La France et l’Afrique : comment recréer les conditions d’une relation forte et confiante ?

06.12.2024 - Éditorial

La remise en cause concomitante, le 28 novembre, par le Président Bassirou Diomaye Faye, de la présence militaire française au Sénégal, et par le Ministre tchadien des affaires étrangères des accords de défense entre Paris et N’Djamena, illustre le caractère à la fois inéluctable et urgent d’un aggiornamento de notre relation avec le continent africain.

Cette double annonce marque le point d’orgue d’un  processus engagé depuis trois ans avec le retrait, à la demande des dirigeants des pays concernés, des troupes françaises du Mali (janvier 2022), du Burkina Faso (octobre 2022) et du Niger (juillet 2023).

Opérée sans préavis, quelques heures après une visite de notre Ministre des affaires étrangères à N’Djamena, et touchant au pilier le plus emblématique de notre présence en Afrique, elle illustre de façon humiliante l’érosion accélérée de l’influence de la France sur le continent.

La contestation de notre présence militaire en Afrique n’est que l’expression la plus visible de la montée en puissance, depuis une dizaine d’années, sur l’ensemble du continent, d’un discours néopanafricaniste et souverainiste qui trouve un large écho auprès des opinions publiques africaines, et singulièrement auprès des jeunes. La France, bien entendu, y est particulièrement exposée, en raison de son passé colonial et des liens étroits qu’elle a continué, depuis les indépendances, et continue d’entretenir avec ses anciennes colonies.

Au-delà de notre relation avec les pays de notre ancien « pré carré », ce sont notre rapport avec l’ensemble du continent, où les accusations de néocolonialisme formulées à notre encontre en Afrique francophone sont largement relayées, et notre image, qui en sont affectés.

Bien entendu, l’essentiel des critiques qui nous sont adressées sont injustes et exagérées. Elles sont généralement le fait de dirigeants populistes, en mal de légitimité. Elles se fondent le plus souvent sur des fantasmes ou des contre-vérités. Elles sont alimentées, attisées et propagées par de nouveaux venus sur le continent (Russie, Chine, Turquie), désireux d’y développer, au détriment des nôtres, leur influence et leurs intérêts. Mais les dénoncer ne suffira pas.

Notre relation avec l’Afrique s’est, au fil des décennies, largement renouvelée. La France n’est plus le « gendarme de « l’Afrique » (elle n’en a plus ni la volonté, ni les moyens). Elle n’interfère plus dans les affaires intérieures des pays africains, comme l’a constaté récemment à la suite des coups d’État intervenus au Sahel.

Elle ne considère plus l’Afrique francophone comme sa « chasse gardée ». Les pays qui la composent ont noué, au fil du temps, des partenariats avec beaucoup d’autres pays, notamment sur le plan économique, et ne comptent plus que pour une part marginale dans nos échanges. À l’inverse, nos entreprises ont depuis longtemps compris que le marché africain ne se limite pas aux pays francophones. Elles achètent, vendent, investissent (souvent dans le cadre d’entreprises conjointes franco-africaines) et produisent partout sur le continent.

Enfin, notre dialogue avec l’Afrique s’est aussi profondément diversifié. Il ne se limite pas, loin s’en faut, aux seuls francophones. Nous coopérons avec l’ensemble des pays africains et apportons un soutien actif aux initiatives portées par l’Union africaine et les organisations régionales du continent dans les domaines les plus variés.

Il n’empêche : le passé continue d’affecter lourdement notre relation avec l’Afrique. L’erreur de nos dirigeants successifs est d’en avoir systématiquement sous-estimé le poids et d’avoir tardé à poser les gestes forts qui auraient acté une rupture. La « Françafrique » n’existe plus, mais nous continuons, aux yeux de larges franges de la population africaine, d’en porter les stigmates. Si nous voulons tourner la page, le moment est venu de nous débarrasser des symboles d’un passé révolu.

S’agissant de notre présence militaire (hors Djibouti, qui relève d’une approche particulière), et alors que le rapport commandé par le Président de la République à l’ancien Ministre Jean-Marie Bockel vient tout juste de lui être remis, les derniers développements justifieraient que nous nous interrogions, à tout le moins, sur l’opportunité de maintenir ce qui en subsiste, d’un point de vue opérationnel aussi bien que politique. En tout état de cause, le maintien de dispositifs permanents devrait, autant que possible, être évité. Quant à l’envoi de forces temporaires, il devrait obligatoirement satisfaire à un certain nombre de conditions (demande expresse, publique et assumée des dirigeants des pays concernés, en réponse à une agression extérieure, ou menace grave à l’encontre de nos intérêts ou de nos ressortissants). 60 ans après les indépendances, il est largement temps que les Africains prennent en charge leur sécurité, quitte, bien entendu, à ce que nous leur apportions (comme nous le faisons déjà, mais à plus grande échelle), sur le plan bilatéral ou européen, un soutien en termes de formation et d’équipement.

La question de la zone franc doit aussi être posée. Sensée, à travers ses mécanismes (fixité des parités, garanties de convertibilité, libre transférabilité et centralisation des réserves de change), assurer la stabilité monétaire des trois zones qui la composent (UEMOA, CEMAC et Union des Comores), elle reste, malgré la réforme engagée en 2019 (qui ne concerne que la zone UEMOA) largement perçue sur le continent comme une atteinte à la souveraineté de ses États-membres et un symbole du rapport de domination que nous entretenons avec eux. Son impact négatif sur la compétitivité des économies concernées est également régulièrement évoqué. Plutôt que de subir ces critiques pas toujours désintéressées, il semblerait judicieux de prendre sans tarder l’initiative d’un large débat, public et ouvert, incluant les sociétés civiles des pays concernés, sur son avenir.

Enfin, nous devons nous défaire de l’accusation de soutenir, en Afrique, des régimes illégitimes et dictatoriaux, en contradiction, lorsque c’est notre intérêt, avec les principes que nous prétendons défendre (le fameux « deux poids, deux mesures »). Cela passe par une condamnation systématique des coups de force constitutionnels et, a fortiori, des coups d’État, et la mise en œuvre systématique de sanctions à l’encontre de ceux qui y procèdent. Ces sanctions doivent être fermes, mais proportionnées, et viser en priorité les dirigeants et la sphère institutionnelle des pays concernés (interdiction de visa, arrêt de la coopération institutionnelle, militaire ou civile, …). Elles doivent également être évolutives, leur levée étant conditionnée à un retour à l’ordre constitutionnel.

Les revers subis depuis quelques années par notre politique africaine traduisent incontestablement un déclin de l’influence de la France sur le continent, au profit notamment d’acteurs nouveaux que n’encombrent ni le passé, ni les scrupules. Ce constat, cependant, mérite d’être nuancé. Nous conservons, dans notre rapport avec l’Afrique, de nombreux atouts, à commencer par les liens que nous avons tissés avec les pays et les peuples du continent, la connaissance que nous en avons, l’intérêt que nous continuons de porter, avec nos partenaires européens, à leur présent et à leur avenir. Nous avons, si nous le voulons, les moyens d’enrayer la spirale négative à l’œuvre et de reprendre la main. Mais le redressement de notre image et de notre influence en Afrique passe par l’envoi de signaux forts à destination des opinions publiques africaines. C’est à ce prix que nous pourrons renouer avec le continent une relation forte, confiante et décomplexée.

André Parant
André Parant est diplômé de l’IEP de Paris et de l’ENA. Il a occupé plusieurs fonctions diplomatiques successives : il a été en poste au Maroc, en République centrafricaine, avant de rejoindre le cabinet du ministre des Affaires étrangères en 1995 puis d’être nommé consul général à San Francisco en 1996. En 2002, il prend la fonction de conseiller technique à la cellule diplomatique de la Présidence de la République. Il est nommé en 2005 Ambassadeur de France à Dakar, puis au Liban en 2007. Après avoir exercé durant trois ans (2009-2012) les fonctions de conseiller Afrique à la Présidence de la République, il est nommé en mai 2012 Ambassadeur de France en Algérie. Il a ensuite occupé le poste d’Ambassadeur de France en Egypte de 2014 à 2017 puis en Tunisie de 2020 à 2023. En octobre 2023, André Parant a rejoint ESL Rivington et le groupe ADIT en tant que senior advisor.