Le règne de Vladimir Poutine touche-t-il à sa fin ? La question est régulièrement posée depuis le jour où le maître du Kremlin a pris la décision d’envahir l’Ukraine, mais paraît encore plus pertinente à la lumière du coup d’État avorté d’Evgueni Prigojine. Le chef de la milice Wagner a certes dû renoncer à marcher sur Moscou, sans doute en raison du manque de soutien des élites politiques et militaires, et va être exilé en Biélorussie.
Lui et ses 25 000 hommes n’avaient clairement pas la capacité de faire tomber le régime de Poutine, pas sans risquer en tout cas une guerre fratricide aussi coûteuse qu’imprévisible pour les deux camps. Mais le simple fait qu’ils soient parvenus à prendre la ville de Rostov, centre névralgique des opérations en Ukraine, et soient arrivés à 200 km de Moscou sans rencontrer (ou presque) la moindre résistance, en dit long sur l’état actuel de la Russie et sur la fragilité du pouvoir du tsar. Pendant de longues heures, le doute s’est instillé dans toutes les têtes, y compris dans celle de Vladimir Poutine. Au point qu’il ait évoqué une « menace mortelle » et ravivé le souvenir de 1917. Que la créature (Wagner) puisse échapper au maître, beaucoup de spécialistes l’avaient anticipé. Mais qu’elle puisse avoir la prétention et le projet d’être une alternative au régime poutinien sans qu’elle et son chef ne soient immédiatement liquidés, personne ne pouvait le prévoir.
Le mythe s’est effondré. D’aucuns pourraient dire qu’il était déjà en piteux état depuis bien longtemps, mais certains commentateurs et, plus inquiétant, certains décideurs, continuaient d’y croire par conviction ou par commodité. Qui peut encore évoquer « la verticalité du pouvoir », « la stabilité du plus grand pays du monde » ou « la fidélité des élites » après la (dernière ?) symphonie de Wagner ? Le « cuisinier de Poutine » a levé le voile sur la réalité de la Russie d’aujourd’hui : un empire déliquescent et décadent traversé par des luttes intestines entre seigneurs de guerre, que le tsar n’est plus en mesure de contrôler. À l’ombre de la guerre en Ukraine se joue l’avenir de cette Russie nucléaire, de plus en plus instable et de moins en moins européenne.
Le tsar n’est plus. Il est encore là, peut-être même pour quelque temps, mais il n’est plus le tsar.
Peut-il le redevenir ? Sept ans après avoir survécu à un coup d’État, son rival préféré, Recep Tayyip Erdogan, apparaît plus fort que jamais. L’histoire est insolente et il faut toujours s’en méfier. Le contexte dans lequel se trouve aujourd’hui la Russie semble toutefois beaucoup plus délicat. En dépit de sa rhétorique, le président turc n’était pas lourdement sanctionné par les Occidentaux et ne menait pas une guerre existentielle et de grande ampleur à ses frontières.
Le risque pour Vladimir Poutine, c’est de devenir le nouveau Bachar el-Assad, celui d’avant la récente réhabilitation arabe. Celui qui n’était plus maître de son destin et qui ne doit sa survie qu’à l’intervention des uns (russes et iraniens) et l’apathie des autres (Occidentaux). Le tsar n’a plus les cartes en main. Son destin dépend désormais de facteurs sur lesquels il peut bien sûr influer, mais qu’il ne contrôle plus. On peut en citer au moins trois : la fidélité de son appareil sécuritaire et plus généralement des élites russes ; les soutiens du « Sud global » et plus particulièrement de Pékin ; et la détermination des Occidentaux à gagner au plus vite.
Le chef du Kremlin a probablement perdu la guerre en Ukraine. Il l’a sans doute perdue dès le 24 février 2022 et, à mesure que le temps passe, il paraît de plus en plus évident qu’il ne pourra jamais la gagner. Même la menace de recourir à l’arme nucléaire a pris un sérieux coup dans l’aile après les événements du week-end dernier.
Comment peut-il être désormais sûr que l’armée le suivra jusqu’en enfer ? Vladimir Poutine n’est pas encore condamné. Un monde qui permet la réhabilitation de Bachar el-Assad peut tout à fait permettre son maintien au pouvoir. Mais sa Russie ne sera plus jamais la même. Le tsar n’est plus. À l’instar de son obligé syrien, il n’est désormais qu’un démiurge du chaos qui ne (sur)vit que par et pour lui.