L’Asie, comme le reste du monde, est suspendue à ce qu’il se passe aux États-Unis . Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2025 suscite un certain nombre d’interrogations. Son premier mandat avait laissé un goût amer chez les principaux alliés des États-Unis dans la région. Beaucoup se rappellent que la première mesure prise par Donald Trump en entrant à la Maison Blanche en janvier 2017 avait été de signer un décret mettant fin à la participation des États-Unis au traité de libre-échange transpacifique (CPTPP), fer de lance du pivot vers l’Asie orchestré par l’administration Obama. Ce traité signé par douze pays de la région Indo-Pacifique était vu comme un contrepoids à l’influence grandissante de la Chine. Le retrait américain a été mal perçu par ses principaux partenaires et plus particulièrement le Japon qui voyait dans cet accord un moyen d’équilibrer le Partenariat économique global (RCEP) auquel participe également la Chine.
Une manque de continuité qui nuit à la crédibilité américaine
Pour essayer de reprendre pied dans la région, l’administration Biden a lancé en mai 2022 le cadre économique Indopacifique pour la prospérité (IPEF) regroupant quatorze pays de la région. Ce cadre est toutefois moins ambitieux et manque encore de cohérence. Avec l’IPEF, les États-Unis proposent uniquement la création d’un mécanisme facilitant les transactions mutuellement complémentaires, sans pour autant abaisser les tarifs ou élargir l’accès à leur marché. L’IPEF n’est donc pas un accord de libre-échange, mais prévoit davantage d’intégration dans quatre domaines : l’économie numérique, les chaînes d’approvisionnement, les énergies vertes et la lutte contre la corruption. Malgré le manque d’ambition de l’IPEF, il n’est pas certain que la nouvelle administration Trump maintienne l’accord en l’état. Une renégociation ou un retrait placerait, une fois encore, les pays partenaires des États-Unis dans une position délicate et renforcerait l’image d’une Chine plus constante et fiable auprès des autres pays de la région. La hausse significative des investissements américains en Asie du Sud-Est (+6% avec 37 milliards de dollars en 2023), notamment dans le cadre de la politique de découplage économique soutenue par les autorités américaines, ne suffira sans doute pas à restaurer la crédibilité commerciale des États-Unis en Asie, d’autant plus que ces derniers importeront de moins en moins de la région. Oxford Economics estime ainsi que les importations américaines en provenance d’Asie, hors Chine, devraient, à court terme, chuter de 3%.
Des monnaies asiatiques affaiblies
La réélection de Donald Trump a également soulevé une vague d’inquiétude sur les marchés financiers asiatiques. Les principales monnaies régionales ont chuté dès les résultats annoncés (-2% pour le yen japonais , -1,6% pour le dollar singapourien et le bath thaïlandais, -1,5% pour le ringgit malais, -1,2% pour le won coréen, -0,9% pour le nouveau dollar taiwanais, -0,7% pour la roupie indonésienne, etc.). Le yen japonais a depuis continué de décliner. Il a ainsi perdu plus de 10% depuis son pic de septembre 2024. Les devises de pays ayant des liens commerciaux forts avec la Chine, comme la Corée du Sud, l’Indonésie, la Malaisie et Taiwan, sont particulièrement sensibles aux évolutions des taux de change entre la monnaie chinoise et le dollar. L’Inde et les Philippines sont moins concernées et donc relativement protégées.
Même étalée dans le temps, la volonté de Donald Trump d’un alourdissement des tarifs douaniers de 60% à l’égard de la Chine et de 10 à 20% pour les produits importés d’autres régions, soulève un certain nombre d’interrogations et pourrait affaiblir la compétitivité de nombreux pays. Parallèlement, une hausse du dollar pourrait avoir un effet négatif pour les pays dont une large part de la dette publique est émise dans la monnaie américaine et qui verront le coût de leur dette augmenter (+ 80% pour la Mongolie ; +20% pour le Bangladesh, l’Indonésie, le Pakistan, les Philippines, le Vietnam, etc.).
Le momentum économique de l’ASEAN
Toutefois, les pays de l’ASEAN devraient continuer de bénéficier de la politique de diversification opérée par de nombreuses entreprises internationales mais également chinoises qui « de-risquent » la Chine en investissant massivement en Asie du Sud-Est. En 2023, les six premières économies d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Thaïlande, Singapour, Philippines, Vietnam et Malaisie) ont totalisé 206 milliards de dollars d’investissements étrangers et la Chine seulement 42,7 milliards. Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises chinoises, qui cherchent à contourner les barrières tarifaires établies par les États-Unis, relocalisent une partie de leur production en Asie du Sud. Ainsi en 2023 les investissements chinois en Asie ont bondi de 37%. L’Indonésie, le Vietnam et la Thaïlande font partie des principaux bénéficiaires de cette tendance et pourraient, à leur tour, se retrouver dans le collimateur de l’administration Trump. Il est vrai que, d’après une étude publiée conjointement par la DBS Bank de Singapour et l’agence Bain&Co, les six premières économies d’Asie du Sud-Est devraient connaître, entre 2024 et 2034, une croissance annuelle moyenne de 5,1%, loin devant les 3,5%-4,5% prévu pour la Chine sur la même période.
Faire payer les alliés
Sous son premier mandat, Donald Trump a adopté une approche transactionnelle avec ses alliés en Asie. Cela devrait être également le cas pendant son second mandat. De 2017 à 2021, Donald Trump s’en était pris au coût, qu’il considérait comme excessif pour les États-Unis, des accords de dépenses avec le Japon et la Corée du Sud. Il avait demandé, avec un certain succès, à ces deux pays de payer davantage pour leur sécurité. En réponse, le Japon a prévu de passer d’ici 2027 de 1,6% à 2% de son PIB pour sa défense. De son côté, la Corée du Sud, à laquelle Donald Trump avait demandé de payer une augmentation de 400% pour l’entretien des troupes américaines sur son territoire, a pris les devants en communiquant sur le fait qu’elle dépense déjà 2,8% de son PIB dans la défense et qu’elle a couvert 92% de la construction du camp de Humphreys, le nouveau quartier général des troupes américaines dans le pays. Peu de temps après la réélection de Donald Trump, le Ministère des Affaires étrangères sud-coréen a d’ailleurs publié une fiche rappelant que les entreprises coréennes avaient investi depuis 2021 plus de 100 milliards de dollars aux États-Unis, notamment dans la production de véhicules électriques et de semi-conducteurs et que les entreprises sud-coréennes avaient créé plus de 470 000 emplois aux États-Unis. De leurs côtés, plusieurs sociétés taïwanaises ont fait savoir qu’elles allaient accroître leurs investissements aux États-Unis. C’est notamment le cas de Foxconn, Pegatron et de Quanta Computer. Il n’est toutefois pas certain que cela suffise à calmer les ardeurs de Donald Trump, qui cherchera à obtenir davantage de concessions de la part de ses partenaires asiatiques en termes d’investissements, de transferts technologiques, spécialement en matière de semi-conducteurs et d’achat de matériels militaires. Durant la campagne électorale, Donald Trump a par exemple suggéré que pour bénéficier de la protection américaine, Taiwan devrait dépenser 10% de son PIB dans la défense.
Incertitudes géopolitiques
Sous le premier mandat de Donald Trump, la situation internationale était encore relativement stable, ce qui lui avait permis de concentrer son attention sur la région Indo-Pacifique, particulièrement sur la Chine et la Corée du Nord. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. De l’Ukraine au Moyen-Orient les sujets d’intérêts internationaux ne manquent pas. D’ailleurs, le premier objectif affiché en matière politique étrangère de Donald Trump est de régler le guerre russo-ukrainienne et non pas de prendre une initiative majeure en direction de l’Asie. C’est sans doute pour cette raison que le leader nord-coréen Kim Jong-un a décidé de se rappeler aux bons souvenirs des États-Unis, en envoyant des troupes en Russie, mais aussi en relançant des essais de missiles balistiques capables de frapper le territoire américain. De cette manière, il espère sans doute se replacer au cœur des préoccupations stratégiques américaines et reprendre un contact direct avec la nouvelle administration Trump.
Ce sont les alliés et les principaux partenaires des États-Unis dans la région, qui sont les plus inquiets. Le dialogue et les partenariats initiés par l’Otan avec plusieurs pays de la région Indo-Pacifique (Australie, Corée du Sud, Japon, Nouvelle-Zélande) restent suspendus au devenir de l’organisation. A l’image de l’Allemagne et de la France en Europe, les exécutifs japonais et sud-coréens sont actuellement affaiblis pour des raisons de politique interne, ce qui, là aussi, pourrait à terme remettre en question le pacte stratégique États-Unis /Japon/Corée du Sud établi à Camp David en août 2023. Un désengagement, même partiel, des États-Unis de l’Europe aurait des répercussions immédiates en Asie. De même une résolution, même provisoire, de la guerre russo-ukrainienne à l’avantage de la Russie serait regardée avec beaucoup d’appréhension par Taiwan et la Corée du Sud. Dans tous les cas, la crédibilité des États-Unis comme partenaire fiable en matière de sécurité serait entachée. Doublé à une hausse du protectionnisme économique américain, cela pourrait contribuer à éloigner un peu plus les États-Unis d’une région pourtant devenue prioritaire à leurs yeux. La Chine, mais aussi la Russie et la Corée du Nord, pourraient profiter de la faiblesse de l’édifice lentement tissé par les États-Unis au fil des décennies en Asie, pour tenter d’imposer un nouveau tempo et un nouveau rapport de force. Nous n’en sommes pas encore là mais les pays asiatiques vont devoir continuer à s’adapter à un environnement de plus en plus complexe et mouvant où la rivalité entre les États-Unis et la Chine continuera de redéfinir les dynamiques régionales.