Traduire économiquement l’évolution de la France sur le dossier du Sahara marocain

13.09.2024 - Regard d'expert

Paris l’a fait. Après plusieurs années de tractations politiques, de négociations, de balais diplomatiques et d’interventions diasporiques de part et d’autre de la Méditerranée, la France a décidé de reconnaître la proposition médiane « d’autonomie sous souveraineté marocaine » comme seule solution viable au différend régional du Sahara Marocain.

S’il a fallu passer par une crise sans précédent entre les deux capitales, celle-ci a au moins eu le mérite de permettre une révision à la hausse des fondations de la relation maroco-française, basée aujourd’hui sur une compréhension plus fine des priorités de chacune des parties, un dialogue franc, et une certitude plus forte d’un avenir commun. Paris redécouvre un vieil ami que les années ont fait grandir, et Rabat retrouve confiance en l’un de ses plus anciens partenaires.

Après l’orage, vient donc l’embellie, porteuse avec elle, entre autres, de nouvelles opportunités pour le business français au Maroc, et plus particulièrement au Sahara. Car si deux antennes de la Chambre française de commerce et d’industrie du Maroc (CCFIM) avaient d’ores et déjà été inaugurées à Dakhla et Laâyoune pour accompagner les entreprises françaises désireuses de se déployer au sud du Maroc, celles-ci, à quelques exceptions près, sont restées timides dans leur approche en l’absence d’un soutien clair du Quai d’Orsay et de Bercy. La donne est aujourd’hui différente : tous les feux sont au vert et les champions français ont pour nette indication de poser pied dans le Maroc méridional, là où les entreprises étrangères (asiatiques, américaines, européennes) n’ont pas attendu pour faire montre d’un appétit certain.

Les opportunités d’investissements au sud du Maroc sont, en effet, nombreuses. Chantiers à ciels ouverts, les deux provinces sahariennes du Maroc, Laâyoune-Sakia El Hamra et Dakhla-Oued Eddahab, dernières à avoir été décolonisées par le Royaume chérifien (respectivement en 1975 et 1979) font l’objet d’une attention particulière de la part de l’État marocain, qui s’est donné pour objectif de les porter à un niveau similaire de développement économique, social et environnemental que le reste de la mère-patrie. Aussi, en 2015, Rabat lance un projet, le « Nouveau modèle développement des provinces du Sud » (NMDPS) qui a permis d’injecter plus de 80 milliards de dirhams, pour transformer, ce qui était à l’époque du colonialisme espagnol un désert austère, en une terre outillée pour envisager tous les possibles.

Les deux régions sahariennes sont d’abord très bien connectées. Disposant de deux aéroports régionaux celles-ci sont à une heure et demi de vol du Centre financier de Casablanca (CFC), puis par ricochet, connectées à toutes les capitales africaines et européennes. Grâce à la voie express Tiznit-Dakhla et le poste sécurisé de Guergarat, les deux régions sont également devenues une verticale obligée pour tous les routiers, transporteurs et transitaires, qui, partant de l’Europe, veulent pourvoir en biens et en services les marchés ouest-africains. En sus des infrastructures portuaires déjà actives, le sud marocain s’apprête également à se doter d’une nouvelle installation, Dakhla Atlantique : fruit de la vision atlantiste du Roi Mohammed VI, cette mégastructure, d’un calibre similaire à Tanger-Med (6ème port mondial) se veut une piste du désenclavement des États du Sahel ainsi qu’un outil unique du développement du littoral marocain.

Au niveau des secteurs porteurs, les provinces sahariennes, ensoleillées toute l’année et balayées quotidiennement par les vents, ambitionnent de devenir un pôle mondial de production des énergies vertes à partir duquel l’Europe notamment pourra puiser pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone. Dotées d’une large côte sur l’Atlantique, les provinces du sud sont également un espace propice au développement de l’économie bleue et du commerce portuaire et maritime. Autour de la presqu’île de Dakhla et dans les profondeurs désertiques, le secteur du tourisme, dans ses différentes composantes, est aussi appelé à se développer. L’industrie enfin aura également toute sa place: les deux régions accueillent d’ores et déjà des centres de formation professionnels pour préparer la main d’œuvre qualifiée nécessaire aux futures usines de fabrication et d’assemblage. Elles se préparent aussi à inaugurer deux « zones de distribution et de commerce » à Bir Guandouz et Guergarat, nœuds stratégiques entre l’Europe et l’Afrique. Aussi, grâce à la Nouvelle Charte de l’Investissement mise en place par le Royaume entrée en vigueur en décembre 2022, le parcours investisseur est aujourd’hui facilité et encouragé par la mise en place d’une multitude d’incitations fiscales et foncières.

En bref, la réconciliation maroco-française pave le chemin aux champions bleu blanc rouge pour envisager sereinement un déploiement dans le Sahara marocain afin d’y débloquer de nouvelles opportunités de croissance. Aux chefs d’entreprise maintenant de s’outiller de l’accompagnement nécessaire pour décrypter ce nouvel espace et apprivoiser ses spécificités.

 

Doha Lkasmi
PhD candidate et enseignante en science politique à Sciences Po Paris, diplômée en droit des affaires d'Assas et de la Sorbonne, et en War studies de King's College London, Doha LKASMI a un double cursus d'internationaliste et de juriste. Elle compte à son actif plusieurs expériences professionnelles en tant que chargée de mission en postes diplomatiques, conseillère en matière de sécurisation des investissements au Maroc et chercheuse en relations internationales au CERI et à Yale University. Doha LKASMI occupe le poste de Directrice générale adjointe du bureau ESL Rivington Maroc.