Depuis maintenant 40 ans, avec une régularité et une constance remarquables, la dette publique de la France croît et embellit. De 21 % du PIB en 1980, elle était à la fin du premier trimestre 2024 de 110,7% d’un PIB lui-même multiplié dans le même temps par 2 à prix constants, et par 7 à prix courants.
Après une forte augmentation de 1980 à 1997, où elle avait atteint 62 % du PIB, la dette publique s’était cependant à peu près stabilisée jusqu’en 2007, pour, avec la crise financière, de nouveau fortement augmenter et se stabiliser vers 98 % du PIB dans les années 2016 à 2019, puis, avec la crise sanitaire, reprendre sa progression, pour à nouveau se stabiliser aux alentours des 110% du PIB.
Jusqu’à présent, malgré cette progression exponentielle et accélérée, le débat sur la dette publique, et sa nécessaire réduction, était resté d’ampleur limité, sans commune mesure avec la progression de la dette elle-même. Les deux rapports Pébereau de 2005 et 2017, les admonestations du Gouverneur de la Banque de France et du Président de la Cour des Comptes, les injonctions de Bruxelles, les dégradations des agences de notation étaient autant de jalons pour rappeler à tous que l’on ne pouvait pas indéfiniment vivre au-dessus de ses moyens, puis on revenait aux affaires courantes, aux réponses à apporter aux multiples demandes impératives et urgentes de financement.
Inversement, la gestion de la dette n’imposait qu’une urgence moindre. « On ne meurt pas de ses dettes, on meurt de ne plus pouvoir en faire » diagnostiquait le médecin Louis-Ferdinand Céline, et pour ce qui concerne la dette publique de la France, le péril n’était que relatif et lointain. L’origine du mal était identifiée, les deux crises financière et sanitaire. Des remèdes au moins temporaires existaient, les achats de la BCE, l’inflation, les taux d’intérêt négatifs. Des marges de manœuvre subsistaient, le Japon n’a-t-il pas une dette publique égale à 250% de son PIB ? Des remèdes plus drastiques pouvaient même être envisagés, les obligations perpétuelles. La réduction de la dette et des déficits pouvait attendre.
Mais en trois mois, l’espace d’un été, la donne s’est radicalement modifiée. La réduction de la dette est désormais au centre du débat politique. Pour combien de temps ?
Selon un sondage, pour « Les Echos » et l’Institut Montaigne, publié jeudi dernier, plus de huit Français sur dix (82 %) jugent « urgent » de réduire la dette publique. « L’idée reçue que la dette est un sujet qui préoccupe davantage les personnes âgées et l’électorat de droite est fausse. Cela inquiète toutes les catégories d’âge, de profession et quel que soit l’électorat », observe Adrien Smid, consultant senior chez Elabe.
Plusieurs facteurs expliquent cette inquiétude soudaine. L’envolée du déficit en l’absence d’une cause claire et identifiée met en évidence la vulnérabilité structurelle et non plus conjoncturelle de nos finances publiques. L’absence de transparence révèle une difficulté d’anticipation et une gestion non maîtrisée. L’absence de majorité parlementaire interroge sur la capacité à redresser la barre.
Pendant quelques mois, ceux notamment consacrés au vote du budget, il est clair que le déficit et la dette seront en France au cœur du débat public, à rebours de la tendance générale constatée par le FMI et l’OCDE.
Après avoir passé au crible 4 500 et 720 élections répartis sur 50 ans, le FMI constate sur son blog une tendance croissante à la dépense publique que l’adoption de règles budgétaires n’a pas enrayée. « La rhétorique de la restriction budgétaire a perdu la faveur au cours des trois dernières décennies, après avoir été particulièrement populaire dans les années 1980 »
De même, dans son rapport annuel l’OCDE fait le constat de la fin des allégements fiscaux afin de financer la dynamique des dépenses publiques. « Nous observons désormais un changement d’orientation de l’action publique qui devrait se poursuivre vers la création de marge de manœuvre budgétaire pour faire face aux chocs futurs et soutenir les transformations structurelles à long terme auxquelles nos économies et nos sociétés sont confrontées. »
L’heure est à la dépense, avec comme leader incontesté les Etats-Unis, déficit de 8% du PIB et dette publique à 120% du PIB, avec comme exception une Allemagne qui prévoit de réduire en 2025 son déficit à 1% du PIB. Pour sa part, la France est au milieu du gué et après avoir dilapidé sa marge de manœuvre budgétaire, n’a plus guère le choix. La priorité budgétaire est redevenue une réalité. Elle risque de le rester pour longtemps.