La correction à l’œuvre depuis sept mois sur le marché des crypto-monnaies s’accélère et la perspective d’un « crypto-krach » se rapproche. Après la plus forte hausse observée le 9 novembre dernier avec 67 700 dollars, il a fallu cinq mois au bitcoin pour percer le seuil des 40 000 dollars, un mois pour descendre sous le plancher des 30 000, une semaine pour atteindre les 20 000.
En quatorze ans d’existence, cette crise n’est pas la première que traverse le Bitcoin et l’ensemble des crypto-monnaies. Toutefois, par sa violence et son ampleur, c’est la pérennité du système entier qui est désormais en jeu.
Dans la tempête qui souffle, les plateformes d’échange peinent à tenir la barre et sont contraintes de réduire leurs effectifs. La contraction du marché, de 3 000 milliards de dollars à moins de 1 000, laisse craindre une crise de liquidité. L’absence de contreparties sur le marché ne permet plus à certains fonds de faire face aux demandes de remboursement d’investisseurs, un temps séduits et désormais soucieux de se retirer au plus vite. La baisse des cours fait chuter la valeur des actifs apportés en garantie des emprunts, multipliant les appels de marge.
La stabilisation, ces deux dernières semaines, autour du cours de 20 000 dollars, apporte un répit temporaire mais l’incertitude demeure sur la résilience des crypto-monnaies, leur capacité à constituer une classe d’actifs au même titre que l’or ou d’autres actifs financiers.
Il est vrai que la crise aujourd’hui traversée par les crypto-monnaies est un classique des marchés financiers. De nombreuses classes d’actifs, à commencer par les actions, en ont connu, et de plus sévères. La plupart s’en sont remises mais certaines ont disparu dans la tourmente, les oignons de tulipe dans un passé très lointain, les subprimes et les dérivés de crédit dans un passé plus récent.
Les crypto-monnaies connaissent-elles une crise existentielle ou une crise de croissance d’un actif financier innovant, dévoyé temporairement par la spéculation ? Moins que dans l’évolution des cours, la réponse est à rechercher dans la réalité, effective ou non, d’une utilité sociale revendiquée, dans la viabilité d’un projet libertaire visant à la création d’un système monétaire décentralisé.
Malgré toutes les critiques et les interrogations suscitées par leur émergence, malgré de nombreux incidents de parcours notamment en matière de sécurité, malgré une demande aux motivations parfois suspectes (anonymat, blanchiment), force est de reconnaître qu’à l’épreuve des faits, les trois postulats sur lesquels sont fondés le projet n’ont pas été invalidés :
- Un pari technologique sur la capacité à assurer la sécurité et la confidentialité des transactions sans recours à un tiers de confiance, ni à une autorité centrale disposant d’un pouvoir de régulation et de sanction ;
- Un pari économique sur l’existence d’une demande pour une monnaie n’ayant pas cours légal et dont le volume d’émission est déterminé par un algorithme ;
- Un pari opérationnel sur la mise en place d’une chaîne de valeur composée d’opérateurs efficients et profitables.
Est-ce pour autant une crise de croissance que l’on pourra considérer a posteriori comme une purge darwiniste qui finalement se révélera bénéfique pour les acteurs et les monnaies les plus robustes ? C’est la thèse développée par des crypto-évangélistes. Cependant, un obstacle majeur reste à franchir, celui de la souveraineté.
Depuis toujours, la monnaie est un symbole et un attribut de la souveraineté des États. Ce qui était acceptable et tolérable à l’état marginal risque de ne plus l’être dès lors que le la souveraineté monétaire est en cause. En novembre dernier, la Chine a déclaré illégales toutes les transactions en crypto-monnaies réalisées sur son territoire. Ce qui est acceptable et tolérable de la part d’un opérateur financier soumis à régulation et compliance, ne l’est plus lorsque le projet, même porté par une fondation, émane d’un GAFAM. C’est ce que Facebook a appris à ses dépens en abandonnant son projet de création du Libra.
Dès lors qu’elles se cantonnent à des usages et à des fonctions qui ne remettent pas en cause la souveraineté monétaire des États, ou du moins des plus puissants d’entre eux, les crypto-monnaies sont probablement appelées à se multiplier et à se développer. Il en existe déjà plus de 2 500. De nouvelles générations, de crypto-monnaies apportant des progrès en matière de capacité, de sécurité, de gouvernance et de vitesse d’exécution voient le jour. Nous en avons peut-être fini avec le Bitcoin mais très probablement pas avec les crypto-monnaies et encore moins avec les monnaies numériques.
Contempteurs parmi les plus actifs des crypto-monnaies, les banquiers centraux, devraient à une échéance rapprochée en devenir l’un des propagateurs. Cela, non pas dans le cadre d’un projet libertaire de création d’un système monétaire décentralisé, mais au contraire dans le cadre d’un projet jacobin de préservation de la souveraineté monétaire.
La France comme les États-Unis ont rejoint la longue liste de plus de 100 pays ayant engagé une réflexion, des consultations et parfois des expérimentations en vue de créer une version dématérialisée de leur monnaie. La Banque Centrale Européenne (BCE) a pour sa part lancé le projet pilote de l’euro numérique le 14 juillet 2021. Cette phase d’expérimentation de deux ans devrait conduire à une réglementation en 2023 et à une potentielle mise en circulation d’ici 2025.
De très nombreuses inconnues demeurent quant à la forme que prendront ces monnaies numériques banques centrales. Monnaie de gros ou de détail, ou les deux ? Quel rôle pour la banque centrale ? Possible désintermédiation des secteurs bancaires privés ? Possible éviction des opérateurs de paiement ? Choix de la technologie et des modalités de distribution ?
À n’en pas douter, les options retenues varient d’un pays à l’autre mais avec un principe commun, la pérennité d’une souveraineté monétaire, et une conviction commune, la préservation de cette souveraineté par la mise en place d’une monnaie numérique nationale.
Neuf pays ont déjà mis en circulation leur propre monnaie numérique en parallèle de leur monnaie fiduciaire et scripturale. Le e-Yuan est utilisable en Chine sur smartphone depuis janvier. L’histoire des monnaies numériques ne fait que commencer.