Le prince héritier saoudien (MBS) a lancé en 2016 un vaste programme de réformes appelé « Vision 2030 ». Ce grand plan de diversification de l’économie aspire à assurer l’avenir post-pétrole du royaume, en développant notamment le commerce et le tourisme, mais aussi l’industrie locale et les infrastructures. Ce nouveau modèle, plus libéral et ouvert sur le monde, a pour objectif de moins dépendre du pétrole et de fournir des emplois à la nombreuse jeunesse saoudienne, tout en renforçant l’influence du Royaume dans le Golfe, et sur la scène internationale.
Toutefois, le PIB saoudien dépend toujours fortement des hydrocarbures (40%, contre 45% il y a 10 ans), qui financent les grands projets engagés pour la mise en œuvre de la Vision 2030. Etant donné les investissements engagés, l’on assiste à un creusement du déficit budgétaire – qui atteint près de 30% du PIB – et à l’érosion des réserves de change, passées de 750 milliards de dollars en 2014 à 430 milliards actuellement.
Le but des autorités est donc de générer, via de nouveaux secteurs d’activité, tels que les énergies renouvelables, l’extraction minière, le tourisme, le sport ou la santé, des recettes quasi équivalentes à celles qui proviennent de l’or noir, soit 250 milliards de dollars.
Il reste que cette diversification nécessite des investissements colossaux, même pour une riche pétromonarchie : environ 300 milliards de dollars par an jusqu’à 2030. Et malgré la récession de l’année dernière provoquée par la baisse – volontaire – de la production pétrolière, les investissements doivent tourner à plein régime pour tenir l’échéance qui approche.
Mais les fonds étrangers, un des piliers des sources de financement, se font attendre, en partie en raison de la rentabilité incertaine de certains projets et des taux d’intérêt élevés dans le monde. Les capitaux étrangers investis en 2023 n’ont en effet totalisé que 11,4 milliards de dollars, quand le royaume espère en attirer 100 milliards par an d’ici 2030.
Faute de carburant financier suffisant, Riyad recourt donc massivement à l’endettement : le gouvernement a ainsi émis 12 milliards de dollars d’obligations, une première depuis sept ans. Bras armé du royaume pour financer la Vision 2030, le fonds souverain saoudien (PIF) a été en 2023 le plus actif au monde avec 31,5 milliards de dollars injectés dans 49 acquisitions. En réalité, 85% des actifs du PIF sont investis en Arabie pour encourager l’économie locale. Le PIF prévoit de déployer 70 milliards de dollars d’investissements chaque année à partir de 2025.
Dernièrement, il s’est employé à développer un empire de la voiture électrique via l’entreprise CEER, une marque nationale de voiture sans carburant lancée en 2022 par le prince héritier. C’est d’ailleurs un secteur qui a fait bondir les investissements chinois en 2023, peu nombreux traditionnellement en Arabie Saoudite. La start-up chinoise EV Enovate a ainsi signé un contrat de 500 millions de dollars avec une entreprise du royaume pour établir localement une usine de fabrication.
Comme on le sait, MBS a multiplié ces dernières années les annonces de projets pharaoniques. Alors que la population saoudienne a doublé en vingt ans, il lui faut notamment bâtir des villes nouvelles. La mégalopole futuriste NEOM, estimée à 500 milliards de dollars, est l’une des vitrines de la Vision 2030. Cette cité en plein désert, qui fonctionnerait aux énergies vertes, a certes attiré là aussi la convoitise des Chinois qui y voient l’opportunité de vendre leurs matériaux de construction et des équipements de traitement de l’eau. Reste que le projet, faute de capitaux, et complexe à appréhender dans sa globalité, est confronté à beaucoup de scepticisme hors du Royaume, sans compter sur les critiques qui l’accusent de porter atteinte à l’environnement. The Line, ville horizontale et intelligente, sans voiture ni rues, est un excellent exemple des flottements rencontrés. Confronté à des interrogations sur son financement, le projet a tout d’abord été annoncé réduit à seulement quelques kilomètres. Face au tollé international rencontré, le Royaume a finalement annoncé que le projet était maintenu en l’état, et qu’il n’avait jamais été question de le réduire de quelque façon que ce soit.
Cette course aux capitaux ne fait cependant pas trembler la première économie de la zone Afrique du Nord-Moyen Orient. Si le taux d’endettement de l’Arabie Saoudite a plus que quadruplé depuis 2015, il ne représente encore que 28% du PIB.
Dans certains domaines, Riyad ne lésine d’ailleurs pas sur les dépenses : MBS considère en effet le secteur aérien comme un pilier de sa Vision 2030. C’est ainsi que la compagnie d’aviation SAUDIA a annoncé une commande de 105 avions, un accord à 19 milliards de dollars pour l’avionneur européen. L’un des objectifs est de tripler le trafic aérien annuel pour atteindre 330 millions de passagers d’ici à la fin de la décennie.
Il n’en demeure pas moins que, vu la situation budgétaire, la plupart des grands projets de la Vision 2030 sont remis à plat et que la priorité du gouvernement est plus que jamais d’attirer les investisseurs internationaux en Arabie. Il est également question d’une nouvelle phase de privatisation de la compagnie pétrolière nationale ARAMCO, afin de pouvoir financer les projets en cours.
Dans ce contexte, on peut sans hésiter désormais dire que l’heure du « local empowerment » a sonné. En effet, les règles du jeu ont changé pour les entreprises qui souhaitent lever des fonds.
Fini les financements faciles pour des projets hors du Royaume. Désormais, l’accent est mis sur le renforcement du savoir-faire local, et le « local manufacturing ». Le Royaume souhaite, tout en décarbonant, acquérir des compétences et des technologies en s’associant à des entreprises étrangères, et les investisseurs saoudiens attendent de ces mêmes entreprises qu’elles contribuent désormais financièrement aux projets.
Les Emirats Arabes Unis ont déjà pris ce virage du « local empowerment ». Les entreprises qui y réussissent sont celles qui s’intègrent pleinement à l’économie locale et qui apportent une réelle valeur ajoutée au pays.
Il reste donc aux entreprises à suivre ce virage, qui, si les règles de la nouvelle Arabie sont respectées, ne peut mener qu’à des expériences positives.
Par Bertrand Besancenot et Benoit Tamalet