Décryptage des résultats du 2nd tour des législatives 2024

12.07.2024 - Éditorial

Au lendemain des élections législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet, l’heure est au décryptage des résultats et aux discussions pour répartir les postes clés à l’Assemblée. Pour rappel, le Nouveau Front Populaire (NFP) est arrivé en tête avec 182 sièges, devant le camp présidentiel qui dispose avec ses alliés de 168 sièges. De son côté, le Rassemblement National et ses alliés qui étaient arrivés en tête au premier tour, avant les désistements et les alliances pour privilégier un « front républicain », ont vu leurs nombres de sièges à l’Assemblée nationale passer de 89 à 143 par rapport à 2022. Les Républicains ont quant à eux perdu 4 sièges par rapport à la précédente législature.

Depuis l’annonce des résultats dimanche soir, les tractations des différents chefs de file des partis pour former un gouvernement et imposer leurs programmes ne cessent de se poursuivre. Cependant, outre la formation d’un gouvernement, plusieurs échéances stratégiques vont se présenter dans les prochains jours.

Cette semaine, les partis politiques ont commencé à élire leurs présidents de « groupes » : Mathilde Panot (réélection) pour LFI, Boris Vallaud (réélection) pour le Parti socialiste, Marc Fesneau pour le Modem, Laurent Marcangeli (réélection) pour Horizons, Laurent Wauquiez pour Les Républicains, renommé « La Droite Républicaine », Eric Ciotti pour le groupe « A Droite ! » et Marine Le Pen (réélection) pour le Rassemblement National. Pour le moment, les groupes Écologistes, Communistes, Renaissance et Liot et Communistes n’ont pas encore désigné leurs présidents. Pour mémoire, les groupes doivent remettre leurs déclarations politiques, accompagnées de la liste des membres et du nom du président avant jeudi 18 juillet, à 18h.

Des ministres qui pourraient siéger à l’Assemblée pour renforcer le groupe présidentiel

Le 18 juillet aura lieu l’élection du Président de l’Assemblée nationale et au vu de la composition de l’hémicycle, il est fort à prévoir que le Président de la République accepte la démission du gouvernement avant, afin que les ministres puissent siéger, car ils seront considérés comme démissionnaires. Cela créerait un cas inédit de “députés-ministres”, mais permettrait de récupérer 17 voix au Parlement pour Ensemble. Toutefois, la manœuvre est risquée tant elle comporte un risque d’incompréhension de l’opinion, et d’outrance de l’opposition. L’accusation de “déni de démocratie” pourrait être relancée.

Emmanuel Macron aurait aussi conditionné le choix de son Premier ministre à l’élection du Président de l’Assemblée nationale, seule traduction véritable pour lui de la majorité parlementaire. Pour rappel, l’élection de la Présidence de l’Assemblée nationale est un scrutin à la majorité absolue sur deux tours, puis un scrutin majoritaire simple au troisième tour.

Dans le cadre de la XVIIème législature, la Présidence de l’Assemblée nationale partagera un certain nombre de pouvoirs de nomination avec le Président de la République telle que la capacité de nommer un membre du Conseil constitutionnel en 2025 de façon discrétionnaire et un ou plusieurs membres de différents conseils et autorités administratives indépendantes. Certaines nominations du Président de la République devront être soumises à l’approbation du Parlement telles que la nomination d’un membre au Conseil constitutionnel, du Président de la RATP et des membres du Conseil de surveillance de la CDC.

La répartition des commissions

Le 18 juillet se jouera aussi la constitution des commissions et de leurs bureaux. La présidence de la commission des Finances revient à un député de l’opposition. Cependant, pour être considéré comme un groupe d’opposition, un groupe politique doit le mentionner explicitement dans sa déclaration transmise au Bureau de l’Assemblée nationale. En 2022, c’est Éric Coquerel (LFI) qui avait été choisi face à Jean-Philippe Tanguy (RN). En l’absence de majorité claire, et donc d’opposition claire, qui se déclarera comme tel et à qui reviendra ce poste très convoité cette fois-ci ?
Dans les autres commissions, le bureau est aussi élu par les députés envoyés par chaque groupe, en proportion de leur nombre de sièges. Comme pour la répartition des postes au sein du Bureau de l’Assemblée nationale, tout l’enjeu sera de savoir si le Nouveau Front Populaire et le bloc central se présenteront unis, ou si des coalitions pourront se former d’ici là pour peser et glaner davantage de postes. Enfin, il est à noter que les bureaux des commissions doivent aussi respecter la parité homme-femme. Dans une Assemblée à dominante masculine (64%), les places dans les bureaux de commission seront donc très disputées par les députés.
D’autres postes doivent être attribuées dans les prochaines semaines.

Les répartitions des postes clés via le système de points

Le règlement de l’Assemblée nationale prévoit un système de points pour attribuer les postes de son Bureau.
Très concrètement, 35,5 points sont répartis aux groupes politiques en fonction de leur effectif, qu’ils sont libres d’utiliser comme ils le souhaitent. Ce système a été pensé pour préserver les droits de l’opposition dans des régimes parlementaires à majorité absolue clairement déterminée. L’on s’aperçoit aisément que dans une représentation politique à trois tiers, sans majorité claire, tout en servant de garde-fou, le système est complexe et laisse prospérer de nombreuses hypothèses.

En vertu des articles 8 à 12 du règlement de l’Assemblée nationale, chaque poste dispose de la valeur suivante :

Si l’on conserve la photographie des législatives au soir des élections, les trois tiers en bloc ou en détail, conduisent à une répartition des postes institutionnels politiquement très éclatée, ce qui ne garantit pas un fonctionnement fluide de l’Assemblée.

L’appel aux coalitions de groupes

Face aux difficultés de dégager une majorité claire au sein de l’hémicycle, trois jours après le second tour des législatives, le Président de la République a demandé aux «forces politiques se reconnaissant dans les institutions républicaines» de trouver des «compromis» – condition qu’il pose pour nommer un Premier ministre.
Depuis dimanche soir et les évolutions des tractations de chaque groupe, quatre scénarios se dessinent :

Scénario 1 : Une majorité relative base du Nouveau Front Populaire (195 sièges)

En l’absence d’accord de gouvernement et si aucune coalition ne venait à être formée, le Président de la République pourrait nommer un Premier ministre issu de la majorité à l’Assemblée nationale : le Nouveau Front Populaire. Une autre hypothèse serait celle où Jean-Luc Mélenchon ne tient plus et annonce soudainement dans une conférence de presse une proposition de gouvernement NFP pour bloquer le Président et empêcher d’autres alliances (sans lui).
Les chefs des partis formant le Nouveau Front Populaire doivent délibérer cette semaine pour désigner leur candidat au poste de Premier ministre. Une telle majorité, avec un nombre très insuffisant de sièges (autour de 195 sièges NFP/DVG) ne pourrait cependant gouverner et serait censuré dès l’ouverture de la session parlementaire. Laurent Wauquiez, élu à la tête du groupe « La Droite Républicaine », a en effet déjà annoncé que « tout gouvernement qui comporterait des ministres de La France insoumise fera l’objet immédiatement de notre part du vote d’une motion de censure ».

Scénario 2 : Une coalition de centre-gauche (287 sièges)

Actant que la gauche est majoritaire dans l’hémicycle à l’issue des élections législatives, le camp présidentiel pourrait envisager de nouer une alliance avec la frange la plus modérée du Nouveau Front Populaire.

Le retour en force du Parti Socialiste à l’Assemblée nationale (59 sièges, soit 28 de plus que dans la XVIIème législature), le résultat de Raphaël Glucksmann aux élections européennes ainsi que l’annonce d’une initiative “sociodémocrate” par le député macroniste Sacha Houlié, constituent autant d’éléments qui pourraient favoriser une telle hypothèse.
Par ailleurs, durant l’entre-deux-tours, de nombreux rapprochements ont été constaté entre la Macronie et une partie de la gauche, Raphaël Glucksmann estimant que face à une Assemblée divisée, “il fallait se comporter en adulte”. Marine Tondelier, secrétaire nationale des Verts, aurait par ailleurs adressé le soir du second tour un message à Gabriel Attal et Emmanuel Macron pour proposer un accord. Ce scénario porte en revanche le risque de fracturer le bloc central, plusieurs députés ayant d’ores et déjà annoncé refuser une telle alliance et préféré s’allier avec la droite.

Scénario 3 : Une coalition de centre-droit (224 sièges)

Avec 56 sièges, Les Républicains et leurs apparentés divers droite sont restés stables à l’issue des élections législatives (- 4 sièges par rapport à la XVIème législature). Ils se sont notamment maintenus à la faveur d’accords avec le bloc central dans plusieurs circonscriptions, comme dans les Hauts-de-Seine. Ils savent qu’ils tiennent les trois quarts de leur groupe au bénéfice des désistements du front républicain.

Scénario 4 : Une coalition d’union nationale (entre 311 et 358 sièges) ou bien une coalition d’union nationale des “modérés”, du PS aux Républicains (311 sièges)

La division de l’Assemblée nationale en trois blocs distincts à l’issue des élections législatives a renforcé cette hypothèse émergée durant la période d’entre-deux-tours. Ainsi, la gauche modérée, le bloc central comme une partie des Républicains se disent ouverts à une telle coalition. En sièges, c’est la seule opportunité de former une majorité absolue. Diverses configurations se présentent alors.

Enfin, à noter qu’en cas d’absence de coalition, un gouvernement de personnalités techniques sans étiquette partisane, reconnus seulement pour leurs compétences pour assurer une continuité économique pourrait être envisagé. Celui-ci devrait comporter des personnalités moins politiques pour ne pas attiser les clivages et éviter la censure à l’Assemblée nationale, garantissant ainsi la stabilité des institutions. Il adopterait par exemple un budget qui rassurerait les marchés, évitant ainsi de le reconduire par 49.3. Cela permettrait d’attendre, soit une nouvelle dissolution de l’AN ou une nouvelle élection présidentielle.

En l’absence d’un nouveau gouvernement, un gouvernement actuel qui expédie les affaires courantes

Le 8 juillet 2024, Emmanuel Macron a demandé à Gabriel Attal de rester Premier ministre “pour le moment” afin de garantir “la stabilité du pays”, avec, pour horizon immédiat, les Jeux Olympiques. Peu importe la durée, en attendant la nomination d’un nouveau Premier ministre, le gouvernement actuel doit assurer les affaires courantes. “Les affaires courantes, ce sont celles qui ne supposent aucun avenir, c’est-à-dire tout ce qui relève du quotidien” résumait le juriste et professeur de droit constitutionnel Michel Lascombe. Le gouvernement va alors gérer l’administration, payer les agents et les dépenses habituelles, prendre les décisions nécessaires au bon fonctionnement de l’Etat.
Cette notion étant purement jurisprudentielle, une part d’appréciation est grande. Cependant, le gouvernement ne peut engager l’avenir en signant des décisions ou en engageant des réformes qu’il n’aura pas à mettre en œuvre.

Un rôle crucial donné au Sénat ?

Dans l’exercice parlementaire qui va se profiler pour les prochains mois, le Sénat aura un rôle crucial à jouer. Certes le Sénat est limité dans son acte, étant la chambre Haute, et ne disposant pas du dernier mot qui est à l’Assemblée nationale. Il existe tout de même une exception qui n’est pas des moindre, il ne peut être contourné pour les réformes constitutionnelles. En effet, le Sénat jouera un rôle crucial, ne pouvant être dissous, en apportant la clarté aux débats parlementaires et en modérant le pouvoir de l’Assemblée nationale de diviser les discussions, et notamment en emportant la majorité en CMP.

Le Sénat aura donc rôle majeur qu’il a déjà commencé à assumer en 2022 car le Président de la République ne disposait pas de la majorité absolue.

Par les équipes d’ESL Rivington