Selon le dernier baromètre du Cevipof, les Français sont 70% à exprimer leur confiance envers les forces de l’ordre (+ 1 point en un an). Guillaume Farde, professeur affilié à l’École d’affaires publiques de Sciences Po, explique que la mort du jeune Nahel à l’été 2023 et les émeutes qui ont suivi n’ont pas remis en cause l’opinion majoritaire, qui soutient le recours à la force lors des interventions policières, à condition que celle-ci soit maîtrisée et contrôlée.
Le 6 décembre 1986, la mort de Malik Oussekine sous les coups de matraque de trois policiers parisiens choque légitimement la société française. Sidérés par le drame, les Français questionnent les conditions du recours à la force par leur Police* et exigent que les protocoles qui gouvernent ses interventions soient plus respectueux des libertés publiques fondamentales. Il en a résulté une certaine réticence dans l’usage des armes par les policiers eux-mêmes, redoutant les répercussions judiciaires, sociales et morales de leurs pratiques. Depuis, l’affaire Malik Oussekine renvoie à un syndrome du même nom, celui de la trop grande inhibition des policiers a priori, par crainte de l’opprobre a posteriori.
Trente-sept ans plus tard, la mort par balles du jeune Nahel Merzouk à la suite d’un contrôle routier déclenche, elle aussi, une très vive émotion au sein de l’opinion, notamment chez les Français les plus jeunes. À l’été dernier, la légitimité de la Police est contestée durant plusieurs nuits d’émeutes, partout sur le territoire. Concomitamment, la mise en cause judiciaire et le placement en détention provisoire de plusieurs fonctionnaires de police accusés de violences illégitimes conduit certains de leurs représentants syndicaux à réclamer des exceptions procédurales voire une immunité pénale fonctionnelle pour contrer, selon eux, l’insécurité juridique professionnelle relative à leurs actions.
À la lumière de cette séquence estivale, et comme pour Malik Oussekine jadis, peut-on parler de « syndrome Nahel Merzouk » ? À cette question, les tout derniers chiffres du baromètre de la confiance politique du Cevipof (vague 15, février 2024) répondent clairement par la négative.
La police française à un niveau très honorable en Europe
Au cours des dix dernières années, la part des Français faisant confiance à la Police oscille entre deux personnes sur trois au plus bas (66 % en février 2020 au sortir de la séquence dite « Gilets jaunes ») et plus de trois sur quatre au plus haut (80 % en février 2015 après les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015). En 2024, cet indicateur est mesuré à 70 %, en progression de 1 point par rapport à 2023 (69 %). Cela positionne la Police française à un niveau très honorable en Europe, légèrement en dessous des forces de l’ordre allemandes (77 %). Par ailleurs, alors que l’affaire Michel Zecler avait contribué à une baisse de 10 points de la confiance des 18-24 ans dans la Police entre 2020 et 2021 (de 62 % à 52 %), l’affaire Nahel Merzouk n’entame pas leur appréciation positive, à la hausse de 2 points entre 2023 et 2024 (de 52 % à 54 %).
De manière générale, les Français distinguent très nettement la violence, illégitime en démocratie, de la force, légitime lorsque les agents de l’Etat y ont recours, au nom de l’intérêt général. Ainsi, ils considèrent très majoritairement que le coup de poing n’est justifié ni pour défendre sa religion (83 %), ni pour défendre ses idées politiques (81 %), ni pour s’opposer à une réforme (75 %), ni pour protéger l’environnement, la nature et les animaux (65 %). Les seules exceptions admises sont celles de la menace pour sa vie (69 %), de la protection de sa famille (67 %) et de la défense de sa propriété privée (55 %).
En définitive, huit mois après la mort du jeune Nahel Merzouk, les Français soutiennent très majoritairement leur Police, y compris dans l’exercice de ses missions les plus coercitives.
63% des Français estiment que l’utilisation de leur arme létale est justifiée
Concernant le recours à la force légitime par la Police, y compris dans sa forme paroxystique qui consiste à ouvrir le feu, 63 % des Français estiment que l’utilisation de leur arme létale est justifiée, dans la plupart des cas. Dans le détail, ils la jugent acceptable contre un terroriste (91 %), pour défendre leur vie ou celle d’un citoyen en danger (87 %) et pour neutraliser un braqueur (73 %).
Leur opinion est cependant moins affirmative en cas de refus d’obtempérer. En effet, si 56 % des Français admettent qu’un tir est légitime y compris dans cette situation particulière, il n’y a toutefois pas de consensus générationnel sur ce point : 61 % des 65 ans et plus y sont favorables tandis que 54 % des 18-24 ans y sont clairement défavorables.
Enfin, même si 52 % des Français pensent que l’ouverture du feu est excessive pour rétablir l’ordre à l’occasion d’émeutes urbaines, 68 % se disent favorables au recours à la force, en général, pour maintenir l’ordre public.
En définitive, huit mois après la mort du jeune Nahel Merzouk, les Français soutiennent très majoritairement leur Police, y compris dans l’exercice de ses missions les plus coercitives.
Pas de blanc-seing
l serait cependant inexact de voir dans ce soutien sans ambiguïté une sorte de blanc-seing justifiant à la fois l’assouplissement des règles qui encadrent le recours à la force par les policiers et l’atténuation des mécanismes de contrôle qui y sont attachés. En effet, seuls 50 % des Français considèrent l’usage de la force par la Police proportionné et bien dosé (58 % des 65 ans et plus s’en disent convaincus, mais 63 % des 18-24 ans déclarent le contraire) tandis que 58 % des Français estiment que l’encadrement hiérarchique du recours à la force par la Police demeure insuffisant. Enfin, si 69 % des Français disent comprendre l’exaspération des policiers, 70 % restent très clairement hostiles à l’idée qu’un agent qui aurait fait un usage abusif de son arme à feu bénéficie d’un traitement judiciaire distinct de celui des autres citoyens.
Pour le maintien de la tranquillité et de la paix publiques, les Français consentent donc que la Police recoure à la force et ils lui accordent un niveau de soutien élevé, y compris à l’occasion de crises telles que les émeutes de l’été 2023. Leur consentement n’en reste pas moins conditionné à des exigences d’encadrement et de contrôle: il y va de la confiance dont est créditée la Police républicaine et, ce faisant, de sa légitimité démocratique.
* L’emploi de la majuscule marque la différence entre la notion au sens de la science politique et la Police nationale en tant qu’institution.
Publié dans La Tribune du 10 mars 2024