L’invasion des lieux de pouvoir au Brésil, quelles conséquences pour le paysage politique ?
L’invasion des trois pouvoirs attaque la démocratie, renforce Lula, affaiblit Bolsonaro et ouvre le chemin pour l’émergence du nouveau leader de la droite brésilienne.
Le 8 janvier de cette nouvelle année a marqué tristement l’histoire brésilienne. Un groupe d’environ 4.000 radicaux, partisans de l’ancien président Jair Bolsonaro, a envahi et vandalisé le Congrès national, le palais de l’Exécutif et la Cour suprême à Brasilia, pour demander une intervention militaire. Ils sont arrivés, la veille, dans plusieurs régions du Brésil, convaincus que les élections ont été truquées. Ces extrémistes pensent que Lula souhaite abolir la liberté d’expression, instaurer une dictature communiste et dissoudre la famille traditionnelle.
Cet acte de vandalisme ou, comme certains le définissent, de terrorisme, a causé des dommages financiers, artistiques et culturels incalculables. Au-delà des dégâts causés par les criminels aux immeubles et aux installations, des œuvres d’art et des objets historiques ont également été abîmés, comme des pièces d’Athos Bulcão et Di Cavalcanti. La sculpture « La ballerine » de l’artiste Victor Brecheret (1894-1955) a été volée. L’Horloge à pendule Balthazar Martinot du XVIIème siècle, cadeau de la Cour de France à Dom João 6º a été détruit. Il n’existe que deux horloges de cet auteur, l’autre est exposée au château de Versailles.
Par ailleurs, la salle du Cabinet de Sécurité Institutionnelle (GSI) – l’organe chargé de l’assistance sécuritaire directe et immédiate au Président de la République – a été l’un des lieux envahis par les vandales. Des armes, des documents et des munitions ont été volés par les criminels.
Plus de 1 398 personnes ont été arrêtées, la majorité d’entre elles sont des “bolsonaristes” très actifs dans les réseaux sociaux. Néanmoins, certains ont avoué à la police avoir été payés par des acteurs de l’extraction illégale de minerais et de bois, favorisés par le gouvernement Bolsonaro. Bien entendu, l’investigation en cours cible également les organisateurs et les financeurs de cet attentat contre la démocratie. De plus, elle vise l’identification des fonctionnaires et des agents publics qui y ont participé. Une commission d’enquête parlementaire a été instituée, mais ses travaux commenceront seulement en février, lors de l’ouverture de la nouvelle législature.
Le gouverneur du District Fédéral (territoire où est localisée la capitale Brasilia), Ibaneis Rocha, a été destitué. L’ancien secrétaire à la sécurité du District Fédéral (DF) et Ministre de la Justice du gouvernement Bolsonaro, Anderson Torres, a été arrêté. Un mandat d’arrêt a été lancé par le ministre de la Cour Suprême, Alexandre de Moraes, contre l’ancien commandant de la police militaire du DF, Fábio Augusto. Ils ont été accusés, comme certaines autorités de sécurité et de renseignement, d’omission et de connivence. En effet, les protocoles destinés à ces types de manifestations n’ont pas été respectés.
Qui d’autre a pu rendre cette destruction possible ? Des enquêtes seront menées ciblant les alliés de Trump sur leur rôle dans l’aide à la planification et au financement de la violence. Steve Bannon et Jason Miller sont suspectés d’avoir conseillé Bolsonaro depuis sa défaite. En effet, Bannon a partagé une vidéo montrant les vandales sur le réseau social d’extrême droite Gettr, les qualifiant de “combattants de la liberté brésiliens”. Les autorités brésiliennes ont demandé l’aide de l’administration Biden pour approfondir les investigations.
Face à cet évènement choquant et sans précédent, un grand nombre de représentants d’États et d’organisations internationales se sont manifestés en le condamnant fortement, y compris les présidents d’extrême droite. Certains pays ont également montré leur solidarité au président brésilien Lula. Emmanuel Macron a publié un message sur Twitter affirmant que “la volonté du peuple brésilien et les institutions démocratiques doivent être respectées !” et que “le président Lula peut compter sur le soutien inconditionnel de la France”. D’ailleurs, il faut reconnaître que cet événement est une excellente opportunité pour renforcer le lien diplomatique avec ce pays émergent. Un État important dans la scène mondiale, soit par son PIB, soit par son marché consommateur, ou bien par ses ressources naturelles.
Le président récemment élu, Lula, est le grand gagnant politique de ce triste évènement. En effet, toute cette attention médiatique, nationale et internationale, le favorise, permettant ainsi d’oublier tous les scandales de corruption qui ont eu lieu au cours de ses précédents mandats. Maintenant, Lula est reconnu par la communauté internationale comme le grand sauveur de la démocratie face à son rival, le président sortant Bolsonaro, nostalgique de la dictature et désireux d’une intervention militaire.
De plus, Lula a rassemblé, dans une réunion extraordinaire, les gouverneurs de tous les États fédérés, y compris ceux qui ont été élus récemment avec le soutien de Bolsonaro. L’exemple le plus emblématique est le gouverneur de la région de Sao Paulo, Tarsicio de Freitas, ancien ministre de l’Infrastructure du gouvernement Bolsonaro, profitant de cette occasion pour s’approcher de Lula en vue de le convaincre de privatiser le Port de Santos. De son côté, Lula tire parti de cette opportunité pour renforcer ses liens avec les gouverneurs d’autres bords politiques et pour se positionner comme le grand pacificateur d’un Brésil polarisé.
À l’inverse, Bolsonaro, installé aux Etas-Unis depuis le 30 décembre 2022, est le grand perdant, même en ayant condamné les actes de vandalisme de ses partisans. Tout d’abord, la Cour Suprême a inclus l’ancien président en tant qu’une des cibles de l’enquête en cours. D’autre part, ses anciens alliés en profitent pour prendre leurs distances, tout en affirmant leurs soutiens à la démocratie. Le président de l’Assemblée nationale, Arthur Lira (PP-AL), l’un des garants du gouvernement précédent, a montré ses distances, tout en défendant les députés bolsonaristas qui le soutiennent.
D’ailleurs, comme Bolsonaro risque de devenir inéligible, la lutte pour l’héritage de ses 58 millions d’électeurs (49% de votants) a débuté. Elle concerne les gouverneurs ainsi que les membres du congrès considérés comme décisifs pour l’issue de son scrutin. Tous ces hommes politiques de droite, visant l’élection présidentielle de 2026, cherchent à isoler les extrémistes, responsables des actes violents, de l’ensemble des partisans de l’ancien président.
Il n’est pas possible de prédire les conséquences politiques qui découleront de cette invasion, car les enquêtes n’en sont qu’à leurs débuts et il y aura encore des répercussions dans les semaines à venir. Cependant, l’une des rares certitudes que l’on peut avoir, c’est l’isolement de l’extrême droite. Ses représentants les plus visibles sont acculés et sur la défensive. Certainement des sanctions seront prises à leur égard réduisant ainsi la portée de leur influence.
L’autre rare certitude concerne l’union du pays en faveur de la démocratie, reste maintenant à voir quel sera le paysage politique brésilien face aux conséquences à venir de ce sombre 8 janvier.