Pourquoi l’administration Biden fait-elle du charme au prince héritier saoudien ?
La réaction très discrète de Washington aux allégations de l’ONG Human Rights Watch concernant les exactions commises contre des migrants éthiopiens par des garde-frontières saoudiens contraste avec sa condamnation virulente de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi en octobre 2018.
En effet les circonstances sont désormais bien différentes :
Après l’invasion russe de l’Ukraine et la flambée des prix des hydrocarbures qui s’en est suivie, Riyad a retrouvé toute sa place dans le concert des nations et même au-delà avec sa nouvelle diplomatie d’apaisement des tensions.
Durant une tournée régionale en juillet 2022, le président Biden s’était ainsi rendu à Djeddah pour rencontrer le dauphin saoudien – qu’il avait pourtant promis de traiter en paria – dans l’espoir de le convaincre en pleine inflation d’augmenter la production de pétrole de l’OPEP+, en vain.
Les deux dirigeants pourraient cependant s’entretenir à nouveau en marge du sommet du G20 en Inde en septembre, alors que les coupes de production saoudiennes n’ont pas provoqué de hausse incontrôlée des prix.
Car un autre sujet tient aussi à cœur du locataire de la Maison Blanche : l’architecture sécuritaire de la région, consistant surtout à consolider le front anti-iranien avec son allié israélien. D’autant que Téhéran a développé ses activités nucléaires après le retrait unilatéral de Donald Trump de l’accord de Vienne en 2018, augmentant considérablement son stock d’uranium enrichi à 60% et se rapprochant ainsi du seuil d’enrichissement nécessaire pour fabriquer l’arme nucléaire.
Face à l’échec des négociations pour retourner au deal de 2015, Washington a entamé avec Téhéran des pourparlers bilatéraux sur la question des prisonniers, pour lesquels un accord d’échange a récemment été trouvé, et qui auraient permis de ralentir le programme nucléaire iranien.
Parallèlement, la Maison Blanche a accentué ses efforts diplomatiques en vue d’une normalisation entre Israël et l’Arabie Saoudite – poids lourd du monde musulman – qui offrirait une caution symbolique forte à la reconnaissance de l’État hébreu. En vue de conclure un accord avant le printemps 2024, lorsque Biden concentrera ses efforts sur sa campagne présidentielle, la Maison Blanche tente d’obtenir d’Israël des concessions sur le dossier palestinien. De quoi respecter l’ambition officielle du Royaume saoudien de se poser en défenseur de cette cause auprès de sa population et des pays arabes. Une tâche difficile avec le gouvernement actuel de Benjamin Netanyahou, le plus à droite de l’histoire d’Israël, qui réunit notamment des ultraorthodoxes et des suprémacistes juifs. En effet Ron Dermer, ministre d’État israélien aux affaires stratégiques en charge notamment du dossier de la normalisation avec les pays arabes, n’aurait pas montré de signe d’ouverture en ce sens lors de son récent passage à Washington, précisant qu’Israël serait néanmoins prêt à concéder sur le programme nucléaire saoudien.
Car, pour une normalisation avec Israël, Riyad a posé ses conditions à Washington : faciliter les ventes d’armes au Royaume, conclure un pacte sécuritaire, mais aussi obtenir une assistance pour développer son programme nucléaire. Malgré le risque de voir la région plonger dans une course à l’enrichissement d’uranium et au développement de l’arme nucléaire – bien que les autorités saoudiennes assurent officiellement n’avoir qu’un projet civil – les États-Unis semblent envisager cette possibilité. D’autant plus que le Royaume étudierait une proposition chinoise pour construire une centrale nucléaire en Arabie, une option plus abordable et qui ne serait pas conditionnée à un respect par Riyad de non-enrichissement et de non-exploitation de ses mines d’uranium (contrairement aux exigences de non-prolifération imposées par Washington).
Si l’offre est sur la table, les officiels saoudiens ont cependant indiqué qu’elle visait plutôt à obtenir une flexibilité sur ces questions de la part des Américains, pour qui la coopération sécuritaire et technologique avec Pékin est une ligne rouge.
Les efforts diplomatiques de l’administration Biden envers l’Arabie Saoudite sont donc à suivre avec soin car ils aboutiraient à changer profondément la donne au Moyen-Orient. Mais les obstacles à la réalisation des objectifs américains sont nombreux et donnent à penser à beaucoup que cette politique est exagérément ambitieuse car l’équation comporte trop d’incertitudes et que Riyad a appris à jouer avec ses cartes… les événements actuels à Gaza mettent les plans américains à rude épreuve. La normalisation avec Israël est renvoyée à des jours meilleurs. Tout dépendra de l’issue de la crise et de ce que les Américains obtiendront éventuellement d’Israël au profit des Palestiniens, ainsi que des réponses positives qu’ils accepteront, ou non, d’apporter aux demandes saoudiennes en matière de sécurité et d’énergie nucléaire.