Les difficultés actuelles de l’Iran et du Hezbollah

06.09.2024 - Regard d'expert

L’été a été particulièrement compliqué pour l’autoproclamé « axe de la résistance ». Sa capacité de dissuasion est érodée. Les gifles tactiques que lui inflige Israël sont de plus en plus difficiles à absorber. Et les perspectives stratégiques commencent à s’assombrir.

Beaucoup est bien sûr ici question de perception. La guerre de Gaza a débuté depuis bientôt onze mois et les dynamiques ont évolué, et se sont même parfois inversées, à plusieurs reprises. Le conflit est loin d’être terminé et nul ne peut dire aujourd’hui à quoi ressemblera le Moyen-Orient une fois ce cycle de violence achevé. Les Iraniens sont les champions du monde de la « patience stratégique » et peuvent considérer qu’aucun des revers subis n’est déterminant tant qu’il ne remet pas en question les deux piliers de leur politique extérieure, le réseau de milices et le programme nucléaire.

Même le plus zélote des adorateurs de l’axe aura toutefois du mal à ne pas reconnaître que la situation s’est rapidement dégradée. Le double assassinat de Fouad Chokor et d’Ismaël Haniyé, à Beyrouth et à Téhéran, a redonné l’avantage à Israël. Ce dernier peut non seulement éliminer les cadres de la « résistance » où et quand il le veut, mais sans avoir en plus à en payer le prix.

Les Iraniens ont sursis, peut-être même renoncé, à leur riposte. Et l’opération menée par le Hezbollah dans la nuit de samedi à dimanche ne semble pas de nature à pouvoir restaurer la capacité de dissuasion du parti. Hassan Nasrallah a beau affirmer que l’attaque est un succès, qu’elle a engendré des dégâts, notamment dans la base de Glilot, et que les frappes israéliennes qui l’ont précédée n’ont eu aucun impact, on a bien du mal à le croire. Le leader du Hezbollah admet d’ailleurs lui-même qu’il doit désormais « attendre de voir si les résultats sont satisfaisants ». Traduction : si cela suffit à dissuader Israël de considérer le Liban, y compris sa banlieue sud, comme une nouvelle Syrie, un terrain où il peut agir à sa guise et quand bon lui semble.

L’axe est coincé. Pris à son propre piège. Il ne parvient pas à restaurer sa capacité de dissuasion sans risquer une confrontation directe, qu’il veut absolument éviter, avec Israël et les États-Unis. L’attaque menée par la République islamique contre l’État hébreu le 13 avril dernier n’a pas eu les effets escomptés. Et celle du Hezbollah a de grandes chances de suivre la même trajectoire. Si l’on en croit la version israélienne qui, peut bien sûr être exagérée, elle ressemble même à un échec cuisant. Tel-Aviv avait connaissance du timing et des détails de son exécution et ses frappes préventives en ont largement limité la portée.

Le Hezbollah peut arguer qu’il n’a pas utilisé ses missiles de longue portée et que l’opération avait surtout pour objectif de prouver qu’il est capable de viser une cible proche de Tel-Aviv. Mais elle met surtout en relief les limites de l’axe. L’Iran n’est pas à l’aise dans la confrontation directe avec Israël où son arsenal est assez restreint. Le Hezbollah a plus de possibilités, mais est également plus exposé. Sa riposte, bien qu’elle semble avoir été amputée, démontre qu’il n’est pas prêt à risquer une nouvelle guerre ouverte et totale avec Israël, contrairement à ce qu’il prétendait ces dernières semaines.

Benjamin Netanyahu pourrait être tenté d’en profiter. De pousser son avantage en frappant un maximum de cibles, humaines ou matérielles, dans le Sud, dans la Békaa et peut-être même, de façon plus exceptionnelle, dans la banlieue sud de Beyrouth. Plus cette guerre dure et plus le pouvoir israélien se permet de franchir des lignes rouges. Et plus il le fait et plus il sera difficile pour l’axe, en premier lieu pour le Hezbollah, de restaurer les règles d’engagement.

Cette impasse est aggravée par le fait que les perspectives de sortie de crise s’amenuisent pour l’Iran et ses alliés. Ils ne peuvent pas accepter un cessez-le-feu à Gaza qui permettrait aux Israéliens de reprendre, dans un second temps, leur offensive sur l’enclave. Mais quelle est leur alternative ? Le temps joue à nouveau en faveur de Benjamin Netanyahu. Le Likoud est en tête des sondages. La pression internationale a eu très peu d’effets. La possibilité d’une victoire de Donald Trump à la présidentielle américaine le renforcerait. Et il peut espérer enregistrer de nouveaux succès militaires tant à Gaza qu’au Liban-Sud. Seule une énorme pression américaine, que l’on attend toujours, pourrait renverser la table. Benjamin Netanyahu a compris que l’axe ferait tout pour éviter la guerre totale, ce qui lui laisse ainsi les mains libres pour mener autant de guerres d’usure qu’il le souhaite.

Les déboires de l’axe iranien ne sont néanmoins pas nécessairement synonymes de victoire pour Israël. Sa supériorité militaire ne suffit pas à lui offrir une véritable porte de sortie. Sur le plan stratégique, il n’a aucune solution crédible sur le long terme pour Gaza, pour le Liban-Sud, pour la Cisjordanie et pour la question du nucléaire iranien. Lui aussi est coincé et pris à son propre piège. C’est pourquoi, quelle que soit l’issue des négociations qui se déroulent actuellement au Caire, et qui pourraient aboutir au mieux à une forme de trêve de moyenne durée, cette guerre est encore loin d’être achevée. Et si l’on a fort heureusement évité l’escalade régionale cette fois-ci, il est fort probable que cette guerre ne se termine qu’en cas de rupture stratégique majeure à l’échelle du Moyen-Orient.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.