Washington a repris des contacts officieux avec le régime de Damas

12.04.2024 - Éditorial

L’après-guerre à Gaza, en Israël, au Liban, mais aussi… en Syrie. À l’heure où l’administration du président américain Joe Biden intensifie les contacts pour obtenir un cessez-le-feu entre l’Etat hébreu et le Hamas, Washington semble avoir une vision plus globale pour la région post-guerre. Dès lors, 13 ans après le début de la révolution syrienne, qui s’est transformée en guerre civile suite à la répression sanguinaire menée par le régime de Bachar el-Assad, la Syrie se retrouve de nouveau à la table des pourparlers.

Les négociations sur l’avenir de la Syrie ne peuvent pas être dissociées du rapprochement entre l’Iran – dont Assad est l’obligé – et les pays du Golfe. C’est d’ailleurs ce que reflète la visite du responsable de l’unité de coordination au sein du Hezbollah, Wafic Safa, aux Emirats arabes unis. Ce déplacement revêt plusieurs dimensions liées à l’Iran mais aussi à la Syrie, dont le président a joué le médiateur entre Abu Dhabi et Haret Hreik. Or, toute négociation des pays arabes et du Golfe avec le Hezbollah doit nécessairement prendre en compte les dimensions liées à la situation en Syrie, au Liban et au Yémen, en plus de la conjoncture à Gaza et de ses répercussions sur d’autres fronts. D’autant qu’en parallèle, les pourparlers entre l’Iran et les Etats-Unis se poursuivent et traitent de plusieurs questions régionales dont l’Irak, la Syrie, le Yémen et le Liban, en plus du nucléaire iranien.

Dans ce contexte, des sources diplomatiques concordantes révèlent le renouvellement des pourparlers entre le régime de Bachar el-Assad et les Etats-Unis. Selon de bonnes sources, les deux pays ont repris langue au début de mars, lors d’une réunion qui s’est tenue dans le sultanat d’Oman. Il est à noter que de précédentes réunions ont eu lieu il y a environ un an, mais n’ont abouti à aucun résultat. Les Américains ont toutefois renouvelé leurs efforts et leurs contacts pour obtenir des percées qui pourraient être exploitées politiquement, notamment si l’administration Biden réussit à libérer le journaliste américain Austin Tice – disparu en Syrie depuis 2012.

Selon les informations disponibles, la communication entre Damas et Washington se fait à travers plusieurs canaux. Tout d’abord, il y a le canal sécuritaire direct, dans le but de libérer Austin Tice. Cette coordination sécuritaire s’est toutefois élargie pour inclure plusieurs dossiers, notamment la coopération dans la lutte contre le groupe Etat islamique qui renouvelle ses activités dans le désert syrien. « Le régime est prêt à fournir de nombreux services sécuritaires aux Américains en échange de gains politiques, affirme une source diplomatique occidentale. Faute de pouvoir attaquer les racines du terrorisme – ce qui supposerait de frapper le régime Assad ou l’Iran –, étant donné le temps que cela nécessite et les risques que cela comporte, les puissances internationales optent pour la démarche la plus facile, qui est la coordination avec des régimes tels que Damas et Téhéran pour y faire face. »

 

Entre Riyad et Damas…

L’élargissement des négociations sécuritaires a permis de mettre plusieurs autres dossiers sur la table. Premièrement, les exigences de Damas concernant le retrait des troupes américaines en Syrie ou du moins l’établissement d’un calendrier pour leur redéploiement en vue d’un retrait ultérieur. De plus, le régime Assad demande qu’une pression soit exercée sur la Turquie afin qu’elle se retire, elle aussi, de la Syrie. Ce à quoi les Américains répondent qu’il faut que l’Iran se retire de la Syrie en contrepartie. Damas demande également que les Américains arrêtent de soutenir les Forces démocratiques syriennes (en majorité kurdes) et qu’ils les poussent à reprendre la coordination avec le pouvoir central. De son côté, Washington aussi pose ses conditions, notamment la mise en œuvre de réformes politiques, la libération des détenus et les négociations avec l’opposition qui devrait être intégrée au pouvoir. De plus, les Américains exigent que Damas réduise et affaiblisse l’influence iranienne sur son territoire, oblige les autres groupes armés à se retirer et contrôle ses frontières avec Israël et la Jordanie mais aussi avec le Liban. Et surtout, les Américains veulent ouvrir la porte à de (nouvelles) négociations indirectes pour parvenir à un accord de normalisation avec Israël.

Plusieurs parties arabes seront forcément impliquées dans des négociations sous de telles conditions : les Emirats arabes unis, par exemple, peuvent jouer un rôle essentiel étant données leurs bonnes relations avec les deux camps. De plus, une source diplomatique arabe a appris que l’Arabie Saoudite se prépare à accueillir un dialogue entre le régime Assad et l’opposition syrienne. Riyad conditionne la poursuite du processus de normalisation avec Damas aux réformes politiques qu’Assad devrait mener et à l’intégration de l’opposition au pouvoir, révèle cette source.

En somme : ceux qui négocient avec Damas exigeront en retour une réduction du rôle iranien et un rééquilibre dans la région basé sur cette équation. Affaire à suivre…

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.