La démographie est la clé de lecture fondamentale des tendances géopolitiques et économiques. Rien de nouveau. Mais il n’est pas sûr que la perception des enjeux soit prise en compte notamment du côté des pays occidentaux. Peut-on parler de cécité face aux défis du vieillissement de la population et ses impacts sur la position européenne sur l’échiquier mondial ? Jusqu’à présent, les pays avancés ont eu beau jeu de dire – comme pour se rassurer – qu’ils sont loin d’être les seuls concernés à regarder la Chine ou la Russie rattrapés par la décroissance de leur population dûe au vieillissement (pour la Chine, doublée par l’Inde), ou à la baisse de l’espérance de vie (pour la Russie).
Aux dires des démographes, la part de la population européenne dans la population mondiale va fortement baisser. Elle devrait amorcer son recul à partir de 2026 où un pic de 453,2 millions d’habitants serait atteint et revenir à l’horizon 2050 à 447,9 millions, niveau proche de 2022. Les pays du sud et de l’est de l’Europe accuseraient les baisses les plus prononcées : -14,3 % en Grèce d’ici à 2050 et -13,7 % en Roumanie. L’Italie, devrait passer de 59 millions d’habitants en 2022 à 57,5 millions au mitan du siècle.
L’Allemagne, 84,8 millions d’habitants en 2050 contre 83,2 millions aujourd’hui, constate que son taux de croissance du PIB se lamente en dessous de 1% depuis cinq ans et semble condamné à décroître plus vite encore que ceux des autres pays de l’OCDE en raison notamment d’une évolution démographique anémiée. En 2022, on comptait outre Rhin une personne de plus de 65 ans pour trois actifs de 20 à 64 ans. Vers 2040, ce ratio ne sera plus que d’un pour deux. La tendance a été ralentie par le recul de l’âge de départ à la retraite et l’augmentation du taux d’activité des femmes. Mais l’arrivée en retraite des générations du baby-boom pourrait inverser la donne.
L’Italie pourrait perdre 20 % de sa population d’ici à 2070 avec pour conséquence un fort recul de la population en âge de travailler estimé à 10 points (63 % de la population totale en 2022; 53 % en 2050). L’impact pour la consommation, l’investissement et la productivité du pays serait majeur. Entre 2019 et 2070, la croissance de la péninsule serait ainsi limitée à 1 % par an se traduisant par une envolée de la dette publique en 2055 à 180 % du PIB.
Dans ce contexte, la France s’enorgueillit de faire figure d’exception avec une fécondité restée élevée (1, 84 enfant par femme), contre 1,25 enfant pour l’Italie, 1,19 en Espagne, 1,56 au Royaume-Uni et 1,58 en Allemagne. Mais chez nous aussi, depuis quelques mois, le doute s’est installé. Les experts estiment possible que cet indicateur en France tombe à moins de 1, 7 enfant par femme. De janvier à juin 2023, le nombre de décès (313.300) a presque dépassé celui des naissances dont le rythme de baisse accélère. Certains gardent la tête froide mettant ce coup de mou sur le compte de causes conjoncturelles liées aux années post Covid, aux impacts psychologiques de la guerre en Ukraine, à l’envolée des prix. Pour se rassurer, ils font valoir que la France conserve une politique familiale puissante. Une partie penche pour une remontée de la fécondité dans les prochaines années, comme cela s’est déjà produit dans le passé après une baisse importante.
D’autres commencent à évoquer l’idée que la baisse de la population tient du phénomène structurel. La France ne ferait que rejoindre le peloton des autres pays européens. Une fois que l’indicateur de fécondité est passé sous 1,6 ou 1,5, il ne s’est pas rétabli. D’autres sont encore plus radicaux évoquant l’hypothèse d’un krach démographique.
Quelles que soient les analyses, le sujet démographique sera un élément fondamental pour les prochaines décennis.
En Allemagne, le vieillissement se traduit par une baisse massive de création de richesse et menacera le système social. Outre les conséquences du manque de main-d’œuvre qualifiée, la charge financière du système de retraite sur les jeunes générations pourrait devenir insupportable.
En France, le recul des naissances commence à bousculer l’équation dans certains domaines. Dans le système scolaire par exemple, il faudra arbitrer entre diminuer le nombre de professeurs et renforcer le taux d’encadrement des élèves. Alors qu’en 2020, l’Hexagone comptait 33 personnes de plus de 65 ans pour 100 en âge de travailler, ce ratio va bondir. Selon l’OCDE si le taux de fécondité se maintient à 1,84, le ratio devrait monter à 50,5 % en 2060.
L’Allemagne phosphore pour enrayer le déclin qu’il s’agisse d’augmenter le volume des heures de travail, développer l’activité professionnelle des femmes, recourir à l’immigration, et remplacer les heures de travail perdues par des gains de productivité grâce à la numérisation de l’économie et à l’intelligence artificielle. Encore faut-il que les entreprises aient les moyens d’ investir massivement.
La France compte sur sa politique familiale : l’école obligatoire dès trois ans est ainsi pensée comme un encouragement en faveur des naissances. Si les gains de productivité et les hausses de salaires sont maintenus, le scénario du krach paraît évitable. Le vieillissement de la population est toutefois devant nous.
Le coût des allocations versées pour soutenir financièrement les personnes âgées qui perdent en autonomie pourrait dépasser 10 milliards d’euros en 2040, soit une hausse de 80 % par rapport à 2020.
L’exemple du Japon est édifiant : le pays perd 800 000 habitants par an et son rang de troisième économie mondiale dépassé par l’Allemagne et bientôt par l’Inde. L’Europe ferait bien d’y réfléchir. En 2000, l’Union européenne affichait le premier PIB mondial. Elle est aujourd’hui reléguée à la troisième place. La population vieillit et diminue au risque de devenir une « Europe des vieux » conduisant à une politique économique et budgétaire de vieux, contraire à des pays jeunes et innovants.