Les démocraties occidentales sont-elles suffisamment solides pour résister à la montée des autoritarismes ?
La démocratie française s’enfonce dans une crise politique dont on ne voit pas la fin. Nous pensions les institutions de la Vème République solides, elles montrent aujourd’hui d’inquiétantes limites. Les règles du parlementarisme rationalisé viennent certes de permettre au forceps l’adoption du Projet de loi de Finances mais au prix de quelles difficultés et laissant aux français le sentiment que le pays n’a plus de direction. La succession des défaites électorales du camp présidentiel (élection européenne suivie de deux tours de législatives provoqués par une décision de dissolution dont l’inspiration nous échappe) ont fait perdre sa légitimité au Président de la République pourtant réélu facilement en 2022.
En cherchant, à partir d’une situation politique inédite, à constituer des coalitions gouvernementales entre des formations qui n’ont pas cette culture et dont les leaders ont d’autres calendriers, le Président de la République, que rien ni personne ne forçait à dissoudre, a renvoyé la France à ses divisions, ses déchirures sans lui donner de grilles de lecture, de vision, de projets éclairants et de raisons d’espérer. La démocratie française risque ainsi pour les deux prochaines années d’être ballotée de 49-3 en 49-3, d’arbitrages interministériels en négociations partisanes.
Le nez sur le quotidien, enfermée dans la gestion de ces déficits et des comptes publics, obnubilé par la défense de son modèle social, inquiète de son décrochage économique, incapable de se projeter dans l’avenir, expédiant les affaires courantes, notre pays risque de vivre deux très longues années où les agressivités de tous bords, les divisions, les violences menaceront en permanence l’unité nationale avec les risques de dérapage que cela impliquent. Qui peut souhaiter cela à la France ?
Si on change d’horizon un instant, que l’on jette un regard circulaire sur les pays qui nous entourent, rien ne nous rassure vraiment. Les démocraties européennes sont à peu de choses près confrontées à des situations analogues. L’Allemagne, autre moteur de l’Europe, est elle aussi à l’arrêt. Ses institutions, plus habituées que les nôtres au déficit majoritaire, mieux rompues à la conciliation, au compromis, aux coalitions, peinent à définir le contour d’un avenir commun pour les allemands, à répondre aux défis d’une économie qui s’essouffle, d’un pays qui vieillit. Partout autour, en Hongrie, en Italie, en Hollande, en Belgique, ….les démocraties vacillent, les peuples sont divisés, les partis extrémistes récoltent toujours plus de suffrages et accèdent parfois au pouvoir : Melloni en Italie, Orban en Hongrie, Bart de Wever en Belgique, ministres d’extrême droite en Hollande, en Finlande ou en Slovaquie.
La question posée est très claire. Nos systèmes politiques et démocratiques et, à travers eux, les partis politiques eux-mêmes et les hommes et les femmes politiques qui les dirigent, sont-ils capables de répondre aux défis du temps présent ?
Face aux puissances du monde qui s’affrontent sur tous les terrains géostratégiques, économiques, technologiques, culturels, l’Europe paraît ballotée, menacée dans ses identités, challengée sur ses principes et ses valeurs, incapable d’inventer de nouvelles frontières et de faire rêver. Notre souveraineté est défensive, notre modèle social menacé est défendu coûte que coûte …et ça coûte cher …sans que rien ne vienne nous faire croire à son avenir et sa capacité à se régénérer.
Make America Great Again et l’Amérique Trumpienne bousculent, inquiètent, agacent et fascinent en même temps. La jonction entre l’Amérique conservatrice et réactionnaire, blanche et chrétienne du premier mandat de Trump avec l’Amérique de la technologie, de la recherche et de l’innovation, symbolisée par la présence envahissante d’Elon Musk et le ralliement des GAFAM au second mandat du président américain, bousculent le monde. L’Amérique veut conquérir l’espace, imposer ses technologies, maîtriser ses espaces stratégiques vitaux. Les déclarations tonitruantes de Trump sur le Groenland, le Canal de Panama, le golfe de l’Amérique ou même le Canada en sont des manifestations éclatantes.
L’Empire chinois n’est pas en reste. Par la profondeur de son marché, sa capacité à innover et plus seulement à copier, la puissance de ses investissements dans la recherche et la technologie, ses grandes capacités industrielles à bas coût, la Chine a aussi sa vision et ses projets. The Belt and Road Initiative dévoilée à l’automne 2013 reste une des priorités de la diplomatie chinoise qui cherche à travers cette initiative à restructurer la gouvernance mondiale.
Même la Russie de Poutine, acteur économique de moindre ampleur, affiche sa volonté farouche de reconstituer un Empire, de redonner de la fierté et des perspectives à son peuple, de traiter d’égal à égal avec les Etats-Unis et la Chine, d’influencer le cours de la géostratégie mondiale en s’appuyant sur ses implantations africaines, en cherchant la coopération et l’alliance avec les économies émergentes qui remettent elles-aussi en cause la domination du monde par les puissances occidentales.
Dans ce panorama qui nous défie et nous inquiète, les peuples recherchent des certitudes, des raisons d’espérer, une vision pour leur avenir et celui de leurs enfants. Ils cherchent aussi à être rassurés par les figures tutélaires qui les gouvernent. Nous assistons de fait à une puissante revanche des régimes autoritaires sur les démocraties.
Si Winston Churchill disait en novembre 1947 devant la chambre des communes : « la démocratie est le pire système de gouvernement à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire », chinois, russes et une grande partie du monde en développement répondent que les démocraties occidentales sont décadentes, refermées sur elles-mêmes et les valeurs qu’elles cherchent à imposer au monde, incapables d’investir et de construire le monde demain. Le peuple américain lui-même est sensible aux sirènes de ces nouvelles formes d’autoritarisme. Trump bouscule l’équilibre des pouvoirs, fondé par les pères de la constitution américaine autour d’une stricte séparation des pouvoirs qu’il va être très intéressant de surveiller dans les mois qui viennent.
Comment l’Europe et la France peuvent-elles résister à ce mouvement qui pour l’heure semble inéluctable ?
La première piste consiste à afficher des priorités stratégiques fortes autour de quelques grands thèmes qui engagent l’Union européenne : conquête et maîtrise de l’espace, intelligence artificielle et traitement des données, politique industrielle dans le secteur de la défense, maîtrise des technologies dans le domaine de la santé et des médicaments, autonomie alimentaire par la valorisation et la défense de nos agricultures et de nos industries agroalimentaires, maîtrise de notre approvisionnement en minéraux stratégiques, production d’énergies décarbonées (y compris le nucléaire) en quantité suffisante pour assurer notre autonomie énergétique. L’Europe doit porter ce projet avec des engagements financiers forts qui doit être la clé de voûte de la riposte. Les fondateurs de l’Europe ont eu pour ambition, après la deuxième guerre mondiale, de créer un espace de paix, de coopération, de prospérité. Il nous faut retrouver des dirigeants européens clairvoyants et courageux pour montrer qu’il existe une autre voie d’ambition et de prospérité que celle portée par les régimes autoritaires de la planète. Donner envie et faire rêver les européens, telle doit être l’ambition de ce projet.
La seconde piste consiste à re-légitimer nos démocraties et nos institutions. Si nos peuples ne sont pas derrière nos dirigeants et ne se reconnaissent pas en eux, il est vain de penser que ces dirigeants eux-mêmes puissent porter quelque vision ou projet d’avenir mobilisant les énergies. De ce point de vue là, je crains malheureusement que les institutions européennes aient besoin d’être réformées. Qui peut aujourd’hui considérer qu’Ursula Von der Leyen, présidente de la commission européenne, ait une légitimité démocratique suffisante pour incarner un nécessaire projet européen ? À coup sûr personne.
La situation de notre pays est tout aussi préoccupante. Le Président de la République a perdu, scrutin après scrutin, sa légitimité populaire. Il a bien sûr été élu en 2022 et personne ne peut l’obliger à démissionner. Mais que peut faire un Président dans les institutions de la Vème République dont les opinions négatives sont à 80%, qui ne dispose d’aucune majorité à l’Assemblée nationale et qui a contribué à mettre en place un gouvernement de coalition alors qu’il n’y a pas de coalition majoritaire possible dans la configuration politique issue des urnes. La faiblesse politique de notre Président fragilise nos institutions, rend impossible le fait d’avoir un gouvernement qui fasse des choix et décide, et affaiblit la voix de la France en Europe et dans le monde. Nous ne pouvons pas nous permettre que cette situation perdure jusqu’en 2027 tant les relations internationales complexes et tendues rendent nécessaire d’avoir un Président fort dans une Europe forte.
Le Président Macron a le devoir de comprendre cette situation et de retourner devant les français pour rechercher une nouvelle légitimité. La voie référendaire est possible et sans doute souhaitable pour ne pas attendre une éventuelle dissolution à l’été. Encore faudra t’il que la question posée (ou les questions…) soient claires et faciles à interpréter. Il appartiendra aussi au Président de la République, dans une approche gaullienne, d’en tirer toutes les conséquences.