Le 3 août 2024, le Comité central du Parti Communiste Vietnamien (PCV) a élu To Lam au poste de nouveau secrétaire général. Cet ancien ministre de la Sécurité publique âgé de 67 ans avait déjà été nommé président le 18 mai dernier.
Après une longue série de démissions et d’arrestations au sein du PCV, notamment au Comité central et au Politburo, cette nomination est venue donner un peu de clarté à un paysage politique qui commençait à devenir confus. Ainsi deux présidents ont été contraints de démissionner en un peu plus d’un an : Nguyen Xuan Phuc en janvier 2023 et Vo Van Thuong en mars 2024, ainsi qu’un vice-Premier ministre, Pham Binh Minh, en décembre 2022.
Le décès du secrétaire général précédent, Nguyen Phu Trong, le 19 juillet 2024 a donné un coup d’accélérateur à la carrière de celui qui est aujourd’hui devenu la principale force motrice du système politique vietnamien. La nomination de To Lam n’est toutefois pas une surprise. Ce dernier avait été désigné un peu plus tôt pour superviser les structures de direction du Parti suite au décès de Nguyen Phu Trong et était, selon les règles du Parti, l’une des deux seules personnes éligibles au poste de secrétaire général.
Nouvel homme fort du Vietnam
To Lam contrôle maintenant à la fois l’État et le Parti, après avoir été depuis 2016 un intransigeant ministre de la Sécurité publique, en charge notamment de la lutte contre la corruption. D’ailleurs, le jour de sa nomination au poste de secrétaire général, le Comité central a accepté la démission de quatre de ses membres dont celles du vice-Premier ministre Le Minh Khai et du ministre des Ressources naturelles et de l’Environnement Dang Quoc Khanh. À l’instar des « retraites anticipées » précédentes, les justifications publiques se sont concentrées sur des violations non spécifiées aux règles du Parti, mais les véritables raisons sont probablement liées à des enquêtes anti-corruption.
Règlement de compte et lutte contre la corruption
La prise de fonction de Nguyen Phu Trong au poste de secrétaire général du PCV en janvier 2011 a rapidement été suivie par le lancement d’une vaste campagne de lutte contre la corruption. Cette dernière est toujours en cours et n’a épargné presque personne. Ainsi depuis le dernier congrès du PCV en 2021, quatre des 18 membres du Politburo ont été contraints de démissionner pour avoir enfreint les règles du Parti.
En 2022, le ministère de l’Information affirmait qu’en dix ans :
- 168 000 membres du PCV avaient été sanctionnés, et 7 390 avaient été « punis pour corruption ou liens avec la corruption.
- 16 699 cas de corruption, d’abus de pouvoir ou d’irrégularités économiques avaient été poursuivis, et des avoirs à hauteur de 2,6 milliards de dollars avaient été récupérés.
- Depuis 2021, plus de 70 officiels de haut rang dont sept ministres ou anciens ministres et deux présidents ont été sanctionnés.
Un pays en quête de respectabilité
Bien que brutale et ayant déstabilisée de nombreux cercles d’influences, la campagne anti-corruption a eu un effet positif sur l’économie du pays. Elle a permis de réduire certains coûts « informels », de rationaliser des procédures bureaucratiques, de démanteler certains groupes d’intérêts et de faciliter les procédures de conformité. Ainsi, de 2010 à 2023, le pays est passé de la 127e à la 87e place sur 180 pays, dans l’indice de perception de la corruption de Transparency International. C’est loin d’être satisfaisant mais des progrès ont bel et bien été réalisés.
Cependant, la virulence de la campagne a également pu ralentir certains projets d’investissements, les membres de l’administration craignant de prendre des engagements qui pourraient se retourner contre eux. Dans les milieux d’affaires, certains se sont inquiétés que plusieurs projets d’investissements internationaux soient suspendus en attendant d’avoir une plus grande visibilité sur la future gouvernance du pays. Toutefois, les soubresauts politiques n’ont eu, à ce jour, quasiment aucun impact sur la politique économique du Vietnam. Cela devrait encore être le cas avec l’accession de To Lam au pouvoir.
Consolidation du pouvoir
Si To Lam parvient à garder la double casquette de secrétaire général et de président jusqu’au prochain congrès du PCV qui doit se tenir début 2026, cela sera le signe d’une impressionnante consolidation du pouvoir et d’une remise en cause du système traditionnel de répartition des pouvoirs entre quatre piliers : le secrétaire général du parti ; le Premier ministre, le Président et le Président de l’Assemblée nationale. La personnalisation du pouvoir autour de To Lam devrait apporter la stabilité politique qui faisait défaut au pays depuis un peu plus de deux ans. Loin de marquer une rupture, cette nouvelle donne devrait assurer la continuité du système.
Toutefois les luttes d’influences ne sont pas terminées, notamment dans les niveaux intermédiaires. Des remaniements sont donc encore à prévoir dans les prochains mois. A la suite des nombreuses arrestations et démissions liées à la campagne anti-corruption, beaucoup de postes sont restés vacants. Cela devrait permettre à To Lam de promouvoir de nombreux politiciens et fonctionnaires de rang inférieur ou à l’échelle régionale et de s’assurer ainsi de nouvelles fidélités. Ce qui pourrait contribuer à renforcer son assise politique.
Il est intéressant de noter que sept des membres restants du Politburo ont travaillé au sein du ministère de la Sécurité publique ou de la Défense, y compris le Premier ministre Pham Minh Chinh. Les autres membres sont issus du Parti. Cela peut laisser supposer que dans les mois qui viennent les questions de sécurité pourraient primer sur les enjeux économiques, à l’image de la Chine.
S’inscrire dans la continuité
Il y a toutefois peu de changement à attendre de la part du nouveau secrétaire général. To Lam est connu pour être quelqu’un de pragmatique et de travaillant dans la durée. Tout en maintenant un discours axé sur la sécurité et la lutte contre la corruption, To Lam s’attèlera d’abord à la relance de l’économie. Car c’est bien sur les résultats économiques que se joue une partie de la légitimité future du système politique. Après un net ralentissement en 2023 la croissance est repartie. L’économie vietnamienne devrait ainsi selon la Banque Mondiale croître de 5,5% en 2024 et 6% en 2025. Certains dossiers restés trop longtemps en attente pourraient redevenir d’actualité notamment en matière de modernisation des infrastructures de transports et d’énergie ainsi que d’ouverture du capital de certaines entreprises publiques.
En matière de politique étrangère, là encore il n’y a pas de bouleversement à attendre. Le pays a accueilli fin juin le Président russe Vladimir Poutine pour discuter de défense et d’une possible reprise d’achat d’armements. La Russie reste de loin le premier fournisseur d’équipements militaires au Vietnam même si ce dernier cherche doucement à élargir ses sources d’approvisionnement.
D’une manière générale, le Vietnam cherchera à préserver une approche à peu près équilibrée (diplomatie du bambou) dans ses relations avec la Chine et les Etats-Unis. Pour son premier voyage à l’étranger en tant que secrétaire général, To Lam s’est rendu en Chine le 19 août où il a rencontré le président Xi Jinping. Quatorze accords dont un concernant une étude de faisabilité sur le développement des échanges ferroviaires entre les deux pays ont également été signés à cette occasion. Dans un souci d’équilibre, To Lam se rendra bientôt aux Etats-Unis. Il s’est en effet engagé à participer au sommet sur l’avenir des Nations-Unies qui se tiendra à New York les 22 et 23 septembre. Il devrait avoir des entretiens bilatéraux en marge de ce sommet.
Même si To Lam ne semble pas apporter une importance cruciale à des dossiers considérés comme majeurs pour la plupart des politiciens européens (environnement, droits sociaux, droits de l’Homme, etc.), les relations avec l’Europe ne devraient pas connaître de grande évolution. Il existe toutefois certains points de friction entre To Lam et l’Allemagne depuis l’enlèvement en 2017 par les services spéciaux vietnamiens d’un homme d’affaires à Berlin. Ce dossier ne devrait cependant pas bloquer les grandes initiatives de la Commission européenne pour réduire l’exposition économique, commerciale et technologique de l’Europe à l’égard de la Chine. Les flux commerciaux entre l’Europe et le Vietnam ont atteint 64,2 milliards d’Euros en 2023 (dont seulement 7,6 milliards avec la France avec un déficit de 5,2 milliards pour la France) et devraient continuer de croître tout comme les flux d’investissements étrangers vers le Vietnam (36,6 milliards d’Euros en 2023 soit une progression de 32,1% par rapport à 2022). La poursuite de la diversification des centres de production manufacturiers hors de Chine devrait ainsi continuer de profiter au Vietnam et plus largement à l’ensemble des grandes économies d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Thaïlande, Malaisie, etc.).
Aussi, si To Lam n’est pas perçu comme un fervent partisan de l’ouverture économique, sa présence pourrait rassurer les investisseurs étrangers qui, à défaut de transparence, espèrent stabilité et prévisibilité.