Israël a répondu à l’Iran par surprise dans la nuit du 18 au 19 avril. Sans revendiquer l’attaque, qui aurait touché une base aérienne près d’Ispahan, l’Etat hébreu a été désigné par les Américains comme l’auteur de trois tirs de missiles qui ont fait peu de dégâts, selon les autorités iraniennes. Ces dernières ont pour leur part minimisé les frappes, qualifiées d’ « infiltrations » provenant du territoire iranien. Après avoir riposté, les deux ennemis semblent donc désormais vouloir tourner la page d’une escalade qui aurait pu dégénérer en guerre régionale. Est-ce bien le cas ?
Pour le moment, les Etats-Unis et la communauté internationale peuvent se réjouir qu’un embrasement régional dû à la guerre de Gaza ait été évité. Mais certains se demandent à quoi jouent Israël et l’Iran.
Chacun de ces Etats vient de prouver qu’il a le bras long et qu’il peut à tout moment atteindre le territoire de l’autre. Une fois consignée cette nouvelle et spectaculaire réalité, tous deux ont cependant pris soin de ne pas dépasser les bornes, de ne pas commettre l’irréparable. Les Iraniens ont en fait donné à réfléchir à Israël sur les conséquences qu’aurait une répétition élargie de cette attaque, en plus massif et surtout sans annonce préalable.
Non moins subtile se veut la riposte israélienne – sans l’aide américaine – qui n’a d’ailleurs pas été formellement revendiquée. Aussi stupéfiante est l’application que met Téhéran à jouer le jeu en se gardant de mettre en cause Israël, ce qui entraînerait l’obligation de riposter sous peine de perdre la face. Une situation aussi surréaliste ne saurait s’expliquer que par l’énorme pouvoir de persuasion – sinon de contrainte – que détient Washington sur ses amis comme sur ses ennemis, pour peu qu’il veuille bien l’exercer.
Les Etats-Unis ont certes pris une part active et essentielle dans la neutralisation des missiles ciblant Israël. Et ils aimeraient pouvoir concrétiser le vieux projet d’une alliance militaire et sécuritaire regroupant sous leur ombrelle l’Etat juif, les monarchies pétrolières du Golfe et la Jordanie.
En revanche les Américains ont clairement signifié à Benjamin Netanyahu – qui rêve d’élargir le conflit de Gaza et d’y embarquer le camp occidental – leur refus catégorique de s’associer à une action militaire contre l’Iran. En réalité, Joe Biden n’est pas seul à tenter de désamorcer une poudrière qui, s’ajoutant à la guerre en Ukraine, multiplierait les risques d’une confrontation à l’échelle planétaire. À l’ONU, comme en Europe, en Russie, en Chine et dans le monde arabe, ce ne sont que pressants appels à la retenue et à la désescalade.
Mais à se braquer sur les seules passes d’armes entre Tel Aviv et Téhéran, n’oublie-t-on pas le fond de l’affaire, à savoir la question palestinienne ? Les Etats-Unis, tout en se disant favorable à la solution de deux Etats, viennent en effet de s’opposer à l’octroi à la Palestine du statut de membre à part entière de l’ONU et de décider une nouvelle livraison significative d’armes à Israël… Si l’on revient au risque d’une confrontation directe entre Israël et l’Iran, il est clair que les deux acteurs ont pu sauver la face. Mais le spectre de la guerre a-t-il complètement disparu ?
L’attaque iranienne a permis à Israël de sortir d’un certain isolement diplomatique, et Netanyahou tente d’exploiter ce nouvel élan de solidarité occidental envers l’Etat hébreu. Washington et l’Europe ont d’ailleurs imposé de nouvelles sanctions à la République islamique.
Mais Israël a en réalité d’autres priorités : le gouvernement Netanyahou veut défaire militairement le Hamas, libérer les otages et probablement pousser une partie de la population de Gaza vers l’Egypte. Toutefois, du point de vue israélien, le Hezbollah constitue aujourd’hui la principale menace à sa sécurité : le parti chiite libanais est en effet l’instrument iranien pouvant causer le plus de dégâts en Israël avec ses 150 000 missiles stockés à quelques dizaines de kilomètres de l’Etat hébreu. En revanche, Israël ne peut pas s’engager dans une guerre de grande ampleur contre l’Iran sans les Etats-Unis.
Cependant, s’il n’y a pas d’accord dans les prochaines semaines impliquant une zone tampon à la frontière libano-israélienne – dont la milice chiite se retirerait – le risque d’une opération israélienne de grande ampleur au Liban s’accroîtrait. Or, le Hezbollah n’accepte de négocier les modalités d’un tel accord qu’une fois la guerre de Gaza terminée , en pariant sur le fait que le Hamas ne serait pas totalement éliminé.
Dans le même temps, la République islamique se rapproche chaque jour un peu plus de la bombe atomique. Les dirigeants iraniens sont-ils prêts à franchir le cap ? Ce n’est pas encore clair. Israël fera en tout cas le maximum pour éviter ce scénario. Quitte à prendre le risque d’un conflit direct avec la République islamique ?
Dans l’esprit israélien, plus la confrontation avec le Hezbollah – son principal ennemi – est repoussée, plus son coût sera élevé. D’où la menace pesant sérieusement sur le Liban.
Naturellement le conflit reste encore évitable. Mais cela suppose un nouvel arrangement entre Israël et le Hezbollah, ainsi que la résurrection sous une forme ou une autre d’un accord sur le nucléaire iranien. Cela suppose donc un modus vivendi a minima entre les Etats-Unis et l’Iran dans la région. Cela signifie enfin qu’Israël accepte de faire des concessions significatives sur la question palestinienne pour pouvoir bénéficier d’une véritable alliance avec les pays arabes contre l’Iran. Tout cela fait bien des conditions difficiles à réaliser …
La situation au Moyen-Orient demeure donc dangereuse et peut déraper, car certains protagonistes – en particulier le Hamas , le régime iranien , Netanyahou et les Houthis – sont à la fois déterminés et « malins », au sens biblique du terme .
À court terme, l’escalade a été évitée et on peut prévoir un retour vers la guerre de l’ombre qui se joue depuis des années entre Israël et l’Iran, mais qui laisse planer le spectre d’une confrontation ultérieure.
En effet, si Netanyahou entreprend une opération massive à Rafah – malgré la mise en garde de Biden – ou au Sud Liban pour tenter de contraindre le Hezbollah à se replier derrière le fleuve Litani, il est vraisemblable que l’Iran ne restera pas sans réagir. Téhéran pourrait, entre autres, accélérer son programme nucléaire, ce qui entraînerait vraisemblablement une intervention israélienne, avec l’appui cette fois-ci des Etats-Unis.
Bref, tout le monde doit aujourd’hui se réjouir qu’un embrasement régional a été évité, mais cela ne signifie pas, hélas, qu’on puisse l’exclure.