Troisième mandat de Xi Jinping : la sécurité nationale au centre de l’agenda stratégique
Xi Jinping a été reconduit pour un troisième mandat en tant que Secrétaire général du Parti communiste chinois, dimanche 23 octobre, à l’issue du XXème Congrès du PCC. La nomination de ses alliés les plus fidèles à la tête du PCC renforce sa pleine latitude à dérouler son agenda stratégique. Ce Congrès confirme également les signaux convergents depuis plusieurs mois vers la clé de voûte de son troisième mandat : la « sécurité nationale ».
En effet, le discours de près de deux heures du Président chinois, prononcé à l’ouverture du Congrès le 16 octobre, était empreint d’une rhétorique guerrière et sécuritaire prenant le pas sur les thématiques économiques, pourtant au centre du précédent Congrès qui fixait notamment les objectifs de développement permettant d’atteindre une « société modérément prospère. »
L’importance accordée à la thématique sécuritaire peut être interprétée comme le reflet de préoccupations grandissantes face aux défis majeurs auxquels la Chine est confrontée tant en interne qu’à l’étranger.
En effet, la politique « Zéro Covid », qui s’est matérialisée par des confinements à grande échelle tout au long de l’année 2022, a ralenti la croissance économique qui s’est stabilisée à 3.9% au troisième trimestre 2022, bien loin des 7.6% de croissance en moyenne depuis les années 2010. Le choc exogène de la pandémie de Covid s’est ajouté à des défis structurels préexistants : la crise du secteur immobilier – qui pèse pour près d’un tiers du PIB chinois – marquée par une chute des ventes de biens de 30% sur les huit premiers mois de l’année, le changement d’un modèle de croissance tiré par les exportations vers un modèle de croissance centré sur la consommation intérieure et la montée en flèche du chômage des jeunes (16 – 24 ans), qui s’élevait en juillet 2022 à 19.9%, contre 9.6% en janvier 2018, date de la première publication de cet index par la Chine. Ces défis interviennent sur fond de contrainte démographique résultant du vieillissement rapide de la population et de la diminution de la main-d’œuvre.
Sur le plan extérieur, depuis plusieurs années, les tensions entre les Etats-Unis et la Chine ne cessent de s’accroître dans un contexte d’exacerbation de la compétition stratégique entre les deux pays. Les sujets de discorde abondent et l’administration américaine ne s’est pas privée de prendre un certain nombre de mesures visant entités et personnes physiques chinoises : à propos des atteintes à la sécurité nationale américaine, de la situation des Ouïghours et de Hong-Kong, du complexe militaro-industriel chinois, etc. La dernière mesure du Département américain du Commerce en date, prise le 7 octobre dernier, dans ce qui est perçu par nombre d’observateurs comme la décision la plus agressive de l’administration Biden à l’égard de la Chine, vise à limiter fortement la vente à destination de la Chine de semi-conducteurs et d’équipements permettant leur fabrication. Sont également ciblées 31 sociétés chinoises, action pavant la voie à d’éventuelles sanctions. A cette confrontation commerciale et technologique s’ajoutent les tensions autour du statut de Taiwan qui ont connu une nouvelle gradation suite à la visite de Nancy Pelosi sur l’île en août 2022. Dès lors, le défi pour la Chine est de poursuivre son développement dans un environnement international perçu comme étant de plus en plus menaçant. En ce sens, le discours du Président chinois annonce le « renforcement des capacités à assurer la sécurité extérieure », la « protection des droits maritimes et de la souveraineté du pays » ainsi que la « défense des intérêts chinois en matière de développement ». Il annonce aussi sa résolution de « réprimer durement l’infiltration, le sabotage, la subversion et les activités séparatistes par des forces hostiles. »
Néanmoins, ce qui apparaît aujourd’hui comme une inquiétude sécuritaire croissante de la part du pouvoir chinois n’est pas une nouveauté. La vaste campagne de mise au pas des grandes entreprises chinoises de technologie (Alibaba, Tencent, etc.) ces deux dernières années, qui répondait officiellement à un besoin de régulation de pratiques monopolistiques et de financement anarchique sur les marchés, avait aussi pour pilier un élan sécuritaire face à la prépondérance de ces grandes entreprises privées chinoises dans la vie quotidienne des citoyens, la masse de données personnelles qu’elles collectent ainsi que la concurrence qu’elles imposent aux entreprises étatiques. Dans ce contexte, Xi Jinping a annoncé dans son discours du 16 octobre qu’il s’efforcera de « faire en sorte que les entreprises d’État soient plus fortes, plus performantes, plus présentes et améliorent leur compétitivité, dans la construction d’une économie de marché socialiste de haut niveau ».
La préoccupation sécuritaire du pouvoir chinois s’est encore accélérée en 2022 suite à l’instabilité mondiale provoquée par la guerre en Ukraine, renforçant la stratégie chinoise d’indépendance dans plusieurs secteurs clés. Xi Jinping, dans son discours du Congrès, mentionne donc sans surprise la « sécurité alimentaire, énergétique, en matières premières ainsi que la sécurisation des chaînes d’approvisionnement industrielles » comme priorités de son nouveau mandat.
L’orientation sécuritaire de ce troisième mandat se confirme enfin dans la nouvelle composition du Politburo du PCC, annoncée le 23 octobre. Xi Jinping sécurise d’abord son agenda stratégique en s’entourant de fidèles alliés au Politburo et en évinçant les personnalités issues de lignes idéologiques alternatives, à l’image de l’ancien Président Hu Jintao, exfiltré en plein Congrès, renforçant symboliquement la ligne idéologique de Xi Jinping au sein du Parti. Par ailleurs, les principaux experts économiques du Parti, connus pour leur soutien aux politiques d’ouverture économique et de réforme du marché, ont pris leur retraite ou ont été écartés, notamment le premier ministre Li Keqiang, le vice-Premier ministre – surnommé « tsar de l’économie » – Liu He, le directeur de la banque centrale Yi Gang, le régulateur bancaire Guo Shuqing et le ministre des Finances Liu Kun. Il est probable que Li Qiang, le Secrétaire du Parti de Shanghai, récompensé pour son soutien sans faille à la politique « Zéro Covid » par sa promotion au sein du Comité permanent du Politburo du PCC, soit nommé Premier ministre en mars 2023. Li Qiang pourrait laisser à He Lifeng, actuel ministre en charge de la Commission nationale du développement et de la réforme (NDRC) et futur vice-Premier ministre chargé de l’économie, un rôle prépondérant. Ce dernier est un fervent défenseur du nationalisme économique, notamment des stratégies d’ « autosuffisance » axées sur la sécurité, ainsi que de la campagne de « prospérité commune » visant notamment à réduire les inégalités. Le maintien en poste de Wang Huning – le chef idéologue du PCC depuis le Président Jiang Zemin dans les années 1990 – indique également que le concept de « prospérité commune » pourrait être maintenu et la stratégie d’« autosuffisance » renforcée, compte tenu de son rôle idéologique clé dans l’élaboration de ces politiques.
A l’issue de ce XXème Congrès du Parti, le PCC semble totalement aligné sur la vision de la « sécurité nationale globale » de Xi Jinping, qui anticipe une concurrence économique plus intense et une confrontation géopolitique plus frontale avec l’Occident au cours de son troisième mandat. En ce sens, l’« opposition à l’indépendance de Taiwan » a été inscrite dans la Constitution, faisant aussi entrer cette question dans la sphère de la « sécurité nationale globale. » Représentant une étape importante de la politique intérieure chinoise, le XXème Congrès a vu la sécurité prendre indéniablement le pas sur l’ouverture économique du pays.
Dès lors, le prochain mandat de Xi Jinping pourrait être marqué par une continuité dans les politiques déjà enclenchées, notamment le maintien de la politique « Zéro Covid » et le renforcement de la doctrine d’autosuffisance et de sécurisation des chaînes d’approvisionnement internationalisées. Cette tendance au repli de la Chine pourrait aussi être accompagnée de nouveaux mécanismes de protectionnisme économique, d’un renforcement du poids des entreprises étatiques dans l’économie ainsi que d’une offensive accrue sur plusieurs secteurs sensibles (semi-conducteurs, aéronautique, pharma, etc.).
Face à ces annonces stratégiques marquées par un repli sécuritaire chinois, les investisseurs internationaux sont en attente de signaux d’ouverture forts de la part de Xi Jinping. Lors du prochain Congrès National du Peuple, en mars 2023, des orientations économiques clés devraient être annoncées, qui viendront éclairer quelle est l’ampleur réelle de cette tendance.