«La démission silencieuse se développe à vitesse grand V» Entretien de Bruno Mettling.
Le dirigeant analyse un nouveau phénomène d’entreprise, le « quiet quitting », qui touche de plus en plus les cadres et les emplois tertiaires.
Question – On entend de plus en plus parler de « quiet quitting », ou démission silencieuse. Quelle forme ce phénomène prend-il ?
Bruno METTLING. – C’est une nouvelle forme de distanciation au travail qui revient à faire ce pour quoi on est payé, ni plus ni moins. C’est la version 2022 du présentéisme au bureau, des gens qui font acte de présence sans s’engager. Le « quiet quitting », qui touche essentiellement les cadres et les emplois tertiaires, est à mettre en relation avec les pénuries de compétences qui gangrènent les organisations et inversent le rapport de force dans les entreprises, au profit notamment des salariés les plus qualifiés.
En quoi est-ce différent du « big quit », ou grande démission, qui se développe aux États-Unis ?
C’est complémentaire. Les salariés, plus exigeants et viscéralement attachés à un meilleur équilibre vie professionnelle-vie privée, prennent la tangente via un retrait volontaire qui peut aller jusqu’à la démission. Il existe deux typologies de « quiet quitting ». Les ex-« workaholics », ou bourreaux du travail, ressortis épuisés de la pandémie et qui veulent se protéger en se mettant en retrait. C’est une forme de ras-le-bol d’en faire toujours trop pour la même reconnaissance et la même paie. Et il y a un autre profil, plus jeune, de salariés qui ont un rapport plus distancié au travail et ne veulent pas reproduire la vie de leurs parents. Ils fixent une barrière étanche entre le travail et la vie personnelle.
Est-ce une mode passagère ou une réalité qui touche toutes les entreprises françaises ?
Ce n’est pas une mode. Si le phénomène est encore marginal en France, il se développe à vitesse grand V, en réponse à une réflexion plus profonde qu’on ne le pense sur la relation au travail. Mais de là à en faire le symbole du désinvestissement des jeunes au travail, c’est exagéré…
Est-ce un signe précurseur de burn-out ?
Le « quiet quitting » vise à se préserver d’un risque de burn-out en posant comme principe intangible un équilibre de vie. C’est aussi une réponse observée chez les cadres plus âgés qui ont surinvesti dans leur travail et ne se sentent pas valorisés. Le « quiet quitting » émerge au moment où, phénomène nouveau, les problèmes psychiques et mentaux sont devenus la première cause de l’absentéisme pour maladie en entreprise.
Que risque un salarié qui y recourt ?
Rien, s’il respecte les termes de son contrat. Toutefois, il risque de s’isoler par sa faible implication dans le collectif de travail. Participer à des groupes de travail, s’engager sur des sujets transverses, c’est aussi ce qui participe de l’intérêt et donne du sens à son travail.
Comment les employeurs peuvent-ils lutter contre le « quiet quitting » ?
Il faut accroître la qualité du management, avec un encadrement qui s’intéresse à ses équipes et qui ne croule pas sous les tâches de reporting. Les employeurs doivent ensuite redonner du sens, une finalité, au travail qu’ils demandent à leurs collaborateurs. Ils doivent insuffler de la motivation, via de l’innovation sociale quand c’est possible, par exemple en passant à des semaines de travail sur quatre jours, ou en donnant plus d’autonomie dans l’organisation du travail. Si l’entreprise ne régénère pas son lien au travail, les formes de désengagement se développeront, que ce soit à travers l’absentéisme, la grande démission ou… le « quiet quitting ».
Publié par le Figaro le 03/10/2022.