Il est un fait que la campagne des élections législatives a peu mobilisé les Français. Alors que le Gouvernement retardait son entrée en campagne pour mieux enjamber cette élection et que les oppositions peinaient à médiatiser leurs idées au-delà de leur volonté unanime de priver le Président de la République réélu d’une majorité à l’Assemblée nationale, différentes affaires, à l’image de celle visant le tout nouveau ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées Damien Abad, leur ont fourni des prétextes commodes pour installer le débat.
En matière de sécurité, les événements en marge de la finale de la ligue des champions de football ont ainsi fait l’objet d’exploitations politiques visant à repolariser le paysage politique dans la perspective des élections législatives.
Le samedi 28 mai 2022, la finale de la Champions League de football au Stade de France démarre avec plus d’une demi-heure de retard. A l’extérieur, des milliers de supporters britanniques ne parviennent pas à assister au match. Plus grave, des centaines d’entre eux disent avoir été victimes de vols avec violence en plus d’avoir été incommodés par les gaz lacrymogènes utilisés ce soir-là : double peine. Dès le lendemain la polémique enfle. A l’extrême-droite, Eric Zemmour stigmatise les habitants de Seine-Saint-Denis, seuls responsables à ses yeux des images de désordre. Sur la même ligne, Marine Le Pen appelle, quant à elle, à la démission du ministre de l’Intérieur. A l’extrême-gauche, le préfet de police de Paris est personnellement mis en cause pour sa gestion de l’ordre public au moyen de méthodes jugées trop brutales. Jean-Luc Mélenchon annonce que s’il était nommé à Matignon, il le limogerait immédiatement.
Lors de cette séquence, probablement que la communication gouvernementale, peu empathique envers les Anglais victimes et trop lente à reconnaître les défauts du dispositif de sécurité mis en place ce soir-là (il faudra attendre l’audition du ministre de l’Intérieur devant le Sénat le mercredi suivant pour cela), tout comme l’absence de conservation des images de vidéoprotection par le Stade de France et la RATP, ont laissé un espace aux oppositions d’extrême-gauche et d’extrême-droite qui l’ont aussitôt exploité : en matière de politique, c’est de bonne guerre. Mais la nature de cette exploitation, outrancière, voire complotiste, dans les deux cas, nuit à la manifestation de la vérité au travers des différentes enquêtes en cours qu’elles soient internes, administratives ou judiciaires. Car, avant-même que ces investigations ne démarrent, chaque responsable, qu’il soit politique ou administratif, est accusé de mensonge et de dissimulation : triste « trumpisation » de la vie politique française…
Le samedi suivant, à une semaine du premier tour des élections législatives, trois fonctionnaires de police font usage de leur arme sur un véhicule qui tente de les percuter rue Ordener, à Paris. Le conducteur, sous l’emprise de l’alcool et de produits stupéfiants, est en défaut de permis et en régime de semi-liberté. Touché au thorax, il survit à ses blessures. Sa passagère, en revanche, meurt peu de temps après son arrivée à l’hôpital. Alors que les investigations judiciaires ont commencé depuis moins de 48 heures, Jean-Luc Mélenchon voit dans cette triste affaire l’occasion de mobiliser la part la plus jeune de son électorat, également la plus hostile à la police. Déclarant que « la police tue », il centre délibérément les termes du débat sur l’usage de l’arme par les policiers pour forcer la polémique médiatique. Dans son sillage, des avocats militants réclament l’abrogation de l’article L435-1 du Code de la sécurité intérieure et vont jusqu’à accuser Bernard Cazeneuve d’être responsable de la mort de la jeune passagère, pour avoir fait adopter la loi du 28 février 2017 qui harmonise le cadre d’usage des armes entre policiers, gendarmes et militaires de l’Opération sentinelle. A l’autre extrême, Marine Le Pen tente de capter le vote policier et reprend à son compte la création d’une présomption de légitime défense, proposition portée par les syndicats de police les moins modérés.
Au bilan, entre Jean-Luc Mélenchon qui assène à la police que la société ne l’aime pas en reprenant le refrain « tout le monde déteste la police » et Marine Le Pen qui affirme à la police que les magistrats ne l’aiment pas et qu’elle va les mettre à l’abris d’instructions qui seraient exclusivement à charge par l’instauration d’une présomption de légitime défense, il n’y a que division et convocation des instincts à des fins électoralistes.
Cette surenchère de caricatures sur fond d’élections législatives est d’autant plus regrettable, qu’il n’est pas illégitime, loin s’en faut, d’appeler à réformer la police. La police n’est pas la propriété des policiers. Elle est nationale ou, autrement dit, à la fois émanation de la Nation et au service de la Nation. Il est ainsi loisible à chaque citoyen de la questionner et de proposer des évolutions conformes aux aspirations de l’époque.
Mais jamais une réforme n’a résulté de l’opprobre et de la division. Le pays souffre de ce débat aporétique où chaque extrême instrumentalise les questions de sécurité. Une véritable réforme de la police nationale est à la fois possible et souhaitable mais cela implique de s’emparer des enjeux qui y sont afférents dans leur dimension technique et de donner à voir aux Français la part de complexité propre à la conduite de tout changement en matière de politiques publiques. C’est plus aride certes, c’est sans-doute électoralement moins porteur, mais c’est ô combien essentiel pour la démocratie.