Depuis quelques années, se développe l’idée que s’installe en Afrique en général, et en Afrique de l’Ouest et du Centre francophone en particulier, un « sentiment anti-français ». Si le constat est réel, comme le montrent certaines publications, manifestations, voire attaques de lieux symboliques de la France, le terme ne reflète pas la complexité du phénomène, ni ses origines multiples, ni même la variété de ressentis qu’il recouvre dans les différents pays africains concernés. En plus de placer la France et les Français en position de victimes, cela donne l’impression que la France est partout rejetée, ce qui n’est pas le cas.
En juin 2023, l’IFRI (Institut Français des Relations Internationales) a publié un rapport de 52 pages intitulé « Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone[1] » , dans lequel, les chercheurs tentent de mieux comprendre ce phénomène de rejet de la politique française en Afrique.
C’est toujours la faute de la France !
« Si les récriminations sont variées et nombreuses, trois critiques récurrentes structurent invariablement ces discours. Le(s) Franc(s) CFA, malgré les réformes, sont considérés comme des outils de contrôle. L’aide publique au développement est perçue comme humiliante, soixante ans après les indépendances, mais aussi comme un soutien aux régimes plus qu’aux populations, et opaque car sous-tendue de contreparties. La présence de bases militaires françaises et, au-delà, l’interventionnisme militaire français sont eux aussi jugés comme un outil néocolonial problématique et désuet », estime l’IFRI.
L’étude souligne que si le phénomène n’est pas nouveau, il s’est étendu aux couches les plus populaires, notamment grâce aux réseaux sociaux. Elle évoque également le fait que la France représente dans certains pays (Cameroun, Centrafrique, Burkina Faso…) un bouc-émissaire pour les dirigeants africains confrontés à des problèmes internes allant de la corruption à la guerre civile, en passant par la crise économique, l’inflation et le chômage endémique. La colonisation est d’ailleurs très peu évoquée par les détracteurs de la France, sans doute parce que l’essentiel de la population n’a pas connu cette période historique puisque plus de 75% de la population a moins de 35 ans.
Néo-panafricanistes
En revanche, l’idée d’un complot de la France pour maintenir l’Afrique dans le sous-développement et sous sa tutelle, est largement développée par les néo-panafricanistes, ces influenceurs qui utilisent les valeurs positives des pères des indépendances africaines pour une unité du continent (aujourd’hui incarnée par l’Union Africaine par exemple), en les dévoyant par un discours de rejet de l’autre et notamment des occidentaux, et de victimisation de l’Afrique. Là aussi, les réseaux sociaux, par exemple Facebook et ses plus de 200 millions d’abonnés en Afrique, servent de caisse de résonance aux discours émotionnels peu étayés servant une propagande discutable, mais très audible par une jeunesse africaine qui ne fait plus confiance aux médias traditionnels. « Dans certains pays, aidés par des entités russes, se sont même développés sur les réseaux sociaux de véritables écosystèmes qui produisent des campagnes anti-françaises », souligne l’IFRI.
En effet, et c’est une autre cause de la dégradation de l’image de la France en Afrique, la compétition d’influence entre puissances non africaines en Afrique a fragilisé la place de la France face à ses concurrents comme la Chine, et plus récemment la Russie. La Chine, depuis plus de 20 ans, a un plan précis qu’elle déroule en Afrique en fonction de ses besoins stratégiques. Elle investit sans demander de contreparties politiques, prête de l’argent et répond présent sur des investissements d’infrastructures importants avec un savoir-faire, un budget, et des équipements clé en main. Pékin se targue de ne pas intervenir dans la politique intérieure de ses partenaires africains, contrairement à la France ou à d’autres pays occidentaux. Même si nombre d’Africains, dans la population ou dans l’élite politique, ne nourrissent pas d’illusion sur le fait que la Chine défend ses propres intérêts en Afrique, le soft power chinois est moins difficilement supportable que celui de la France.
Wagner
Paradoxalement, alors que l’interventionnisme militaire de la France en Afrique est largement critiqué et constitue l’un des éléments du « complot » cité plus haut, c’est par le biais de l’intervention armée que la Russie a fait son retour en Afrique dernièrement. Jouant sur le discours anti-occidental et sur la fibre tiers-mondiste des non-alignés – souvenir vivace pour beaucoup de dirigeants et intellectuels africains très âgés –, la Russie a fait appel à la société militaire privée Wagner pour jouer les poissons-pilotes en Centrafrique d’abord depuis 2016, puis au Mali, en Libye, peut-être demain malheureusement au Burkina Faso. Bras armé d’un système mafieux visant la captation des ressources dans ces pays africains au bénéfice du régime de Vladimir Poutine, Wagner a aussi participé au développement du sentiment anti-français par des campagnes de propagande bien orchestrées et en stipendiant certains influenceurs. L’obscure mutinerie récente de Wagner en Russie va sans doute rebattre les cartes, mais l’intérêt russe pour l’Afrique contre une France jugée faible ne devrait pas se démentir.
Le rapport de l’IFRI pêche cependant sur un point, comme l’a souligné Agence Ecofin[2] : « Pour le think tank IFRI, tout le monde est responsable du sentiment anti-français en Afrique, sauf la France ». En effet, si l’on veut analyser cette perception négative de la France en Afrique, on ne peut faire l’économie d’une honnête introspection sur les erreurs qui ont pu être commises par la France au point de dégrader une relation plus que centenaire, relation certes complexe mais riche d’échanges variés et de relations humaines.
Nécessaire introspection
Il nous semble important de réfléchir sur les éléments, voire les erreurs, qui ont nourri un sentiment de frustration en Afrique par rapport à la France, particulièrement dans nos anciennes colonies. Outre le désintérêt depuis une vingtaine d’années des plus hautes instances du pouvoir français pour l’Afrique, on constate qu’il y a eu d’une part une perte d’expertise au sein de l’administration vis-à-vis du continent africain, perçu aujourd’hui presque uniquement à travers le prisme sécuritaire. D’autre part, les entreprises françaises ont moins investi en Afrique, pour diverses raisons depuis 2012 notamment, mais essentiellement à cause des incertitudes macroéconomiques et de l’instabilité relative des Etats africains. De plus, le prisme déformant des médias, qui relaient davantage les crises et les conflits que les réussites du continent, offre une vision biaisée de la situation générale du continent africain alors que sur le terrain, la réalité est toute autre. Enfin, l’autoflagellation entretenue par certains partis politiques sur l’esclavage, la colonisation, les biens mal acquis, la complicité des dirigeants français avec des dictateurs, voire sur des drames comme le génocide rwandais, provoque un effet de repoussoir vis à vis de l’Afrique et de la « France à fric », concept largement utilisé par une certaine élite au détriment du néologisme « FrançAfrique », inventé par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny pour souligner la communauté de destin et de culture existante qu’il aurait fallu entretenir entre la France et ses anciennes colonies africaines.
La question se pose sérieusement de ce que peut faire la France aujourd’hui pour inverser cette perception négative, et retrouver avec ses partenaires africains une relation saine, mutuellement bénéfique.
[1]https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/thematiques-acteurs-fonctions-discours-anti-francais-afrique
[2]https://www.agenceecofin.com/soft-power/1906-109439-pour-le-think-tank-ifri-tout-le-monde-est-responsable-du-sentiment-anti-francais-en-afrique-sauf-la-france