Lors du premier salon de l’armement – the World Defense Show – qui s’est tenu à Riyad du 6 au 9 mars, la société saoudienne Advanced Communications and Electronics Co. et le groupe chinois CETC (China Electronics Technology Group Corp.) ont signé un accord pour produire des drones dans le royaume.
Au sein de cette joint-venture – appelée Aerial Solutions – CETC établira un centre de recherche et de développement, qui construira différents types de systèmes UAV : communications, contrôle de vol, caméras, radars et systèmes de détection sans fil. Aerial Solutions vise à développer des drones électriques à décollement vertical, des solutions anti-drones, des systèmes d’analyse, des éléments d’hélicoptères et de radars. L’objectif est de localiser en Arabie l’innovation technologique à travers la recherche scientifique, la production et la formation d’ingénieurs saoudiens.
Ce n’est certes pas le premier contrat sino-saoudien – sans parler des missiles – dans le secteur des drones, puisqu’en 2017 l’Arabie Saoudite avait déjà commandé des Wing Loong II. Et la China Aerospace Science and Technology Corp. avait également conclu un partenariat avec la King Abdelaziz City for Science and Technology (KACST) pour construire en Arabie une installation dédiée aux drones.
Le montant du contrat signé ce mois-ci lors du salon de Riyad n’a pas été révélé, mais l’agence chinoise Xinhia a décrit cet accord comme « le plus important jamais conclu en matière d’exportation d’armement chinois ».
Il est difficile de ne pas faire un lien entre cette annonce et les propos – rapportés par The Atlantic – du prince héritier saoudien selon lesquels il « n’accorde pas d’importance » (I don’t care) à l’attitude de réserve du président Biden à son égard, que l’Arabie Saoudite pourrait réduire ses investissements aux Etats-Unis (évalués par lui à 800 Mds $) et que si les Américains manquaient les opportunités offertes par le royaume, « d’autres pays à l’Est en seraient très heureux » dans une allusion claire à la Chine. Naturellement, il faut faire la part du langage parfois « bravache » du prince héritier saoudien et il est clair que l’Arabie demeure dépendante encore aujourd’hui politiquement, militairement et technologiquement des Etats-Unis.
Néanmoins, le fait que Riyad ait refusé de répondre positivement à la demande du président Biden d’accroître sa production pétrolière dans le contexte de la crise ukrainienne et ait confirmé vouloir s’en tenir à l’accord OPEP + avec la Russie, montre que les autorités saoudiennes entendent désormais monnayer leurs relations avec l’administration Biden, en n’hésitant pas notamment à développer leurs relations avec la Chine – qui est déjà leur premier client et partenaire commercial – y compris dans les domaines de l’armement et de la haute technologie.
C’est une nouvelle étape de franchie dans l’émancipation de l’Arabie Saoudite – mais aussi des Emirats Arabes Unis – vis-à-vis de leur protecteur américain, en tout cas de l’administration Biden. La question reste ouverte dans l’hypothèse d’un retour au pouvoir des Républicains à Washington.
L’Arabie Saoudite pourrait accepter le paiement de ses exportations d’hydrocarbures en Yuans chinois
C’est une nouvelle pique lancée par Riyad à Washington : le 15 mars, le Wall Street Journal révélait que l’Arabie Saoudite serait prête à accepter des paiements en Yuans plutôt qu’en dollars américains pour ses exportations pétrolières. Suite à cette annonce, la monnaie chinoise a gagné 0,4 % en valeur face au dollar, dans ce qui sonne comme un nouveau pied de nez saoudien à l’administration de Joe Biden.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, le locataire de la Maison Blanche tente en effet de faire pression sur ses alliés traditionnels exportateurs d’hydrocarbures pour faire tomber le cours de ces derniers, qui ont atteint des sommets après l’invasion russe. Le Premier Ministre britannique s’est d’ailleurs rendu aux Emirats Arabes Unis et en Arabie Saoudite pour appuyer les efforts américains en ce sens.
Cependant le royaume a jusque-là refusé d’augmenter sa production de pétrole et son rapprochement avec Pékin prend aujourd’hui une portée d’autant plus particulière dans le contexte de relations tendues avec son allié stratégique américain.
Si la nouvelle a fait grand bruit, ce n’est cependant pas la première fois que l’Arabie Saoudite brandit la menace d’accepter les Yuans pour ses exportations pétrolières vers la Chine lorsque ses relations avec Washington sont tendues. Mais depuis quelques mois, les Saoudiens en parlent de plus en plus. C’est donc une menace réelle, qui sera comprise comme telle par les Etats-Unis. Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, devrait d’ailleurs se rendre en Arabie Saoudite à la fin du mois dans le cadre d’une tournée régionale (incluant également les Emirats Arabes Unis, Israël et la Cisjordanie) pour aborder tant le nucléaire iranien que la stabilité des marchés de l’énergie.
On sait que depuis son arrivée à la Maison Blanche, Joe Biden refuse de s’adresser directement au prince héritier saoudien. Or si ce dernier a patiemment attendu – après l’affaire Khashoggi – une réhabilitation que le président Macron a été le premier dirigeant occidental à entamer lors de sa visite officielle à Djeddah en décembre dernier, il se sent désormais en position de force pour négocier une reconsidération de son statut par l’administration américaine. Avec des prix du baril de pétrole qui ont frôlé les 140 dollars le 6 mars dernier, Riyad garde la haute main sur les cours de l’énergie grâce à son importante capacité de production non utilisée, mais aussi à sa coopération avec Moscou dans le cadre de l’OPEP +.
Par ailleurs Washington se montre pressé de conclure les négociations sur le nucléaire iranien, ce qui permettrait le cas échéant à la production de pétrole et de gaz iraniens de réintégrer les marchés mondiaux, et contribuerait donc à faire baisser les prix des hydrocarbures grâce à une augmentation de l’offre. Or Riyad craint que ces développements ne renforcent la position de la République Islamique dans la région, en lui permettant notamment de financer ses supplétifs. Au regard des bonnes relations existant entre la Chine et l’Iran, le prince héritier saoudien pourrait ainsi essayer de capitaliser sur la relation amicale qu’il entretient de son côté avec le dirigeant chinois pour inciter ce dernier à tempérer les ambitions iraniennes.
Naturellement, les Etats-Unis restent l’allié stratégique privilégié de l’Arabie Saoudite et son principal fournisseur d’armes ; mais le royaume a étendu sa coopération avec la Chine, y compris dans le domaine de l’armement. Aujourd’hui Pékin est le principal partenaire commercial de Riyad et les Yuans récoltés grâce à la vente de pétrole pourraient servir à financer les importations chinoises ou encore contribuer à diversifier les réserves saoudiennes en devises étrangères.
Certes, si une telle décision aurait un impact politique énorme, son impact financier serait dans un premier temps très limité car plus de 80 % des transactions mondiales se font actuellement par l’intermédiaire du dollar américain comme valeur de référence. Les conséquences pourraient néanmoins être bien plus importantes si un effet de réseau apparaissait dans le cadre duquel plusieurs pays accepteraient les paiements dans la monnaie chinoise, la rendant dès lors incontournable. Si Riyad acceptait les paiements pour ses hydrocarbures en Yuans, l’effet de propagation pourrait être rapide : la Russie ferait de même, l’Iran certainement, l’Irak pourrait suivre … A terme, cela aurait des conséquences énormes. Ainsi, alors que le riyal saoudien est actuellement arrimé au dollar américain, Riyad pourrait également faire le choix – à l’instar du Koweit – de le rattacher à un panier de devises incluant le Yuan.
Aujourd’hui nous n’en sommes pas là, mais dans l’évolution rapide des équilibres mondiaux et à un moment où les puissances n’hésitent plus à défendre sans vergogne leurs intérêts nationaux, la perspective d’un mouvement saoudien ne peut plus être écarté d’un revers de main.