La visite du Président Xi Jin Ping en Europe et l’accueil réservé à Vladimir Poutine quelques jours plus tard ont fait des premières semaines de mai 2024 des marqueurs par lesquels la diplomatie chinoise s’est positionnée dans un contexte de tensions avec les États-Unis. Des tensions que les visites successives fin avril de Janet Yellen, secrétaire d’État au Trésor, et d’Anthony Blinken quelques jours plus tard, n’ont en rien résolues, que ce soient les avertissements américains sur « la dislocation de l’économie mondiale », d’un côté, ou les mises en garde sur le soutien à la Russie, de l’autre. La perspective des élections présidentielles américaines en novembre apparaît effectivement comme un butoir et le sommet de l’OTAN prévu à Washington en juillet s’inscrit pour Pékin dans sa confrontation globale avec l’Occident.
C’est dans ce contexte qu’il faut regarder le déplacement du Président Xi Jin Ping en Europe pour la première fois depuis cinq ans, c’est-à-dire depuis la pandémie, dont la Chine commence à se relever, et l’accueil réservé par Pékin à Vladimir Poutine où il effectuait sa première visite depuis son renouvellement pour un cinquième mandat.
La priorité pour la diplomatie chinoise est évidemment de maîtriser la confrontation globale avec les États-Unis à travers les hautes technologies par les normes et de maîtriser par ailleurs la confrontation bilatérale avec Washington sur la zone Pacifique en continuant à faire valoir ses revendications sur la mer de Chine du Sud et sa volonté de réunification avec Taiwan. Derrière ces objectifs stratégiques, c’est bien la transformation du modèle économique chinois par une croissance désormais fondée sur l’innovation qui est en jeu, avec l’objectif d’une économie de plus en plus autonome qui reste exposée toutefois au commerce extérieur pour près de 20% du PNB avec les États-Unis et l’Union européenne comme principaux partenaires.
La visite en Europe avait plusieurs objectifs. En choisissant de commencer par la France au motif de la célébration du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, c’était l’occasion de rappeler le contexte de l’époque qui était celui de la guerre froide, de la guerre du Vietnam et de la fin de la guerre d’Algérie et donc de souligner que la décision du Général De Gaulle était marquée par une audace stratégique dont il faudrait retrouver l’esprit aujourd’hui. La France a été qualifiée de façon flatteuse par le Président chinois de « grand pays » dont il a souligné la volonté d’« autonomie stratégique ». La Chine, dans sa volonté de disjoindre le camp occidental, continue à miser sur la tradition d’indépendance de la France. Notre statut de membre permanent du conseil de sécurité et de puissance nucléaire, que la France détient seule au sein de l’Union européenne, nous confère, selon Pékin, une capacité d’entraînement.
Le Président chinois, dans une interview au Figaro, avait fait passer avant son arrivée trois messages : le premier était de valoriser les coopérations entre les deux pays, notamment dans l’aéronautique, le nucléaire civil et les échanges humains, culturels et sportifs. Il avait notamment souligné l’intérêt chinois pour les produits agricoles et cosmétiques français et l’ouverture du marché chinois aux télécommunications et à la santé. Ils avaient souligné la nécessité de converger entre les deux pays sur le développement vert et l’innovation. Enfin, il avait conclu sur les principes de la coexistence pacifique et notamment sur le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, la non-ingérence dans les affaires intérieures.
La visite était placée sous deux objectifs principaux : les relations économiques et l’Ukraine.
S’agissant des relations économiques, le Président Macron – par-delà la promotion des intérêts français qui s’est traduite par la signature de nombreux accords dans le secteur de la culture notamment mais sans aucun contrat d’affaires, contrairement à l’habitude – a placé l’entretien avec le Président chinois sur la défense des intérêts de l’Union européenne en y associant la Présidente de la Commission. Le Président Macron s’était concerté quelques jours auparavant à Paris avec le Chancelier Scholz, ce qui soulignait que, malgré certains intérêts divergents, la masse critique franco-allemande jouait son rôle dans la délivrance de nos messages aux dirigeants chinois. Le thème central était l’enquête menée par Bruxelles sur les subventions du gouvernement chinois aux véhicules électriques à laquelle Pékin a répondu par une enquête sur les spiritueux. Il a été rappelé par le Président français et par Mme von der Leyen que l’Union européenne était un marché ouvert mais que la relation commerciale souffrait d’un important déficit et que nous n’avions pas vocation à absorber les surcapacités de la production chinoise dans ce domaine. Les questions d’accès au marché ont également été évoquées. Le Président chinois a plaidé la nécessité de travailler avec l’Union européenne au développement de nouvelles coopérations et a fait des ouvertures sur la volonté chinoise d’investir en Europe dans le domaine des batteries. Il a néanmoins rejeté les arguments européens, estimant que la production chinoise de véhicules électriques était une contribution à la transition énergétique. Si la discussion a bien permis de cadrer le problème, on est resté sur une situation de blocage. De leur côté, les États-Unis ont procédé quelques jours plus tard à des hausses de tarifs douaniers qui accentuent la pression sur les relations commerciales internationales vis-à-vis de la Chine. La Chine y a répondu en haussant les droits sur les composants synthétiques et les plastiques.
L’autre sujet central était l’Ukraine. Comme annoncé, le Président français a demandé à la Chine qu’elle exerce son influence sur la Russie dans le conflit. Il a été rappelé que notre soutien à l’Ukraine nous conduisait à être vigilants sur toute forme d’aide qui pourrait être délivrée à Moscou par Pékin dans le domaine militaire, y compris les produits à double usage. Le Président chinois a souligné sa neutralité et son attachement à ce que soit trouvée une solution politique au conflit. Il s’est engagé à veiller à la question des produits à double usage.
La visite en France et partant à l’UE, dont l’objectif ultime pour Pékin était de desserrer la pression exercée par les États-Unis, ne s’est certes pas soldée par des résultats concrets. Elle a permis néanmoins de souligner au plus haut niveau les intérêts des deux parties, de donner une impulsion à la poursuite du dialogue et de confirmer que, par-delà la complexité des enjeux, la confiance entre les dirigeants demeurait.
La suite de son déplacement en Europe devait amener le Président Xi Jin Ping à visiter la Hongrie, pays turbulent au sein de l’Union européenne, et donc d’enfoncer un coin dans l’unité du camp européen en jouant sur les positions du Premier ministre Orban, autant sur le plan de son refus des sanctions contre la Russie, que sur son attitude ouverte à jeter les bases de coopérations ambitieuses avec Pékin. Mais ensuite et surtout, c’est le déplacement du Président chinois en Serbie, pour s’y trouver le jour anniversaire du bombardement de Belgrade par l’OTAN en 1999, qui a pris toute sa valeur symbolique. L’intention était de montrer que la Chine est un pays qui promeut la paix, et que c’est l’OTAN qui se manifeste par des actions belliqueuses.
Après ce déplacement en Europe, l’accueil réservé au Président Poutine à Pékin, au lendemain des célébrations du 9 mai sur la Place rouge à Moscou, a mis en exergue un approfondissement du partenariat entre la Russie et la Chine qui n’en prenait que plus de sens. Les deux pays, dans une déclaration conjointe, ont souligné « l’approfondissement de leur partenariat stratégique global pour une nouvelle ère ». Le développement des échanges commerciaux (240 milliards de dollars d’échanges) a été souligné avec des perspectives prometteuses dans le domaine de l’énergie, des produits agro-alimentaires, des terres rares, des minerais, etc. Pourtant, les Chinois, selon des observateurs, paraissent encore réticents à s’engager dans le financement des deux pipelines via la Mongolie et via le Kazakhstan aux conditions voulues par les Russes.
Les questions de sécurité ont évidemment occupé une large place. Concernant l’Ukraine, les deux dirigeants ont affirmé la nécessité de « résoudre le conflit par une solution politique ». Par-delà le renforcement du partenariat sino-russe contre les intérêts occidentaux et américains, il est intéressant de noter que la Chine ne manque aucune occasion de rappeler sa « neutralité » en invoquant le respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des États, rappelant ainsi à mots couverts qu’elle n’a jamais reconnu les annexions territoriales de la Russie en Ukraine et se démarquant ainsi de la démarche belliqueuse de la Russie. Le non-emploi en premier de l’arme nucléaire est également souligné.
Enfin, dans une claire allusion au prochain sommet de l’OTAN en juillet prochain où sera examinée – comme lors des précédents sommets de Madrid et de Vilnius – l’extension des intérêts de l’Alliance vers l’Asie-Pacifique, les deux dirigeants ont souligné leurs « préoccupations devant les tentatives des États-Unis de déstabiliser la sécurité stratégique dans la région ».
Par cette série de contacts avec des interlocuteurs décisifs pour l’avenir des relations commerciales et de la sécurité globale, la Chine a mis en perspective les axes de sa politique étrangère pour les prochains mois.
Si, ponctuellement, les relations avec la France sont placées sous le signe de la continuité et d’une certaine ouverture du fait de la confiance existant entre les deux chefs d’État depuis plusieurs années, un travail d’approfondissement reste à accomplir avec l’Union européenne dans un contexte de vives tensions pouvant conduire à une guerre commerciale, déjà largement engagée par ailleurs avec les États-Unis. Sur le plan de la sécurité globale, la solidarité anti-occidentale de la Chine et de la Russie, alors même que le conflit entre la Russie et l’Ukraine est sur un point de bascule, laisse percevoir des nuances qui seront peut-être décisives dans la perspective d’une solution le moment venu. Les Présidents Poutine et Xi Jin Ping se reverront en juillet à la réunion de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) qui se tiendra au Kazakhstan.