Et si la France reprenait l’initiative sur le dossier du conflit israélo-palestinien ?
Aujourd’hui, l’urgence dans la guerre à Gaza est naturellement l’établissement de trêves humanitaires débouchant le plus vite possible sur un cessez-le-feu et la solution de la question des otages israéliens (en échange de la libération de prisonniers palestiniens).
Cela ne signifie cependant pas qu’il faille renvoyer aux calendes grecques le problème de fond – le règlement de la question palestinienne – sans lequel des tragédies comme celle du 7 octobre risquent de se répéter.
Or, aujourd’hui, ce sont essentiellement les Américains qui évoquent la perspective politique de l’après-crise, en réaffirmant la nécessité d’une solution à deux Etats et de la reconstruction d’une Autorité palestinienne en mesure de contrôler les territoires palestiniens et de négocier avec Israël.
Certes, les Etats-Unis ont des atouts que d’autres n’ont pas – une capacité militaire dissuasive déployée en Méditerranée et des moyens de pression sur Israël à la mesure de leur soutien – mais il est clair que toute solution durable exigera la caution des Etats de la région et des acteurs internationaux les plus concernés.
Or pour l’heure, la Chine se montre très discrète ; la Russie ne fait qu’exploiter en termes de communication la guerre à Gaza pour tenter de faire oublier son agression en Ukraine ; l’Iran et même la Turquie sont trop engagés d’un côté pour prendre une initiative de médiation ; et l’Europe – bien que premier fournisseur d’aide aux Palestiniens – n’est pas en mesure de jouer le rôle que l’on pourrait attendre d’elle en raison des divisions de ses membres sur ce sujet.
La France, elle, a traditionnellement l’image au Moyen-Orient d’un pays à la diplomatie équilibrée et donc susceptible de favoriser les compromis nécessaires. Mais il est juste de reconnaître que cette image s’est détériorée au fil des années et que la crise à Gaza n’a fait qu’accentuer le phénomène.
En effet les prises de position du chef de l’Etat – compréhensibles face à l’horreur de l’attaque terroriste du Hamas contre des civils israéliens – ont donné le sentiment à la « rue arabe » que la France s’alignait purement et simplement sur les thèses israéliennes.
Beaucoup d’observateurs estiment que le Président de la République aurait dû se rendre à Tel Aviv immédiatement après le 7 octobre – comme il avait su le faire à Beyrouth en 2020 après l’explosion au port – pour marquer notre sympathie envers un pays ami frappé par le terrorisme et envers les familles des victimes. Cela n’aurait pas été contesté en France et aurait donné à notre pays un crédit auprès des Israéliens pour pouvoir ensuite leur prodiguer des conseils amicaux. L’idée d’attendre « le moment utile » n’était pas la bonne et la visite présidentielle en Israël a été hypothéquée par la proposition faite d’une « coalition contre le Hamas », incompréhensible pour les opinions publiques arabes. Le président l’a d’ailleurs rapidement recalibrée en coalition humanitaire au profit des Palestiniens et il a organisé à Paris une conférence à ce sujet. Il a aussi appelé à un cessez-le-feu et a réaffirmé notre soutien à la solution à deux Etats, mais le mal était fait.
Certes les dirigeants arabes savent que la France est soucieuse d’éviter des répercussions internes du conflit israélo-palestinien ; d’autant plus que notre opinion publique a été marquée par les attentats islamistes sur notre sol contre des professeurs ; qu’un antisémitisme latent n’hésite plus à s’exprimer ouvertement ; que de nombreux français ont été tués lors de l’attaque du 7 octobre et que nous avons encore plusieurs otages français détenus par le Hamas.
Tout cela n’empêche pas que la politique française au Moyen Orient a perdu en crédibilité, donnant le sentiment d’une valse-hésitation pour tenter de concilier tout le monde. La réaction de plusieurs de nos ambassadeurs dans la région reflète en effet l’incompréhension des opinions publiques arabes face à la politique française dans cette crise.
Mais cela ne devrait pas nous inhiber, et au contraire plutôt nous inciter à reprendre le flambeau, ce que beaucoup attendent de nous. Au-delà de la gestion immédiate de la question des otages et de l’assistance humanitaire aux Gazaouis, nous devrions donc ne pas hésiter à faire des propositions audacieuses sur la perspective politique de l’après-guerre.
Cette crise, en remettant la question palestinienne au cœur de l’actualité internationale et en amenant l’administration Biden à affirmer avec force la nécessité de régler le conflit israélo-palestinien de manière durable par la création d’un Etat palestinien, nous donne en effet une opportunité pour reprendre l’initiative sur ce dossier.
La France est l’amie des deux parties et a toujours milité pour une solution équitable prenant en compte à la fois les intérêts de sécurité d’Israël et les droits légitimes des Palestiniens, afin d’écarter le risque de tensions récurrentes portant atteinte à la stabilité et au développement de cette région.
Toute solution durable passe clairement par un cessez-le-feu, la restauration d’une autorité palestinienne en mesure de gérer les territoires palestiniens et de négocier avec Israël les modalités d’instauration d’un Etat palestinien, ainsi que la reconstruction de Gaza avec l’aide notamment des pays du Golfe.
Naturellement la France doit se concerter avec l’Egypte, la Jordanie, les pays du Golfe et le Maroc, pour faire des propositions à discuter avec les Etats-Unis et Israël. L’échange entre la libération des otages et celle des prisonniers palestiniens devrait concerner notamment Marwan Barghouti – le « Mandela palestinien « – qui est la personnalité la plus populaire auprès des Palestiniens et qui aurait sans aucun doute un rôle majeur à jouer dans la mise en place d’une autorité palestinienne crédible. La solution devrait aussi naturellement s’appuyer sur les résolutions pertinentes des Nations Unies ainsi que sur l’initiative arabe de paix d’origine saoudienne, ce qui favoriserait une normalisation entre Riyad et Tel Aviv. A l’évidence des aménagements devraient être négociés pour tenir compte des développements intervenus sur le terrain et des compensations à apporter aux Palestiniens.
Certes, personne ne se fait d’illusion sur la difficulté de l’exercice avec un gouvernement israélien peu disposé aux compromis ; mais ce gouvernement n’est pas éternel …
La nouvelle donne régionale créée par le conflit à Gaza doit donc – en dépit de l’horreur de ce dernier – être saisie comme une opportunité pour sortir d’une situation inacceptable (notamment en matière de droits humains) et établir les bases d’un règlement durable, susceptible de permettre à Israël et à la Palestine de vivre côte à côte pacifiquement. Nous devrions mettre en avant le bénéfice que tireraient les deux peuples imbriqués dans ce petit territoire à coopérer étroitement dans le cadre de structures conjointes – pourquoi pas un jour une Confédération ? Nous n’en sommes naturellement pas là, et l’important aujourd’hui est bien de recréer une perspective politique pour l’après-guerre. La France aurait donc intérêt à agir sans délai comme un courtier imaginatif capable d’aider à trouver des solutions à ce conflit qui n’a que trop duré.