Pour les Indiens, l’Inde s’est toujours appelée Bharat. Ce nom est même celui qui est utilisé dans la constitution du pays. Inde est le nom qui a été attribué par les conquérants et colonisateurs depuis Alexandre le Grand en passant par Christophe Colomb et jusqu’à l’empire britannique.
À l’occasion du sommet du G20 qui s’est tenu récemment à New Delhi, le Premier Ministre Narendra Modi a choisi de faire graver « Bharat » sur la plaque derrière laquelle il a prononcé son discours d’ouverture. Les invitations officielles adressées aux dirigeants du G20 portaient la même dénomination.
Le nom de Bharat renvoie au « Mahabharata », texte sacré de l’hindouisme, considéré comme le plus long poème jamais écrit. Le nom de l’Inde est une référence plus prosaïque au fleuve Indus. Le premier évoque l’âme du pays, le second un trait géographique, référence pratique pour l’étranger en mal de repères.
Peu avant Modi, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait imposé de son côté le nom « Türkiye » (Turquie en turc), nom officiel du pays depuis Ataturk.
De quoi ces changements sont-ils le signe ?
Sans doute d’une réappropriation des identités perdues au fil des guerres et des conquêtes, et un désir ferme de changer les habitudes lexicales qui banalisent des blessures historiques en les intégrant dans le langage courant. Au même titre que les personnes, les Etats se donnent le droit de changer ces noms qui les gênent, pour modifier sur eux le regard du monde et ouvrir un nouveau chapitre. Cela avait déjà été le cas par exemple avec le Congo/Zaïre ou la Haute Volta/Burkina Faso. L’identification est décidément l’un des tropismes marquants de notre époque. Certains vous diront « je suis noir mais je m’identifie comme blond ». Au premier abord on est un peu troublé, on veut faire plaisir mais la perception résiste. On finit par s’habituer. Après tout, c’est respecter la liberté d’autrui d’être ce qu’il veut.
Mais l’un des problèmes d’identité les plus troublants est celui qui a été généré par la colonisation. Nombre d’anciens colonisés ont grandi avec l’idée qu’ils appartenaient à des peuples inférieurs puisqu’ils avaient été vaincus et que l’autorité de tutelle était l’exemple à suivre pour sortir de sa condition. C’était notamment le cas par l’apprentissage de la langue du colonisateur.
Aujourd’hui, vent debout contre toute trace d’influence étrangère, plusieurs peuples décolonisés affichent une radicalité à la mesure de l’érosion culturelle qu’ils ont subie durant la période où leurs pays ou territoires ont été occupés. Toute récupération désinvolte de leurs traditions, que ce soit dans la mode, l’artisanat, les arts ou la littérature les agresse.
Une nouvelle sensibilité se fait jour. Elle est peut-être exagérément réactive, mais elle est sans doute incontournable pour définir un nouveau « contrat social » à l’échelle du monde. C’est précisément ce que l’Inde de Modi ambitionne de faire.