Comment se mettre d’accord sur les priorités qui préparent le mieux l’avenir ? « Lourde tâche » aurait dit De Gaulle. Hiérarchiser les urgences est une chose, encore faut-il au préalable informer sur les choix à réaliser.
Le débat français actuel n’échappe pas à ce défi. Si la réindustrialisation est une priorité, faut-il soulager la population active et le système productif ? Et dans ce cas alléger en priorité les impôts de production. Utiliser la baisse de l’impôt pour doper la croissance est une option défendable. Mais tout autant que le choix d’augmenter les dépenses publiques pour accélérer cette croissance Si la défense du pouvoir d’achat constitue le socle d’une société moins fragmentée, faut-il indexer les retraites et les prestations sociales sur l’inflation ? Si l’école est la mère des batailles, faut-il revaloriser le métier d’enseignant ? Si la lutte contre le réchauffement climatique est l’alpha et l’oméga, sur qui faire supporter le financement de la transition énergétique ? Si l’ombre de la guerre n’a jamais été aussi menaçante, comment favoriser la sécurité intérieure et extérieure ? Si le vieillissement de la population est un enjeu majeur, comment concilier la bonne utilisation de l’argent public et le besoin d’augmenter les ressources médicales ?
Autant de questions posées à notre époque mais face auxquelles souvent nous ne paraissons pas en capacité de choisir de manière éclairée les options qui préparent le mieux l’avenir. On assiste à une sorte de défaut d’arbitrage, chacun se complaisant dans la conviction qu’à la fin c’est l’Etat qui sera toujours là pour résoudre les questions alors que lui-même semble entretenir la plus grande opacité sur les enjeux.
L’Etat a perdu les leviers d’action que nous avons été habitués à lui prêter. Il en est réduit bien souvent à l’incantation. L’impuissance manifeste à imposer la négociation entre industriels et grande distribution pour maîtriser l’évolution des prix est un exemple édifiant. Au même titre que les tarifs des péages d’autoroute, ou des prix des carburants. Le pouvoir et l’influence ont changé de camp. Ou sont au moins beaucoup plus partagés. De nouveaux acteurs ont émergé. Les parties prenantes se sont multipliées, des entreprises aux ONG, des actionnaires aux algorithmes des plateformes internet et des réseaux sociaux. Et surtout, l’Etat se retrouve en situation d’acteur parmi d’autres dans un monde où tous est enchevêtré. Le concurrent peut être un partenaire. La producteur peut co-fabriquer avec son client. Le collaborateur est aussi un consommateur. Le fournisseur peut devenir un concurrent. Le régulateur peut être un soutien.
Le paradoxe consiste à ce que nous continuons de penser qu’il revient toujours à l’Etat d’avoir le dernier mot. De choisir, réformer, moderniser et transformer le pays. Ce qui revient à considérer qu’il est capable de conduire l’opinion à faire des choix pertinents pour l’avenir.
A l’heure où l’effort du réarmement s’impose, où l’influence française en Afrique est remise en question, où la concurrence en matière de nouvelles technologies et de recherche, ici le nucléaire, là le spatial, là encore la voiture électrique ou encore les métaux critiques, n’a jamais été aussi forte, la question du choix des priorités où flécher un argent public devenu rare est posée. Echouer à exprimer clairement ce choix, c’est risquer d’entretenir le doute. Tout cet argent déversé dans le cadre du quoiqu’il en coûte a fini par poser la question de l’efficacité de la dépense publique. Au point d’alimenter un ressenti sévère de l ‘opinion qui critique des services publics dégradés, un hôpital à bout de souffle, des transports publics au bord du collapse, des mois pour obtenir un passeport, une école gravement mise en cause dans le dernier classement Pisa, un pays suradministré et étouffé par les normes.
Comment l’Etat peut-il éclairer et faire accepter les choix ? Peut-il faire mieux avec moins de moyens ? La question des tombereaux d’argent public versés sur le secteur du logement pour aboutir à une situation de pénurie de la construction a de quoi interroger. La masse de 54 milliards d’euros prévue par le plan France 2030 v-a-t-elle permettre de doper la réindustrialisation du pays ? Est-ce la bonne méthode pour relever la productivité ?
Il est grand temps de redonner la confiance dans les choix de l’Etat. Cela passe par la capacité de celui-ci à justifier ses priorités, les exprimer clairement et tenir un discours de vérité. Cela suppose de fixer les objectifs, les expliquer, identifier les responsabilités. Le récent exemple de la réforme des retraites où le gouvernement a changé de pied en cours de route sur les objectifs recherchés est là pour montrer qu’il y a beaucoup de chemin à faire.
Cela fait longtemps que les entreprises, confrontées aux mêmes défis d’emmener vers un objectif identifié une communauté de travail dans un monde complexe ont trouvé les moyens de mobiliser leur collectivité autour de décisions à mettre en œuvre.
Ne pas le faire pour l’Etat revient à ouvrir un boulevard aux discours populistes, complotistes, ennemis de la science, qui soufflent sur les braises du ressentiment et sur l’accumulation des peurs et des aigreurs. Lesquelles finissent par être toxiques pour notre démocratie représentative en éloignant les citoyens de la participation aux décisions.