Perspective d’une normalisation entre Israël et l’Arabie Saoudite : Washington poursuit ses efforts envers et contre tout

24.05.2024 - Regard d'expert

La séquence qui s’est ouverte le 7 octobre dernier peut-elle s’achever par un grand deal qui redessinerait une nouvelle fois la région ? C’est en tout cas ce que continue de croire l’administration Biden, qui s’accroche malgré les difficultés à l’idée que ce chapitre puisse se clore par un accord de normalisation entre Israël et l’Arabie Saoudite et par une relance du processus de paix qui doit aboutir à la création d’un État palestinien.

Les étapes d’un accord de normalisation pour les États arabes

L’Arabie Saoudite a précisé les contours de ses vues pour l’après-Gaza lors de la dernière visite du secrétaire d’État américain Antony Blinken à Riyadh le 29 avril. Le Royaume a en effet remis au chef de la diplomatie américaine un projet résumant les étapes qui doivent conduire à la reconstruction de l’enclave et à la reconnaissance de l’État palestinien.

Ce document résume la position de cinq pays arabes, l’Arabie Saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Jordanie, mais également celle de l’Autorité palestinienne (AP). La feuille de route comprend quatre étapes pour arriver à la normalisation :

  • La première implique le retour de l’AP dans la bande de Gaza, en fournissant au gouvernement palestinien tous les moyens nécessaires pour mener à bien sa mission, et le début de la reconstruction de l’enclave.
  • La deuxième étape concerne la situation en Cisjordanie. La feuille de route prévoit de faire passer les « zones B », qui sont administrativement sous l’AP mais sous le contrôle sécuritaire et militaire d’Israël, en « zones A », qui sont censées être entièrement sous l’administration et le gouvernement de Ramallah. Cela implique d’accorder aux Palestiniens plus que ce que prévoient les accords d’Oslo. Ce processus doit se faire, selon le document, parallèlement à une restructuration des institutions de sécurité et militaires de l’AP.
  • La troisième étape comprend des négociations concernant les points non réglés : la question de Jérusalem, celle des colons, celle des réfugiés, celle de l’eau et celle de la délimitation des frontières entre les deux États.
  • La quatrième étape implique la création d’un État palestinien reconnu internationalement comme un État indépendant et souverain. Aux yeux de Riyadh, cette dernière serait suivie de la signature d’un accord de normalisation entre le Royaume saoudien et Israël.

Antony Blinken a estimé que cet ambitieux schéma « nécessitait un examen approfondi » de la part de Washington. En effet, le gouvernement de Benjamin Netanyahu ne semble déjà pas enclin à renoncer à son offensive sur Rafah – malgré les nombreux avertissements américains – ni à accepter des concessions significatives aux Palestiniens. Et du côté des pays arabes, il y a désormais la conviction que la solution à deux États ne verra pas le jour sous le gouvernement de Netanyahu. En réalité, ils espèrent que les Américains pourront changer la donne politique en Israël.

Lors de sa visite fin avril, le chef de la diplomatie américaine a officiellement admis que les États-Unis sont prêts à proposer à l’Arabie Saoudite des garanties de sécurité si elle normalise ses relations avec Israël. Mais cette normalisation bute sur le refus israélien de faire des concessions sur le dossier palestinien, condition sine qua non pour Riyadh. Il est en effet clair qu’il n’y aura pas de normalisation israélo-saoudienne sans avancée sur cette question.

Le chemin tumultueux des États-Unis pour obtenir un accord de normalisation

La plupart des observateurs dans la région confirment que Washington se montre encore optimiste sur ce dossier. C’est en tout cas ce que répètent les émissaires américains qui se succèdent à Riyad depuis des mois. La tâche est pourtant loin d’être simple. L’accord de normalisation comprend en effet deux grandes parties.

  • La première est relative à la relation qui lie Washington et Riyad. Le Royaume demande des garanties de sécurité et une possibilité de développer son programme nucléaire civil, tandis que Washington souhaite en retour que l’Arabie prenne ses distances avec Pékin. Sur cette partie, les progrès sont « positifs et rapides » selon Jake Sullivan, le conseiller américain à la sécurité nationale. Lors de sa dernière visite à Riyadh, la semaine dernière, il a discuté avec le Prince Héritier Mohammad ben Salmane d’une version presque finale de l’accord.
  • La seconde partie est toutefois moins bien engagée. La normalisation avec Israël suppose, a minima, un engagement de l’État hébreu en faveur de la création d’un État palestinien. Or le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a déclaré à de nombreuses reprises qu’il y était totalement opposé.

L’Arabie Saoudite demande dans l’immédiat un arrêt des hostilités à Gaza, le retrait israélien de l’enclave palestinienne et la réhabilitation de l’Autorité palestinienne, seul interlocuteur crédible aux yeux du Royaume. Malgré la pression américaine, les dirigeants israéliens continuent toutefois de déclarer que l’offensive sur Rafah ne s’achèvera qu’une fois le Hamas démantelé.

Il est clair que si l’Arabie parvient à s’entendre avec les États-Unis, elle ne fermera pas la porte à la normalisation avec Israël, à la condition cependant qu’il y ait un engagement ferme concernant la création future d’un État palestinien. Autrement dit, le Royaume veut que les apparences soient préservées et lance la balle dans le camp américain.

La pression américaine suffira-t-elle à faire plier Netanyahu ? Pour l’instant, rien n’est moins sûr, malgré le fait que le Premier ministre soit sous la menace d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI). Washington peut être tenté de soutenir son principal adversaire, Benny Gantz, et de l’encourager à démissionner. Samedi, ce dernier a donné au chef de l’exécutif jusqu’au 8 juin, soit trois semaines, pour convenir d’un « plan d’action » stratégique sur l’après-guerre à Gaza, faute de quoi il présentera sa démission.

Il convient cependant d’être réaliste : non seulement cette démission ne suffirait pas à faire tomber le gouvernement, mais dans tous les cas, même si celui-ci implose, il faudra trois mois pour organiser de nouvelles élections. Et rien ne garantit que le futur Premier ministre sera prêt à s’engager pour la création d’un État palestinien.

Les États-Unis ne sont donc pas au bout de leurs peines s’ils veulent obtenir cet accord historique. Parallèlement à cette dynamique, ils poursuivent leurs négociations avec l’Iran en Oman afin d’apaiser les tensions dans la région et éviter que la guerre ne se propage. Une nouvelle phase de pourparlers aura lieu dans les prochains jours. Washington insiste en particulier sur le fait que la guerre ne doit pas s’étendre au Liban. Ce serait en effet un scénario catastrophe pour l’administration Biden, à quelques mois des élections. Le bras de fer Biden-Netanyahu risque ainsi de se durcir encore plus dans les prochaines semaines.

En attendant, deux évolutions peuvent également avoir un impact sur la dynamique régionale. La première est liée à la mort du Président iranien Ebrahim Raïssi et de son ministre des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, dans un crash d’hélicoptère. La disparition du Président devrait renforcer les luttes internes en Iran, en particulier concernant la question de la succession du Guide suprême. Ces batailles internes pourraient compliquer les négociations avec les États-Unis ou affaiblir la position de l’Iran dans celles-ci.

La seconde concerne l’état de santé du roi d’Arabie Saoudite. Son fils MBS a reporté sa visite au Japon car les circonstances nécessitent qu’il reste en Arabie. Selon de nombreux observateurs, l’accession au trône du Prince Héritier pourrait faciliter un éventuel accord de normalisation entre le Royaume et Israël, même si la guerre à Gaza a amené Riyadh à conditionner clairement toute normalisation avec Israël à l’engagement d’un processus menant à la création d’un État palestinien.

En somme, l’administration Biden poursuit ses objectifs avec détermination et le volet saoudo-américain d’un accord parait bien avancé. En revanche, la perspective d’une normalisation entre l’Arabie et Israël doit encore surmonter de nombreux obstacles.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.