Burkina Faso: « La France n’a jamais été vilipendée par les autorités, comme ça a été le cas au Mali »
Le général d’armée Didier Castres a été interrogé par RFI après l’annonce du départ des troupes françaises du territoire burkinabé dans un délais d’un mois. Voici quelques extraits de l’entretien, publiés par RFI le 24 janvier 2022.
RFI : Le Burkina Faso demande à la France de retirer ses 400 soldats des forces spéciales dans un délai d’un mois. Quelle est votre réaction ?
Didier Castres : Je crois qu’il faut quand même distinguer deux choses. C’est la présence d’une base permanente au Burkina Faso et la coopération. On coopère avec un certain nombre d’États africains, notamment d’Afrique de l’Ouest, sans pour autant avoir des bases permanentes. Maintenant, je crois que cette décision, ce n’est ni Fachoda ni L’Étrange défaite [témoignage sur la défaite de la France, en 1940, NdlR] de Marc Bloch. On doit avoir au maximum six bases permanentes. Si jamais, on en a une de moins, ça ne va pas changer la face du monde.
Cette demande de Ouagadougou tombe un mois après le voyage discret du Premier ministre burkinabè à Moscou. Pensez-vous que les Russes sont derrière ?
Je ne sais pas. Il y a effectivement eu ce voyage. Et ce qu’on a pu constater dans les trois dernières semaines, c’est un regain d’activités des influenceurs prorusses sur les réseaux sociaux au Burkina.
Cette crise entre le Burkina Faso et la France, n’est-ce pas un motif de satisfaction pour le Mali du colonel Assimi Goïta, qui trouve maintenant dans le Burkina un allié dans son bras de fer avec la France ?
Oui, probablement. Il le présentera comme ça. Je pense que ça serait une erreur de voir qu’il y a une forme de mimétisme. Au Mali, la France a été le bouc-émissaire qui a permis d’asseoir une forme de légitimité de la junte et de l’exonérer de toutes ses faiblesses et de tous ses manquements au règlement de la crise au Mali. Je pense que c’est complètement différent au Burkina Faso. On n’a jamais vu au Burkina Faso la France être vilipendée, menacée, injuriée par les autorités comme cela a été le cas au Mali. Moi, je ne comparerais pas les deux choses. Et puis, si nous n’avons plus aucune coopération avec le Mali, pour l’instant, attendons de voir ce que le Burkina Faso va nous demander, hormis le départ de nos troupes, comme forme de coopération.
Vous, mon général, qui avez été l’un des cerveaux des opérations Serval et Barkhane, dix ans après, est-ce que vous considérez ces opérations comme un échec ?
Je trouve que faire porter la responsabilité de l’échec de la situation au Mali à l’armée française est très excessif. Il y a beaucoup de gens qui sont très complaisants avec cette thèse. Est-ce que les armées françaises pouvaient seules résoudre la crise sécuritaire au Mali ? Non. Maintenant, quelles sont les responsabilités partagées dans cet échec ? Le Mali n’a pas été très actif. Pour la mission Serval, quel était l’enjeu ? C’était réduire la nuisance des groupes djihadistes pour les mettre à la portée de l’armée malienne. Sauf qu’on a continué à mettre de l’attrition sur les groupes djihadistes, on a éliminé un certain nombre de chefs, dont les plus grands chefs : Mokhtar Belmokhtar, Abdelmalek Droukdel, ces gens-là ont été éliminés par l’armée française. Ce qu’on devait faire, on l’a fait. Ce qu’on n’a pas bien réussi à faire, et je pense que là, il y a probablement une responsabilité qui est partagée, c’est la montée en puissance de l’armée malienne. Pourquoi les soldats se battent ? Ils se battent pour la liberté, pour les valeurs de leur pays, la souveraineté. Mais, ils se battent d’abord parce qu’ils ont confiance dans leur chef. Quand votre chef vous prend le quart de votre solde tous les mois, vous ne vous battez pas pour lui.
Au Mali, aujourd’hui, pour repousser les jihadistes, les autorités militaires de transition comptent sur le soutien des paramilitaires russes de Wagner. Est-ce que les Russes peuvent réussir là où les Français ont été à la peine ?
Non. Je ne pense pas qu’avec mille hommes, ils puissent faire ce que nous, on n’a pas complètement réussi à faire avec cinq mille hommes. Non. Simplement, sur le mode de fonctionnement de Wagner, c’est un enchaînement qui est très net. D’abord, il y a une phase de séduction vis-à-vis de pays ou de gouvernements qui sont aux abois. On leur propose une action militaire qui, dans la foulée, va régler les problèmes. Ils envoient leurs tueurs qui vont massacrer des gens pour montrer qu’ils ont des résultats. C’est ce qui s’est passé en Centrafrique. C’est ce qui s’est passé également au Mali. La deuxième phase, c’est rendre le gouvernement addict de Wagner. C’est leur dire : sans moi, vous ne pouvez rien faire. Dans les garde-du-corps du président Faustin-Archange Touadéra, on a des mercenaires de la société Wagner. Ça, c’est le deuxième temps. Le troisième temps de la manœuvre de Wagner, c’est l’éviction de tous les concurrents. Et donc, c’est la manœuvre informationnelle ou c’est la mise en cause des unités qui sont là. Ça a été le cas pour la France en Centrafrique, ça a été le cas pour la France au Mali. Rappelons-nous quand même du montage de Gossi.
Le faux charnier attribué aux Français…
Le faux charnier. Puis la quatrième phase, c’est la prédation. Les mines d’or, les mines de diamant. En Centrafrique, les douanes.
Le redéploiement des forces françaises dans la sous-région, comment le voyez-vous ?
En gros, la ligne qui a déjà été évoquée par le Président, c’est : la France doit être moins visible, mais plus présente. Moins visible, c’est probablement des empreintes de bases avec des volumes qui sont moins importantes, peut-être des bases qui ne sont pas installées au milieu des capitales et peut-être une façon de rendre nos bases aux pays africains hôtes et de compléter leur action sur ces bases-là. Est-ce que, par exemple, une façon de se rendre « moins visibles » et plus présents, ça ne serait pas d’imaginer des systèmes comme la brigade franco-allemande. Est-ce qu’on ne peut pas faire la brigade – si je cite un pays, tout le monde va réagir – franco-quelque chose ? C’est une hypothèse qui montre qu’on est sur un pied d’égalité, qu’on travaille ensemble. La deuxième option serait que nos bases servent à accueillir des grandes écoles de ces pays-là. Pourquoi on ne ferait pas le Saint-Cyrien ivoirien sur le camp de Port-Bouët ?