L’attaque terroriste et barbare du 7 octobre 2023, menée par le Hamas, a plongé Israël dans un traumatisme collectif sans précédent. Face à cette agression, Israël a lancé une riposte massive, soutenue initialement par une large partie de sa population et de la communauté internationale.
Cependant, cet élan de soutien s’est rapidement effrité. Trois facteurs principaux expliquent cette dynamique. En effet, les objectifs de l’offensive militaire israélienne se sont avérés flous :
- Premièrement, éradiquer une organisation terroriste profondément enracinée dans la société de Gaza relève d’un défi quasi insurmontable ;
- Deuxièmement, l’intensité des bombardements aériens israéliens, bien qu’efficace sur le plan militaire, a causé des dégâts collatéraux importants, générant de nombreuses critiques au sein de la communauté internationale ;
- Dernier point, la gestion du dossier de la libération des otages a nourri des frustrations, notamment dans la société israélienne où une partie de la population considère que l’on a « abandonné » les otages au profit de l’offensive militaire. Les choix stratégiques d’Israël durant cette crise ont été fortement influencés par des considérations politiques internes. Le Premier ministre Benyamin Netanyahou, à la tête d’une coalition incluant des partis d’extrême droite, a cherché à consolider sa position en répondant de manière « musclée et vigoureuse ». Cette stratégie a cependant été contestée par de nombreux responsables militaires et du renseignement, notamment le chef d’état-major, Herzi Halevi, l’ancien chef du Mossad, Tamir Pardo, et le chef du Shin Bet, Ronen Bar. Ces figures ont exprimé leur scepticisme quant à une offensive prolongée sur Gaza, pointant ses limites stratégiques et les risques d’un enlisement.
Avant le 7 octobre, Benyamin Netanyahou avait bâti une stratégie politique reposant sur l’idée que le Hamas, bien qu’ennemi déclaré, était un acteur « sous contrôle » dans la bande de Gaza. Cette conviction s’appuyait sur plusieurs éléments : l’absence d’implication directe du Hamas dans les affrontements majeurs de 2022, son rôle dans la gestion quotidienne de Gaza, et le soutien financier du Qatar, qui injectait des millions de dollars pour stabiliser l’économie locale. Netanyahou utilisait alors le Hamas comme contrepoids à l’Autorité palestinienne, et de facto il repoussait un éventuel accord de paix à une date lointaine. Cette perception s’est révélée catastrophiquement erronée lorsque le Hamas a orchestré l’attaque terroriste du 7 octobre, exposant les failles de cette approche.
De surcroît, Israël orientait principalement sa stratégie militaire vers une guerre contre des acteurs plus conventionnels, comme le Hezbollah ou l’Iran. Tsahal s’était préparé à des affrontements de haute intensité, prévoyant des scénarios de salves de missiles depuis le Liban ou d’opérations d’envergure en provenance de l’Iran ou de ses proxys. Ce focus stratégique a contribué à l’échec du 7 octobre 2023.
Cependant, le renseignement israélien, aussi bien humain qu’électronique, a rapidement repris l’ascendant. Les capacités de collecte et d’analyse d’informations ont permis à Israël d’éliminer les principaux commandants du Hamas mais surtout deux figures majeures du Hamas : Yahya Sinwar, chef du Hamas à Gaza, et Mohammed Deif, commandant des brigades Izz al-Din al-Qassam. Ces opérations ciblées, combinées à des opérations spéciales pour libérer des otages, témoignent de l’adaptation rapide de Tsahal dans ce conflit asymétrique. La conduite de ces opérations spéciales et de cette guerre ne fut possible que grâce à l’aide militaire américaine qui a joué un rôle crucial dans les approvisionnements en munitions, la fourniture de systèmes antimissiles THAAD, et un appui dans le renseignement GEOINT.
Malgré ce soutien militaire massif, l’administration Biden a échoué à exercer des pressions diplomatiques sur Israël pour limiter les dommages collatéraux et imposer des pauses humanitaires durables. Ces échecs ont alimenté un ressentiment croissant, notamment dans les pays du Sud global et parmi les alliés occidentaux, rendant plus difficile la poursuite de l’opération.
Néanmoins, face à un bilan contrasté dans la bande de Gaza, Israël peut se targuer de succès face au Hezbollah, aux Houthis et à l’Iran.
Sur le front nord, Israël a affronté le Hezbollah dans un conflit d’une intensité rarement vue depuis 2006. Tsahal a mené une campagne militaire dévastatrice, détruisant des tunnels, des bases d’entraînement et des dépôts d’armes stratégiques dans le sud du Liban. Un coup majeur porté au Hezbollah a été l’opération spéciale visant les cadres de l’organisation équipés de bippers et de radios. Cette opération, minutieusement préparée depuis des années, a consisté à piéger les dispositifs électroniques utilisés par les commandants de terrain. Les explosions déclenchées à distance ont éliminé plusieurs figures clés, privant le Hezbollah de ses principaux décideurs tactiques. En parallèle, les frappes aériennes israéliennes ont tué Hassan Nasrallah, le chef historique du Hezbollah, et désorganisé l’ensemble de sa chaîne de commandement. Malgré des attaques sporadiques sur le territoire israélien, le Hezbollah a été contraint de limiter son implication, en partie à cause de l’impact économique et militaire dévastateur qu’aurait eu un conflit prolongé pour le Liban.
La situation au Yémen a également évolué avec un affaiblissement notable des Houthis, alliés stratégiques de l’Iran dans la région. Depuis octobre 2024, Israël, en coordination avec les États-Unis, a mené plusieurs frappes aériennes ciblant des infrastructures militaires et des dépôts d’armes utilisés par les Houthis. Ces frappes visaient notamment des systèmes de missiles balistiques fournis par l’Iran, qui représentaient une menace pour les voies maritimes stratégiques du détroit de Bab el-Mandeb. En parallèle, le 20 novembre 2024, les États-Unis ont officiellement placé les Houthis sur la liste des organisations terroristes étrangères, réimposant des sanctions économiques et gelant leurs avoirs internationaux. Cette décision vise à restreindre leurs capacités de financement et à accentuer leur isolement diplomatique.
Face à l’Iran, Israël a démontré une maîtrise stratégique remarquable. Les systèmes de défense antimissile israéliens – le Dôme de Fer, la Fronde de David et le système Arrow – ont intercepté presque tous les missiles balistiques tirés par les forces iraniennes ou leurs proxys, garantissant la sanctuarisation du ciel israélien. Dans le même temps, Israël a intensifié ses opérations en profondeur. Une opération spéciale notable a conduit à l’élimination d’Ismaël Haniyeh, un haut responsable du Hamas soutenu par l’Iran, lors d’une attaque ciblée. Par ailleurs, des frappes aériennes en Syrie et en Irak ont détruit des entrepôts d’armes et des bases logistiques iraniennes, affaiblissant durablement la capacité de projection régionale de Téhéran.
L’élection de Donald Trump à la présidence américaine a marqué un tournant dans la gestion du conflit dans la bande de Gaza. Sa future administration a exercé des pressions considérables sur Israël, le Qatar et le Hamas, pour accélérer les négociations concernant un cessez-le-feu et la libération des otages. Cela s’explique par une volonté de Trump de démontrer un leadership international fort, et sa volonté de séduire l’électorat évangélique et pro-israélien aux États-Unis. Ainsi, la dernière phase des négociations a abouti à un cessez-le-feu précaire, conditionné par la libération de plusieurs dizaines d’otages israéliens. En contrepartie, Israël va devoir relâcher des milliers de prisonniers palestiniens, dont certains membres actifs de groupes terroristes qui purgent des peines à perpétuité. Le Hamas a exploité ces négociations pour « humilier » le gouvernement israélien et renforcer son image auprès de ses partisans. Le cessez-le-feu reste fragile, et les multiples provocations du Hamas (retards dans la remise de la liste des otages, mise en scène lors de la libération des otages, présence d’hommes armés en masse lors des libérations des otages) ne présagent rien de bon pour une éventuelle deuxième phase des négociations. Ces actes, soigneusement orchestrés, visaient à faire passer le message qu’Israël avait échoué dans sa tentative d’éliminer le Hamas.
Malgré ces défis, la libération des otages rappelle une valeur essentielle de la société israélienne : la vie humaine n’a pas de prix, même si le coût stratégique est élevé.
En guise de conclusion, nous pouvons dire que l’offensive israélienne post-7 octobre a permis de rétablir une forme de dissuasion régionale et d’affaiblir significativement des ennemis comme le Hezbollah et l’Iran, qui ont perdu leur capacité d’influence régionale. Cependant, la situation à Gaza reste un défi, tant sur le plan militaire que diplomatique. À l’échelle locale, la résilience du Hamas souligne les limites d’une solution purement militaire. À l’échelle régionale, Israël a réaffirmé sa supériorité stratégique, mais le prix à payer – sur le plan humain, politique et éthique – soulève des questions sur l’équilibre à trouver entre sécurité et diplomatie.