Le renseignement américain a découvert en décembre dernier que la construction d’un site militaire chinois se poursuivait aux Emirats Arabes Unis (EAU), selon des fuites du Pentagone mises au jour par le Washington Post. La fédération émirienne avait pourtant promis avoir mis un terme à ce projet un an plus tôt, pour rassurer les Américains.
L’annonce intervient après qu’en mars, le Trésor américain a accusé Abou Dhabi d’aider la Russie à contourner les sanctions occidentales et à soutenir ainsi l’effort de guerre russe en Ukraine. Les exportations émiriennes en Russie auraient atteint 18 millions de dollars entre juillet et novembre 2022, dont des semi-conducteurs américains pouvant servir dans le domaine militaire.
Dubaï apparaît aussi comme une destination privilégiée des oligarques russes cherchant à arrimer leurs yachts et échapper aux sanctions.
Comment mesurer ces évènements à l’aune de l’alliance affichée entre les EAU et les Etats-Unis ?
Pour certains observateurs, cette alliance relève désormais plus de la communication que de la réalité. En effet, les Emiriens ont surtout promu ce narratif sous la présidence Trump, et en particulier durant le blocus du Qatar (2017-2021) pour dire aux Américains : « Détachez-vous de Doha et venez vers nous ! »
Mais dans les faits, les Etats-Unis n’ont que trois alliés « officiels » parmi les pays du Golfe, ceux qui possèdent le label de « Non-NATO allies » : le Qatar, le Koweït et Bahreïn. Ce label revêt une dimension symbolique, mais permet aussi de faciliter les ventes d’armes à ces pays auprès du Congrès. Les Emirats n’en font pas partie, bien qu’ils aient réalisé des investissements colossaux à Washington pour gagner en influence. Cette stratégie a atteint son pic sous l’administration Trump. C’est à cette époque que le président émirien Mohamed ben Zayed et son ambassadeur à Washington Youssef Al Oteiba ont façonné l’idée qu’ils étaient l’allié le plus fiable et le plus solide des Américains.
Mais à Washington, il y a toujours eu une certaine réserve à l’égard d’Abou Dhabi, parce que des désaccords sur un certain nombre de dossiers demeurent. Aujourd’hui, les relations sont beaucoup plus compliquées avec l’administration Biden, et ces révélations sur les relations entre les Emirats et la Russie puis la Chine montrent que c’est Abou Dhabi qui a décidé de moins jouer la carte de l’alliance.
En réalité, les EAU veulent maintenir un certain équilibre entre Washington et Pékin/Moscou. Tant que les Etats-Unis ne tracent pas de ligne rouge, les Emiriens vont tester les limites. Tant qu’il n’y a pas de sanction, ils ont tout intérêt à jouer sur plusieurs tableaux, à avoir de bonnes relations à la fois avec Washington, Moscou et Pékin. Cela leur permet de gagner en influence internationale et de diversifier leurs partenariats stratégiques.
Toutefois, s’agissant du site militaire chinois aux EAU, il y a peu d’informations disponibles. S’agira-t-il d’une simple installation qui permet à des navires de transiter, ou bien d’un projet plus ambitieux qui se rapproche d’une vraie base ? Dans ce dernier cas, les Américains seront-ils prêts à accepter une situation comme celle de Djibouti, qui abrite à la fois une base américaine et une base chinoise ?
De quels leviers les Etats-Unis disposent-ils pour convaincre les Emirats de limiter cette coopération sensible avec leurs rivaux ?
D’une part, les Américains pourraient suspendre les ventes d’armes. C’est plus ou moins le cas pour l’avion de combat F-35, sur lequel il n’y a plus de négociations depuis un an et demi (notamment en réponse au choix par les Emirats de Huawei pour la 5G).
D’autre part, ils pourraient éventuellement retirer les troupes américaines qui stationnent aux Emirats. Les Etats-Unis comptent en effet près de 3.000 hommes actuellement sur place, qui pourraient être déplacés au Qatar – qui abrite le CENTCOM – ou à Bahreïn, où se trouve la Vème flotte américaine.
Nous n’en sommes naturellement pas là, mais la relation privilégiée entre MBZ et Trump paraît bien lointaine. D’autant que cette distanciation en cours des EAU par rapport aux Etats-Unis – au profit de la Chine – n’est pas isolée dans la région, comme le montre clairement la politique du grand voisin saoudien à l’égard de l’administration Biden et de la Chine.