La myopie stratégique semble avoir contaminé tous les domaines vitaux de notre nation. La défense, autrefois considérée comme le pilier de notre souveraineté, n’échappe pas à cette tendance inquiétante, alors qu’il nous faut une vision claire et à long terme. Anesthésiés par l’utopie d’une paix éternelle, nous avons sacrifié la « grande muette ». Avec une dette publique frôlant les 3 200 milliards d’euros, notre budget de défense stagne entre 1,7 % et 1,9 % du PIB, encore loin des 2 % exigés par l’Otan. Cette stagnation a des conséquences directes : notre armée peine à renouveler son matériel, à maintenir ses capacités opérationnelles et à répondre aux exigences de missions extérieures.
Le conflit en Ukraine a été un révélateur douloureux de notre vulnérabilité. Face à une guerre de haute intensité, la France ne tiendrait pas plus de quinze jours. Ce constat est inacceptable pour une nation qui aspire à jouer un rôle de leader sur la scène européenne. La France s’est retranchée derrière sa nouvelle ligne Maginot qui est la dissuasion nucléaire. Cette myopie ne se limite pas à notre armée. Nos industries de défense, dépourvues de visibilité sur les commandes, sont contraintes à l’attentisme. La légèreté ou le manque de vision de notre diplomatie et la gestion chaotique des contrats ont conduit à des pertes économiques conséquentes, sans oublier le flou qui ne permet de développer une stratégie, laissant notre chaîne d’approvisionnement au bord de l’effondrement. En somme, nous avons une armée à l’os, une industrie affaiblie, et un véritable risque de déclin dans un contexte mondial où les menaces se multiplient.
Menaces
En outre, nous minimisons gravement ces dangers. Alors que nos dirigeants concentrent leur attention sur la situation en Ukraine, ils négligent des menaces tout aussi préoccupantes : les ambitions expansionnistes ou anti-occidentales des puissances comme la Turquie, la Russie, l’Iran et la Chine, qui se manifestent à nos frontières et au-delà.
Le radicalisme islamiste et le terrorisme, l’islam politique avec le frérisme, alimentés par des financements étrangers, infiltrent nos territoires. Ces menaces, bien que moins médiatisées, sont en pleine expansion et constituent une préoccupation majeure pour notre avenir. Il est urgent d’adopter une vision cohérente pour notre défense. Les armes ne se construisent pas en un jour, et chaque jour perdu nous rapproche d’un échec démobilisateur et destructeur. Pour redevenir un acteur militaire mondial de premier plan, il est impératif d’augmenter notre budget de défense à 3 % du PIB. Cela permettra non seulement de garantir la disponibilité et la quantité de notre matériel, mais aussi de renforcer notre autonomie stratégique face aux aléas internationaux. Créer des champions européens en matière de défense est désormais indispensable.
L’inefficacité de notre appareil militaire est illustrée par le fait qu’actuellement, l’Union européenne compte par exemple quinze types de chars contre un seul pour les Etats-Unis. Il serait vital de faire émerger le fameux champion qui créera notre cloud souverain et protégera nos données stratégiques aujourd’hui livrées aux Gafam.
Long terme
Nos entreprises sont enfin définitivement des proies faciles face à la concurrence, par manque de protection native dès leur financement mais aussi par naïveté. Enfin, nos dépendances sont tragiques, américaine et chinoise surtout, sur nos matériels comme les composants : en cas de conflit, 80 % de nos technologies militaires de pointe proviendraient de l’extérieur, ce qui nous rend particulièrement vulnérables à des interruptions d’approvisionnement. Ce manque de coordination, d’harmonisation et de sécurisation de nos industries est une faiblesse inacceptable, surtout à une époque où les défis globaux nécessitent une réponse unifiée. La question du financement est également cruciale. Alors que la zone euro est accablée par une dette de 12 732 milliards d’euros (un quart pour la seule France), l’Europe doit réorienter ses priorités vers la défense. Les instruments financiers européens actuels sont inefficaces et insuffisamment concentrés pour répondre aux besoins de long terme. Nous devons tirer les leçons des investissements américains, où la Darpa (l’agence de recherche et de développement), par exemple, dispose d’un budget de 4,1 milliards de dollars par an, comparé à notre maigre un milliard d’euros pour le Fonds européen de défense.
Le fossé d’investissement en recherche et développement est donc vertigineux et doit être comblé rapidement. Les Etats-Unis dépensent 140 milliards de dollars pour la R&D quand les Etats membres de l’UE ne dépensent qu’une dizaine de milliards d’euros. Je milite pour que la Banque européenne d’investissement ouvre ses financements aux entreprises de défense. Investir dans notre sécurité n’est pas un risque, le vrai risque est de ne pas investir. Il est impératif de changer notre perception de la défense. Pour cela, nous devons développer une culture de défense où les entreprises, les banques et les citoyens prennent conscience de leur rôle dans la sécurité nationale. Une véritable dynamique de coproduction de sécurité pourrait amener les banques à prêter avec fierté, les entreprises à intégrer la défense dans leurs programmes RSE ou dans un nouveau pilier de leurs offres, et les citoyens à détenir davantage d’actions d’entreprises issues de l’industrie de défense. En somme, la France doit se réveiller et adopter une vision à long terme pour sa défense. Préserver notre sécurité, nos valeurs, comme notre mode de vie, nécessite des choix audacieux, des investissements ciblés et durables et une vision stratégique. Pour relever ces défis, agissons de manière réaliste et responsable, car notre avenir dépend de notre capacité à investir dans notre défense dès aujourd’hui.
Publié le 8 novembre 2024 par l’Opinion