Les derniers évènements au Moyen-Orient mènent-ils à une confrontation régionale ?

04.10.2024 - Éditorial

1/ L’élimination de Nasrallah est sans aucun doute un évènement très significatif :

Il montre la capacité de dissuasion restaurée d’Israël en matière de renseignements/infiltrations, comme de maîtrise des équipements militaires américains les plus sophistiqués.  Il rétablit la popularité de Netanyahou en lavant l’affront du 7 octobre et même du semi-échec de 2006 face au Hezbollah. Il confirme le soutien sans faille à Israël des Etats-Unis, dont l’armada déployée en Méditerranée orientale contribue beaucoup à la sécurité de l’Etat hébreu. Avec l’affaiblissement important du Hamas et la décapitation du Hezbollah, l’Iran et l’ « axe de la résistance » ont beaucoup perdu en crédibilité face à Israël et aux Etats-Unis.

La Russie et la Chine – alliés de Téhéran – et l’Europe – censée avoir un rôle de médiation – paraissent hors jeu.

Les dirigeants des pays arabes pro-occidentaux ne sont pas peinés de la déconfiture du Hezbollah. De même, une bonne partie de la population libanaise se réjouit de l’affaiblissement du Hezbollah, puissance dominante dans le pays.

En bref, à court terme l’ « axe de la résistance » a perdu une bataille importante, remportée par Netanyahou et les Américains.

Il y a eu, dans la nuit du 1er octobre, une riposte iranienne pour tenter de rétablir sa crédibilité sérieusement entamée ; mais elle a eu un impact limité car les moyens de l’ « axe de la résistance » sont eux-mêmes limités face au Dôme de fer israélien et au soutien américain à Israël. En réalité, la situation économique désastreuse et la contestation intérieure en Iran incitent les autorités de Téhéran à la prudence, comme le reflètent les avances faites à New York par le président iranien aux Américains. Il reste à savoir comment Téhéran réagira à la riposte annoncée par Tel Aviv.

2 / Il n’en demeure pas moins que cette victoire israélo-américaine n’est pas définitive :

Du fait des massacres à Gaza et des pertes humaines dans les bombardements au Liban, mais aussi en raison de la violation répétée du droit international par Israël, ce pays a largement entamé son crédit moral dans le monde. Les manifestations de jeunes aux Etats-Unis et en Europe en témoignent.

La crise à Gaza a remis la question palestinienne à l’ordre du jour de la diplomatie mondiale : L’Arabie Saoudite exige désormais la création d’un Etat palestinien comme condition d’une normalisation avec Israël et plusieurs Etats européens ont reconnu l’Etat de Palestine.

Le nombre important de victimes des bombardements israéliens à Gaza et maintenant au Liban vont créer une nouvelle génération d’extrémistes anti-israéliens qui voudront venger leurs morts, ce qui engendrera de nouvelles violences et compliquera toute résolution du conflit.

Le manque de réaction – autre que rhétorique – des autorités occidentales conforte la critique dans le « Sud Global » du « deux poids deux mesures » de l’Ouest, dont les valeurs universelles perdent en crédibilité, ce qui alimente la propagande des régimes autoritaires (en particulier russe et chinois).

L’Iran est certes affaibli, mais il dispose encore d’une capacité de nuisance avec ses armes et ses milices affidées au Moyen Orient, sans parler de son chantage à l’arme nucléaire. La situation dans la région demeure donc incertaine et fragile

3 / Dans ces conditions, que peut-on faire pour éviter un embrasement régional qui serait un désastre pour tout le monde ?

La première difficulté tient au jusqu’au-boutisme du gouvernement Netanyahou, qui profite de la fenêtre d’opportunité que lui offre l’affaiblissement de l’ « axe de la résistance » – sans véritable réaction dans le monde – pour pousser son avantage en tentant d’éliminer au maximum le Hamas et le Hezbollah, mais aussi en mettant en difficulté le régime de Téhéran pour le contraindre à compromettre. L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis lui faciliterait a priori la tâche.

La deuxième difficulté à court terme est précisément l’incertitude sur l’issue de l’élection présidentielle américaine. Une victoire de Kamala Harris permettrait sans doute de renouer une négociation régionale visant à stabiliser le Moyen Orient. Quant à un retour au pouvoir de Trump, conduira-t-il nécessairement à la reprise de la politique de « pression maximale » sur l’Iran ? Il serait présomptueux de prévoir les décisions de M. Trump.

Les pays du Golfe seront les plus à même de financer une reconstruction de Gaza et d’assister – avec l’Egypte et la Jordanie – un processus de règlement de la question palestinienne. Mais ils doivent tenir compte de l’état d’esprit des opinions arabes qui font pression – après Gaza – pour une solution durable et équitable pour le peuple palestinien.

La Russie et la Chine tenteront de se réintroduire dans un processus éventuel de négociation, mais les Etats-Unis voudront garder la haute main dans une région où ils conservent les meilleures cartes.

Quant à l’Europe, ses divisions l’empêchent jusqu’à présent de jouer un rôle majeur pour sortir de la crise actuelle. Elle devrait cependant tenter d’éviter qu’un « hubris » israëlien et américain ferme la porte d’une solution négociée avec toutes les parties, y compris l’Iran. L’objectif serait que du drame actuel sorte un bien : que ceux qui contestent l’existence d’Israël comme ceux qui contestent l’identité palestinienne soient marginalisés afin de permettre une stabilisation de la région.

Cela implique que soient garanties la sécurité d’Israël et la justice pour le peuple palestinien, mais aussi que l’on trouve un arrangement avec l’Iran – notamment sur la question nucléaire – si bien sûr ses autorités se décident enfin à compromettre. La marge de manœuvre est certes étroite, mais elle mérite d’être tentée.

Bertrand Besancenot
Bertrand Besancenot est Senior Advisor au sein d’ESL Rivington. Il a passé la majorité de sa carrière au Moyen-Orient en tant que diplomate français. Il est notamment nommé Ambassadeur de France au Qatar en 1998, puis Ambassadeur de France en Arabie Saoudite en 2007. En février 2017, il devient conseiller diplomatique de l’Etat puis, après l’élection d’Emmanuel Macron en tant que Président de la République, Émissaire du gouvernement du fait de ses connaissances du Moyen-Orient.