Contre toute attente, l’unique candidat réformiste s’est hissé samedi à la magistrature suprême, avec près de 54 % des voix.
Le régime de Téhéran s’est-il fait prendre à son propre jeu ? Ou la victoire, annoncée le 6 juillet, de Massoud Pezeshkian à la présidentielle iranienne est-elle au contraire un signe du souhait des décideurs de voir arriver au pouvoir l’unique figure réformiste, pour des considérations internes et extérieures ? La question se pose depuis quelques jours. Certes, la République islamique est une boîte noire aux ressorts bien souvent insaisissables. Plusieurs éléments permettent toutefois de donner des indications.
Rebond de la participation électorale en faveur de Pezeshkian
En approuvant la candidature du réformiste Massoud Pezeshkian à l’élection présidentielle iranienne, organisée à la hâte après la mort le 19 mai de l’ancien dirigeant Ebrahim Raïssi dans un accident d’hélicoptère, le régime semblait avoir pris un pari risqué. Afin d’éviter d’essuyer un nouveau revers après avoir enregistré en 2021 ce qui était à l’époque le plus bas taux de participation à une élection présidentielle (49 %) sous la République islamique, le pouvoir aurait cherché à attirer les électeurs, désillusionnés pour beaucoup face à un système théocratique jugé illégitime et autoritaire. Surtout, à la lumière des aspirations de renouveau exprimées par les participants au mouvement Femme, Vie, Liberté, déclenché en septembre 2022 après la mort en détention de la jeune Kurde Mahsa Amini pour un voile mal porté.
Il semble très plausible que le régime ait voulu augmenter le taux de participation après les taux de participation catastrophiques de l’élection présidentielle de 2021 et des élections législatives de 2024. Puisqu’il considère qu’un taux de participation élevé est un indicateur de la légitimité du régime, le guide suprême a sans doute souhaité que les réformistes participent cette fois-ci. L’ayatollah Ali Khamenei avait lui-même appelé à deux reprises les électeurs à se rendre aux urnes avant la tenue des deux tours.
Un pari qui se serait retourné contre le régime. Le 1er tour du scrutin, organisé le 28 juin dernier, a été marqué par un nouveau record d’abstention, estimée à près de 60 %, remettant en cause la légitimité du pouvoir. En outre, Massoud Pezeshkian était arrivé en tête devant l’ultraconservateur Saïd Jalili, proche du guide suprême Ali Khamenei. Très critique de la police des mœurs, le réformiste s’était posé en défenseur des droits des femmes lors du récent mouvement de contestation – dans les limites jugées acceptables par le régime – critiquant le gouvernement de l’ultraconservateur Raïssi qui était perçu comme le successeur de Ali Khamenei. L’élection du premier à la présidence iranienne aurait ainsi infligé un camouflet aux autorités conservatrices. Le nouveau dirigeant a été élu avec près de 54 % des voix, dans un scrutin de surcroît marqué par un taux de participation plus élevé, estimé à près de 50 %.
Avec le premier président réformiste depuis près de deux décennies, les digues ultraconservatrices mises en place autour du pouvoir ces dernières années, notamment par le défunt Ebrahim Raïssi, semblent avoir sauté. Intégré à l’équipe de campagne de Massoud Pezeshkian, l’ancien ministre des Affaires étrangères et architecte de l’accord sur le nucléaire iranien, Mohammad Javad Zarif, pourrait revenir dans le jeu, tandis que le nouveau président a reçu le soutien des deux anciens dirigeants réformistes et modérés, Hassan Rohani et Mohammad Khatami.
Dans cette optique, le pouvoir aurait de quoi être insatisfait du vainqueur du scrutin, qui a fait campagne sur des promesses de rapprochement avec l’Occident en vue de faire lever les sanctions économiques contre Téhéran et de réformes sociales telles que l’opposition à la police des mœurs. Il est en effet clair que la moitié des Iraniens ont décidé de voter dans l’espoir d’améliorer leur vie quotidienne. Ces derniers jours, de nombreux électeurs et figures de la société civile soutenaient cependant un boycott du scrutin afin de ne pas faire le jeu du régime et lui donner de la légitimité. Mais la peur qu’un ultraconservateur tenant une ligne dure passe au pouvoir semble avoir incité au passage aux urnes, ainsi que la perspective que l’état économique du pays, perçu comme lié aux sanctions occidentales, s’améliore.
Loyauté sans faille au guide suprême
De l’autre côté, plusieurs signes peuvent laisser penser que le régime s’accommoderait en réalité de l’élection du réformateur comme président. À la veille du 1er tour du scrutin, deux candidats conservateurs s’étaient retirés de la course, tandis que trois autres restaient en lice, dont les deux favoris – Saïd Jalili et le président du Parlement, Mohammad Bagher Ghalibaf – donnés proches dans les sondages, qui plaçaient déjà Massoud Pezeshkian en tête. Cela témoigne du fait que le régime a pris le risque de voir un réformateur modéré arriver au pouvoir alors que les conservateurs divisaient le vote. La raison pour laquelle ce risque a été pris peut être attribuée à des facteurs tels que la reconnaissance des mauvaises performances de l’ancien président Raïssi et de son cabinet, la nécessité d’améliorer les conditions économiques des citoyens pour réduire le mécontentement et l’anticipation d’avoir à faire face à une présidence Trump. La République islamique aurait-elle secrètement préféré cette issue ?
D’une part, Massoud Pezeshkian a démontré à plusieurs reprises sa loyauté sans faille au guide suprême. Samedi, ce dernier a notamment prononcé son discours de victoire au mausolée de l’ayatollah Ruhollah Khomeyni, fondateur de la République islamique. Sur le plan domestique, la présidence de Massoud Pezeshkian, dont la victoire a été célébrée samedi à l’aube dans certaines parties du pays, pourrait également apaiser la colère d’une partie de la population. Si le régime ne cédera sûrement pas sur des revendications considérées comme des lignes rouges, à l’instar du port du voile obligatoire pour les femmes, certains observateurs suggèrent qu’il pourrait accorder d’autres concessions liées aux libertés sociales.
Sur la scène extérieure, à l’heure où les tensions sont montées d’un cran depuis le début de la guerre à Gaza et où les mandataires iraniens de l’« axe de la résistance » ont ouvert plusieurs fronts contre Israël, l’Iran qui se prépare à l’élection potentielle de Donald Trump à la présidence américaine en novembre pourrait se satisfaire d’un président modéré. L’an dernier, l’échange de prisonniers conclu entre les États-Unis et la République islamique avait laissé espérer le début d’une coopération diplomatique plus poussée ainsi qu’une reprise des pourparlers indirects sur le programme nucléaire.
Certains observateurs s’attendent ainsi à ce que Massoud Pezeshkian maintienne ouvert le canal de dialogue établi par le gouvernement de Raïssi afin d’apaiser les tensions. Il est donc probable que Pezeshkian constitue une équipe expérimentée pour gérer les questions de politique étrangère, telles que l’accord sur le nucléaire et qu’il fasse des ouvertures en direction de Washington. Toutefois le corps des Gardiens de la Révolution islamique restera l’ultime décideur en matière de politique régionale, compte tenu des enjeux à Gaza, au Liban, en Syrie et au Yémen ; ce qui signifie qu’il ne faut pas s’attendre à un changement significatif de position de la part de l’Iran.