nucléaires.

Dans le sillage de cette prise de contact, le 26 février, l’organisme de surveillance atomique des Nations unies a affirmé que Téhéran avait réduit son stock d’uranium enrichi à 60% au cours du dernier trimestre, une première depuis 2021 et la reprise des pourparlers sur l’accord de 2015, dont les Etats-Unis se sont retirés unilatéralement en 2018 sous la présidence de Donald Trump. Si le développement du programme nucléaire iranien se poursuit, la dilution de l’uranium enrichi à des taux militaires pourrait signaler des gestes de bonne volonté.

Le maintien du canal omanais dans les discussions entre Washington et Téhéran montre donc qu’en dépit des risques d’escalade, notamment au Liban, les deux parties continuent à préserver un dialogue officieux pour éviter un embrasement régional qu’elles ne souhaitent pas .

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.