Après son attaque sur Israël, l’Iran est face à des choix difficiles

19.04.2024 - Regard d'expert

La République islamique agit désormais à visage découvert, ce qui pourrait affaiblir sa main au Moyen-Orient.

Quelle que soit la suite des événements, la nuit du 13 avril 2024 restera une date importante dans l’histoire de la République islamique. L’opération « Promesse honnête », avec l’envoi de plusieurs centaines de drones et de missiles sur Israël, constitue en effet un précédent et un tournant, sans que l’on sache pour l’instant à quel point cela va modifier en profondeur la stratégie iranienne pour les années à venir.

Depuis plus de quatre décennies, l’Iran fonde à la fois son projet d’influence régionale et sa dissuasion sur le réseau de milices et de missiles qu’il a patiemment construit dans le monde arabe. Cette stratégie a néanmoins atteint son apogée et ses limites depuis le 7 octobre. Jamais auparavant ce réseau n’avait été aussi mobilisé, sur plusieurs fronts simultanés, au service de la puissance iranienne. Mais jamais auparavant ce réseau n’avait été aussi ciblé et affaibli, au point de perdre une partie de ses capacités dissuasives et de mettre la République islamique à nu.

Pour la première fois de son histoire, l’Iran a dû agir à visage découvert contre son ennemi israélien. C’est le résultat de la politique intenable qu’il mène depuis le 7 octobre. L’Iran ne veut pas rester à l’écart de la guerre qui oppose Israël au Hamas, mais ne veut pas non plus s’y impliquer directement. Il ne veut ni la paix ni la guerre. Et il a fini par être pris à son propre piège en voulant jouer avec le feu tout en voulant éviter à tout prix de se brûler. Israël en a profité pour le frapper, lui et ses alliés, pour tester ses limites et pour éprouver ses capacités de dissuasion.

La branche militaire du Hamas est en partie détruite à Gaza, le Hezbollah prend coup sur coup depuis six mois, les Houthis et les milices irakiennes sont exposés aux frappes américaines et Israël se permet même de décimer le haut commandement de la Force al-Qods pour la Syrie et le Liban. Même si l’Iran peut considérer qu’il demeure gagnant sur le plan stratégique tant que le Hamas est encore présent à Gaza, cela fait beaucoup. La politique intransigeante de Netanyahou l’a, en tout cas, contraint à réagir afin de tenter de modifier les règles du jeu. Estimant que c’est son territoire qui a été touché le 1er avril dernier dans une frappe israélienne contre une annexe du consulat iranien à Damas, l’Iran a décidé de changer de braquet.

L’attaque menée dans la nuit de samedi à dimanche était spectaculaire, de grande ampleur et en même temps calibrée afin d’éviter l’escalade. Sur le plan symbolique, la République islamique a marqué les esprits, toute la région retenant son souffle pendant plusieurs heures. Les images des missiles et drones iraniens survolant le dôme de la mosquée al-Aqsa ne vont pas être oubliées de sitôt. Toutefois, sur le plan militaire, les Iraniens n’ont causé aucun dommage sérieux à leurs adversaires. On peut considérer que c’est un échec, mais à condition de rappeler qu’ils ont fait le choix d’utiliser en majorité des drones, qui ont mis des heures à arriver sur le territoire israélien, de prévenir en amont plusieurs parties de la date et de l’ampleur de l’opération, et de ne pas utiliser le Hezbollah, leur principale arme contre Israël. Le fait que 99 % des drones et missiles iraniens aient été interceptés est le double résultat de ces choix et de la supériorité militaire israélo-américaine. Sur le plan politique, l’Iran a en réalité – sans le vouloir ? – offert un cadeau à Benjamin Netanyahu. Israël bénéficie en effet à nouveau d’un large soutien occidental, et le carnage qui se déroule à Gaza risque de passer un temps au second plan.

La nuit du 13 avril était un test pour la République islamique. C’est comme si, après s’être vanté de son talent auprès de la terre entière pendant des années, un artiste montait pour la première fois sur scène. La théâtralité qui sied à ce genre d’événement était parfaitement maîtrisée. Pour le reste, la copie est tout de même assez mitigée.

L’Iran n’est pas un tigre de papier. C’est une puissance régionale qui dispose d’une capacité de déstabilisation sans équivalent. Mais sa puissance paraît tout de même limitée en comparaison de celle de ses principaux adversaires. Et l’Iran a pris un risque majeur qui pourrait se retourner contre lui.

Les Etats-Unis semblent avoir réussi à convaincre leur allié israélien de ne pas riposter dans l’immédiat. Mais il paraît peu probable que les Israéliens en restent là. Il s’agit tout de même d’une attaque de grande ampleur de leur principal ennemi contre leur territoire. Israël va probablement vouloir riposter afin d’éviter que ce scénario ne se répète. Le fera-t-il de façon modérée ou de façon disproportionnée en choisissant l’escalade ? Si l’Etat hébreu opte pour la seconde option, la région entière peut trembler. Et le régime iranien aussi.

L’opération « Promesse honnête » vise à créer « une nouvelle équation avec Israël », a affirmé dimanche le commandant en chef des gardiens de la révolution, Hossein Salami. « A partir de maintenant, si Israël attaque des intérêts ou des citoyens iraniens, n’importe où, l’Iran répondra », a-t-il ajouté. Cette nouvelle stratégie suppose que l’Iran ait réussi à restaurer sa capacité de dissuasion, ce qui est loin d’être une évidence. Dans le cas contraire, le régime iranien prend le risque d’une confrontation directe avec Israël – et potentiellement, les Etats-Unis –, qui pourrait mettre en péril la survie du régime.

Car voilà bien la principale conclusion que l’Iran peut pour le moment tirer de ces six derniers mois. Tant qu’il ne dispose pas de l’arme nucléaire, ses alliés pourraient ne pas suffire, dans le scénario le plus extrême, à assurer sa survie. Et plus il se rapprochera de l’arme nucléaire, plus les Israéliens seront tentés de mener une opération de grande ampleur sur son territoire. La République islamique est toujours extrêmement résiliente. Mais elle est tout aussi fragile.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.