On a tout lieu de se satisfaire de la réussite de la place de Paris qui, ces dernières années, à l’occasion du Brexit, s’est hissée au rang de place financière internationale de premier rang. Pour autant, certains signaux faibles s’allument, laissant penser que les grandes institutions financières françaises et organisations de marché se désintéressent des enjeux de cette place au point de déserter les instances des principaux organismes chargés de défendre ses intérêts. Faut-il regretter qu’il flotte comme un parfum de désintérêt, ou tout au moins d’indifférence polie des grands meneurs de la finance et de la banque françaises, face aux besoins d’indépendance et de souveraineté de la place financière ?
Certes, et on ne peut que s’en satisfaire, Paris a adroitement géré les conséquences du Brexit en parvenant à attirer dans la capitale française les bataillons des plus grands noms de la finance internationale. Goldman Sachs compte aujourd’hui près de 400 salariés à Paris, dont la moitié dédiée aux activités de marché (traders, vendeurs, ingénieurs et opérationnels). Citigroup a annoncé son intention de faire de Paris son principal hub pour la zone euro. Morgan Stanley a doublé ses forces installées à Paris et vise 500 personnes, essentiellement dans les activités de marchés. Autre sujet de fierté : il y a quelques mois, la capitalisation boursière de Paris est passée, pour la première fois de son histoire (et temporairement), devant celle de Londres. C’est la reconnaissance des performances des entreprises françaises – en particulier du secteur du luxe – mais aussi des choix stratégiques de groupes internationaux basés au Royaume-Uni qui ont préféré une cotation sur d’autres marchés que le London Stock Exchange. Le projet de cotation que le groupe de cosmétiques Coty vient d’annoncer confirme encore cet attrait.
Ce tableau positif ne dissimule pourtant pas quelques signaux faibles traduisant certains éléments de fragilité. En rassemblant sept marchés de l’Europe continentale (Paris, Amsterdam, Bruxelles, Dublin, Lisbonne, Milan et Oslo), Euronext a construit l’union des marchés de capitaux européens, condition essentielle pour faciliter l’accès des entreprises et PME à l’argent des investisseurs. La société de bourse pan européenne a fait un grand pas avec le rachat de Borsa Italiana il y a deux ans. Derrière cette réelle avancée, on ne peut pour autant pas s’empêcher de constater que s’opère depuis quelques mois un transfert régulier du cœur des activités d’Euronext – dont la gestion des infrastructures de marché – vers l’Italie. D’ici au deuxième semestre 2024 devrait ainsi se réaliser la bascule des activités de compensation des dérivés et des matières premières cotés sur Euronext, dont l’emblématique contrat sur le blé dur. Une partie des équipes restera à Paris notamment pour la compensation des matières premières, mais l’activité de compensation deviendra avant tout une activité italienne à Rome. Cela préfigure-t-il un basculement plus général de la tête de la bourse pan européenne en Italie ? Certains en sont déjà à le redouter, traduisant une perte de substance, puis de souveraineté pour la place. Cette éventualité est d’autant plus à prendre au sérieux qu’au sein du capital d’Euronext, là où se prennent les décisions stratégiques, il apparaît que la représentation des intérêts français s’est sensiblement affaiblie. Les grandes banques françaises, BNP et Société Générale en tête, semblent se désintéresser du sort d’Euronext dont elles sont sorties du capital. De quoi ouvrir la porte, à terme, à une évolution de la gouvernance d’Euronext au profit des intérêts italiens ?
Autre signal faible : sur le marché des céréales et en particulier les dérivés sur les matières premières agricoles, Paris est considérée comme l’une des deux grandes places mondiales avec le CME à Chicago. Là encore, cette position pourrait être affaiblie. Les principaux intervenants sur ce marché, et notamment les grandes coopératives agricoles françaises, pourraient concentrer leur flux sur le CME américain sur lequel elles traitent déjà.
S’ajoutent encore quelques ressentis déplaisants. Comme dans la banque par exemple : que le nouveau directeur général de la Société Générale ait choisi Londres pour sa première prise parole en public pour présenter son plan stratégique, n’a eu de cesse d’en convaincre certains que Paris n’était plus la place légitime pour parler aux grands investisseurs mondiaux.
Quant à la gestion de la dette, point fort français avec l’excellence de l’Agence France Trésor, il faut reconnaître que le marché secondaire de la dette française opéré par les grandes maisons de trading, n’est plus en France.
En conclure que les grands progrès réalisés par la place financière française en termes de notoriété cachent une réalité technique et fonctionnelle beaucoup moins reluisante serait abusif. Il n’empêche. Tous ces signaux qui tendent à montrer un certain désintérêt pour les acteurs locaux français de premier plan, appellent à la vigilance. À moins de laisser prospérer ce glissement discret, mais réel, du centre de gravité de bon nombre d’activités et d’infrastructures de marché qui forment le socle de la puissance et de l’attractivité d’une place.